C’est l’un des faits saillants de l’année 2014 qui émerge du dernier rapport de la mission France de Médecins du monde, rendu public le 15 octobre : l’augmentation du nombre de personnes fuyant leur pays en crise ou en conflit. « Plus de 276 000 migrants ont franchi les frontières de notre continent, leur nombre aurait triplé en un an », rappelle Jean-François Corty, directeur des missions France de l’association, en introduction du rapport. En 2014, près de 95 % des personnes reçues dans les 20 centres d’accueil, de soins et d’orientation (CASO) de l’association étaient des ressortissants étrangers et plus d’un tiers d’entre eux résidaient en France depuis moins de trois mois.
Outre leur très grande précarité financière (97,7 % en deçà du seuil de pauvreté et parmi elles 35,7 % ne disposant d’aucunes ressources), les personnes fréquentant les CASO sont également dans une « précarité administrative » (67,3 % des étrangers sont en situation irrégulière). Autre invariant d’un rapport à l’autre : l’accès à la couverture maladie, à la prévention et aux dépistages des personnes prises en charge par Médecins du monde reste toujours très limité et leurs problèmes de santé, en particulier les pathologies chroniques et les troubles psychologiques, sont aggravés par les mauvaises conditions de vie. Ce qui conduit l’organisation à réitérer, une fois de plus, sa demande de simplification en matière d’accès aux droits et aux soins, notamment à travers la fusion de l’aide médicale de l’Etat dans la couverture maladie universelle, qui constituerait « une réforme pragmatique sur les plans économique et humain ».
Le rapport revient par ailleurs sur le « contexte législatif particulièrement nuisible à certaines populations ». Outre les familles vivant en bidonville et les migrants en transit dans le Nord-Pas-de-Calais – qui sont à Calais « plus de 3 000 à vivre dans des conditions sanitaires déplorables », pointe Jean-François Corty –, les personnes prostituées sont particulièrement exposées. L’association souligne qu’elle a plaidé pour l’abrogation du délit de racolage passif, mais contre la pénalisation des clients dans le cadre de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, qui devait être adoptée par les sénateurs en seconde lecture le 15 octobre. Son rapport met également en lumière le cas des départements d’outre-mer, « où la législation sur l’immigration comporte de nombreuses mesures dérogatoires, restrictives et plus répressives qu’en métropole et une plus grande facilité dans la mise en œuvre des expulsions ».
Par ailleurs, 517 mineurs étrangers isolés ont été accueillis dans les CASO en 2014, un nombre multiplié par huit depuis 2011. Les équipes de Médecins du monde disent constater « de nombreux dysfonctionnements pour ces jeunes : absence de mise à l’abri pendant la durée de l’évaluation, absence de référent social désigné pour les jeunes pris en charge par l’ASE [aide sociale à l’enfance], absence d’information sur leurs droits pour l’accès à la santé, à l’éducation ou aux démarches d’asile… », entraînant des « conséquences dramatiques sur [leur] avenir […], en contradiction totale avec les principes de protection de l’enfance ». L’association rappelle son soutien à la position de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), qui demande « l’application d’un principe de minorité à l’égard de ceux qui se présentent comme tels », ainsi que l’interdiction « pure et simple » des tests osseux. Avec l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE), Médecins du monde ne cesse de dénoncer en outre la dégradation de la situation des étrangers malades depuis la loi Besson de 2011, qui a durci les critères d’accès au séjour pour raison médicale.
L’association s’est également intéressée aux patients français en situation de précarité, dont la part dans sa file active s’élevait en 2014 à 6,8 %. Et même si ces derniers « relèvent tous théoriquement de l’assurance maladie, seuls 43 % disposent de droits effectivement ouverts au jour de leur première visite au CASO, et bien souvent, il s’agit uniquement d’une couverture de base laissant la part relative au ticket modérateur à la charge des patients ». Pour Médecins du monde, la réduction des freins financiers à l’accès à la santé constitue « un enjeu majeur » et devrait être facilitée par la généralisation du tiers payant, qui pourrait aboutir dans le cadre du projet de loi relatif à la santé. Le rapport revient également sur la précarité en milieu rural, « moins visible et souvent non dite » et qui « attire moins l’attention des politiques publiques ». Médecins du monde, qui a lancé en mai 2013 dans les Combrailles, en Auvergne, le dispositif Rescorda (réseau de santé et coordination d’appui), va d’ailleurs « continuer à développer ses opérations en milieu rural et envisage de s’investir dans certains quartiers où l’accès aux soins et aux droits est de plus en plus restreint », indique Jean-François Corty.