Comment évaluer les besoins de places en établissements et services d’aide par le travail (ESAT) ? Alors qu’en 2008, un plan national de création de 10 000 places – suspendu en 2013 après l’ouverture de 6 000 nouvelles places – a été lancé par le gouvernement sans réel diagnostic des besoins, Andicat (Association nationale des directeurs et cadres d’ESAT) a mené une étude pour comprendre les disparités territoriales en matière de places dans ces structures(1). La situation est loin d’être lisible sur le terrain et certains établissements sont totalement saturés, quand d’autres conservent des places vacantes. Pour identifier les failles du système, l’association de directeurs a chargé le cabinet de conseil Respir’oh de réaliser une importante étude documentaire – synthèse des travaux nationaux et locaux et des bonnes pratiques existants – sur le sujet et d’élaborer des outils d’analyse de besoins à destination des structures et des pouvoirs publics.
Dans certains territoires, la longueur des listes d’attente peut facilement être liée à un nombre insuffisant de structures : l’étude montre en particulier que les trois principales régions – Ile-de-France, PACA et Rhône-Alpes – ont un taux d’équipement inférieur à la moyenne nationale. Mais comment expliquer que dans une région où le taux d’équipement en places d’ESAT est conforme à la moyenne nationale, sa liste d’attente, tous départements confondus, dépasse les 3 000 personnes ? Après enquête auprès des personnes figurant sur la liste, il apparaît que seulement 1 500 personnes sont « en attente réelle et disponibles pour une entrée », indiquent les auteurs. « On se rend compte qu’il n’y a pas de listes d’attente justes. Il y a toujours des personnes qui ne sont pas dedans et qui devraient y être et inversement. Ainsi, beaucoup de personnes qui ont une orientation en ESAT sont en fait dans la nature et ne sont suivies par personne », explique Jacques Serpette, secrétaire général d’Andicat. L’étude note qu’une partie des publics orientés en ESAT ne souhaite pas y accéder par choix ou par méconnaissance du milieu protégé. « Plusieurs travaux montrent que les personnes orientées en ESAT peuvent avoir besoin de soutien durant les temps d’attente », expliquent les auteurs, qui pointent la nécessité d’accompagner les personnes avant leur entrée dans le secteur protégé.
Autre cas de figure : l’offre qualitative des établissements peut être inadaptée à une partie des publics, qui reste donc sur la liste d’attente (personnes ne pouvant travailler qu’à temps partiel ou souffrant de troubles psychiques par exemple). « La population handicapée en ESAT change, nos réponses doivent donc évoluer. Les établissements qui ne se posent pas ces questions ont plus de chance d’avoir des places vacantes », affirme ainsi Jacques Serpette. Au final, « en l’absence d’éléments sur les listes d’attente […], il est impossible d’évaluer les besoins de places », indique l’étude.
L’inadéquation entre la liste d’attente et la réalité du terrain provient aussi de la mauvaise appréhension du taux d’occupation, « indicateur important sur lequel on dispose de relativement peu de données consolidées ». Il recouvre en effet plusieurs éléments, dont certains sont consécutifs à des places vacantes mais non mobilisables pour de nouvelles entrées – arrêts maladies y compris longs, congés parentaux… L’étude relève aussi que les places d’ESAT susceptibles de se libérer ne manquent pas : des travailleurs vieillissants peuvent être en attente d’une place dans un autre établissement plus adapté à l’évolution de leur handicap (foyer de vie, accueil de jour…), d’autres s’approchent de leur départ à la retraite ou encore pourraient être orientés vers une entreprise adaptée ou le milieu ordinaire. Reste que« ces flux de sortie » sont peu anticipés.
Au final, les auteurs préconisent la mise en place d’une gestion prévisionnelle des places en ESAT au niveau territorial et en établissement, un meilleur rééquilibrage des places prenant en compte les situations sociodémographiques et sanitaires des territoires et l’adaptation qualitative de l’offre des ESAT aux évolutions du public (mise en œuvre de temps partiels, adaptation des postes et conditions de travail, meilleure prise en compte de l’efficience des publics, réponse aux publics en situation de handicap psychique).
Pour mettre en place ces préconisations, ils proposent deux outils. Le premier est « territorial » et à destination des pilotes institutionnels (agences régionales de santé, conseils départementaux et maisons départementales des personnes handicapées). Il doit leur permettre de réaliser un diagnostic des besoins de places en ESAT à travers l’analyse de l’offre territoriale, des besoins quantitatifs et qualitatifs des prescripteurs, le suivi des orientations MDPH, l’évaluation des listes d’attente et l’analyse des flux sortants. Le second outil, d’autodiagnostic, vise à permettre aux directeurs d’ESAT d’analyser leur réponse quantitative et qualitative aux besoins du territoire. Il peut notamment être utilisé pour analyser les causes d’un taux d’occupation insuffisant et lors du renouvellement du projet d’établissement.
(1) L’étude et les outils, transmis à la DGCS, seront présentés lors d’une session de formation pour les adhérents d’Andicat, à la fin novembre à Belfort.