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Mathias Gardet : « Ce qui est perçu comme nouveau l’est souvent moins qu’on ne le croit »

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Pour Mathias Gardet, historien et vice-président du Conservatoire national des archives et de l’histoire de l’éducation spécialisée (Cnahes), le recours aux archives est indispensable pour que les travailleurs sociaux se réapproprient leur histoire.
Quelle est la pertinence du Cnahes aujourd’hui ?

Il reste d’une actualité brûlante pour les travailleurs sociaux présents et à venir. Le public qui suit mes séminaires à l’université Paris-8 dans le département des sciences de l’éducation est constitué de jeunes professionnels – éducateurs spécialisés, assistants de service social, conseillers en économie sociale et familiale, infirmiers psychiatriques… – et d’étudiants en travail social. Ils suivent mes cours non pour apprendre leur métier – ce qu’ils font dans les centres de formation – mais pour réfléchir sur les publics, la commande sociale… L’histoire leur permet de prendre de la distance par rapport aux injonctions politiques et sociales actuelles et aux événements pour lesquels on exige d’eux des réponses immédiates… Le recul historique montre que ce qui est perçu comme nouveau l’est souvent moins qu’on ne le croit. Les travailleurs sociaux ont souvent déjà été interpellés sur des questions similaires dans le passé.

Par exemple ?

Entre 1999 et 2001, le ministère de la Justice m’avait chargé de concevoir un centre d’exposition à Savigny-sur-Orge (Essonne) sur les lieux d’un ancien « centre d’observation » en fonctionnement de 1945 à 1975 dans lequel les enfants étaient placés trois mois en observation avant que le juge des enfants ne prenne une décision les concernant. Au même moment était créé, dans la même commune, un centre de placement immédiat proposant un accueil temporaire d’urgence à des mineurs délinquants dans l’attente d’une réponse judiciaire. Or les éducateurs spécialisés de ce centre ne savaient pas qu’un suivi comparable avait eu lieu sur le même site quelques dizaines d’années auparavant. On retrouve cette amnésie sur des sujets comme la violence scolaire, le droit des usagers, le secret professionnel, les banlieues. Il faut la combattre pour pouvoir réfléchir aux héritages et aux orientations actuelles des métiers du social. Beaucoup d’éducateurs aujourd’hui ne savent pas comment est né leur métier… Le détour par l’histoire peut réparer cette fragilité identitaire en apportant des repères, en particulier sur la construction des positionnements professionnels au fil du temps.

Le passé peut-il aider à formuler des réponses pour le présent ?

Bien sûr. En même temps que des réflexions sont en cours sur la refonte de l’architecture des diplômes du travail social, j’ai prévu d’aborder, au début 2016, le mythe du travailleur social unique à travers un « atelier d’histoire » de quatre jours dans l’objectif de montrer que ce modèle a déjà été une tentation dans le passé. Les étudiants seront invités à comparer l’évolution des idées défendues par des revues qui vont plutôt dans le sens d’un tronc commun à l’ensemble des professions du social (comme certaines éditées par Champ social ou Paroles et pratiques sociales) avec le positionnement de publications portées par les associations professionnelles qui défendent chacune un métier du social. Après trois jours consacrés à la découverte des archives, la dernière journée sera un temps de restitution pendant lequel des personnalités extérieures questionneront les étudiants sur des problématiques en lien avec le sujet – par exemple, le rôle des IUT « Carrières sociales » dans l’émergence du travailleur social unique.

Sur quels autres sujets travaillez-vous ?

Nous avons mis au point avec les Archives nationales un module de formation clé en main sur les dossiers d’usagers qui sont des archives publiques – ce que la plupart des associations ignorent. Ce sont des outils pédagogiques très intéressants pour les jeunes professionnels : ils peuvent voir ce qu’on y écrivait autrefois. Certains dossiers contiennent par exemple des correspondances, ce qui montre qu’il existait une censure puisque les lettres n’ont jamais été envoyées… Avec l’Institut régional du travail social Paris-Ile-de-France et Buc Ressources, nous avons, par ailleurs, organisé pendant trois ans un module de formation sur l’action sociale dans les années 1970 : comment le champ de l’intervention sociale a-t-il vécu la période de contestation ? Cette dernière a-t-elle modifié les pratiques professionnelles ?

Comment intéresser les étudiants en travail social à l’histoire ?

Tout le défi consiste à inventer des formules pédagogiques suffisamment vivantes. Alors que les centres de formation dressent en une dizaine d’heures seulement le tableau de l’histoire du secteur en s’appuyant sur des ouvrages historiques, il me semble essentiel d’accéder directement aux sources : ces dernières suscitent une identification qui nourrit la réflexion. En outre, comparer sa propre pratique à celle d’homologues du passé suscite toujours une grande émotion. Cette confrontation fait également prendre conscience aux étudiants que leur pratique va elle-même devenir archive…

Trésors d’archives

L’un des tout premiers fonds d’archives recueillis conserve une aura un peu magique : il s’agit de celui de Jacques Guyomarc’h, tour à tour président de la fédération bretonne de la Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence et secrétaire de l’Association nationale d’éducateurs et de jeunes inadaptés. En cédant en 1994 plusieurs centaines de cartons d’archives conservés chez lui, il a contribué à insuffler une dynamique au Cnahes dès sa première année d’existence. Depuis, chaque année, de nouveaux fonds viennent grossir les archives du centre. En 2014, trois fonds associatifs – du Comité de liaison des associations de parents d’enfants atteints de handicaps associés, de l’Union des clubs de prévention du Nord et de Droit des pupilles de l’Etat et des adoptés à leurs origines – y ont fait leur entrée. Se sont ajoutés les fonds de sociologues et de praticiens du secteur.

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