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Prendre soin de tous

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Depuis 2007, l’EHPAD Yves-Couzy, dans l’Hérault, s’est engagé dans la prévention des risques professionnels. En associant à cette démarche le personnel, mais aussi les résidents et leurs familles, l’établissement a obtenu des résultats probants.

Elles sont tombées dans la salle de bains. D’abord la vieille dame, d’un coup, sans prévenir, entraînant dans sa chute Françoise Baeza, qui la tenait sous le bras pendant qu’elle faisait sa toilette. La personne âgée n’a rien eu de grave, mais l’aide médico-psychologique, elle, s’est cassé net les tendons du poignet gauche… Le 27 juillet 2006, Françoise Baeza s’en souvient comme si c’était hier. Un an et demi d’arrêt maladie et trois opérations plus tard, elle s’est retrouvée travailleuse handicapée, dans l’impossibilité de reprendre son activité. Le hasard a voulu que l’animatrice de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Yves-Couzy(1), à Saint-André-de-Sangonis, près de Montpellier, parte à la retraite. Avec l’aide de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et du Fongecif Languedoc-Roussillon, Françoise Baeza s’est formée pendant un an à l’animation sociale. En 2009, elle a été nommée animatrice de la maison de retraite. Elle y travaille toujours.

Une multiplication des accidents de travail

« Une chance qu’on ait pu la reclasser ! se rappelle Muriel Brajon, directrice de l’établissement. Une autre fois, il nous est arrivé de devoir procéder au licenciement pour inaptitude d’une aide-soignante qui travaillait de nuit. Le coût psychologique, social, financier est très important. » Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Dans cette maison de retraite comme dans tout le secteur social et médico-social, depuis les années 2000, les accidents du travail se multiplient. Est en cause la montée des troubles musculo-squelettiques (mal de dos, douleur à l’épaule, tendinite du poignet…), lesquels sont également à l’origine de la majeure partie des maladies professionnelles déclarées et reconnues. « Nous avons eu un nombre important d’arrêts maladie de longue durée, se souvient Muriel Brajon. Principalement des lombalgies, affectant des aides-soignantes et des aides médico-psychologiques. » En 2010, l’EHPAD enregistrait 341 jours d’arrêt maladie engendrés par cinq accidents du travail, et un niveau de gravité des accidents (5,75) jamais atteint jusqu’alors.

Une situation périlleuse

Pour les salariés, le danger est constant. Les plus âgés en sont très conscients. « Il m’est arrivé une fois de me faire mal au dos et aux cervicales en aidant un homme âgé très grand et lourd, lors d’un transfert entre lit et fauteuil. Depuis, je travaille avec une ceinture et j’adapte ma posture. Je fais très attention, je ne veux pas me refaire mal. Et je préviens bien les jeunes des risques qu’elles courent », témoigne Catherine Dervaux, aide-soignante. Cette situation est périlleuse pour un établissement indépendant n’employant que 45 salariés, dans une petite commune située à 40 minutes de Montpellier. « Cela entraîne une désorganisation du service, une augmentation de la charge de travail pour ceux qui restent en activité, et beaucoup de stress, qui induit à son tour un manque de vigilance, déplore Muriel Brajon. On remplace la personne blessée, mais il arrive que le remplaçant se blesse aussi, et on se retrouve avec le remplaçant du remplaçant. Et puis le changement de personnel soignant n’est pas bon : les résidents et leurs familles ne sont pas contents. Tout le climat social s’en ressent. » L’enjeu est d’autant plus sensible que l’EHPAD, comme nombre de ses homologues, accueille des personnes de plus en plus âgées et dépendantes jusqu’à la fin de leur vie. Avec 58 résidents, dont 11 dans l’unité Alzheimer, la structure affiche un niveau de dépendance élevé (GIR moyen pondéré de 805) et un niveau de soins médicaux, paramédicaux et techniques tout aussi important (pathos moyen pondéré de 258). Ce qui exige d’assurer une continuité et une qualité de l’accompagnement plus rigoureuses encore.

Comment empêcher les accidents et engager une démarche prévention efficace ? La question a longtemps taraudé la directrice et son équipe. En 2007, une première étape a été franchie : la mise au point du document unique (DU) – une obligation légale qui a servi de base à une démarche collective de prévention. La responsable a constitué un groupe de travail avec la déléguée du personnel, l’infirmière coordinatrice, l’ergothérapeute, la responsable de la qualité (directrice adjointe) et une aide-soignante. Avec l’aide d’une consultante, le groupe s’est lancé dans l’élaboration du fameux DU. « On a une grille de risques, on les identifie pour chaque type de poste et on cote le niveau de risque », explique Françoise Baeza, déléguée du personnel de 2008 à 2014, et de nouveau depuis juin 2015, qui, à ce titre, a participé au groupe de travail. Depuis ces premiers pas, le groupe se réunit chaque année pour mettre à jour le DU, mais aussi analyser les accidents du travail et réfléchir à des actions de prévention.

En 2010, le virage vers des aides techniques

Mais le véritable déclic s’est produit en 2010. La caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) Languedoc-Roussillon faisait la promotion de rails de manutention à placer dans les chambres des résidents pour faciliter les transferts du lit au fauteuil (et inversement), et réduire ainsi fortement les risques de lombalgie et autres troubles musculo-squelettiques. Elle proposait également d’autres équipements, des formations aux aides techniques et à la prévention des risques, ainsi qu’une aide financière. Muriel Brajon a saisi la balle au bond. Ses équipes utilisaient alors très peu d’aides techniques. « Nous avions deux lève-malade sur roues, avec une arche. Trop peu pour que l’un d’eux soit disponible dans la chambre quand on en avait besoin. En plus, cela encombre la chambre, c’est hospitalier et déshumanisant », se souvient Marie-Thé Lasserre, infirmière coordinatrice. L’enjeu majeur était d’associer le personnel et les usagers à cette opération d’envergure. « On ne peut imposer un matériel, même si c’est mieux. Il faut que cela ait du sens, il faut que les familles comprennent », plaide la directrice.

Les premières chambres ont été équipées en 2011. Au plafond est fixé le rail, juste au-dessus du lit et sur un côté, de manière à surplomber un fauteuil. L’aide-soignante enveloppe la personne âgée allongée dans son lit d’un grand harnais en tissu doté de sangles accrochées au rail. Une fois le harnais mobilisé, la personne âgée se retrouve assise et soulevée, comme dans un siège en tissu, enveloppant, puis déposée doucement dans le fauteuil. Un dispositif très innovant. La structure s’est également dotée de quelques équipements plus habituels : verticalisateurs, pour aider une personne à se lever en toute sécurité ; lits et chaises de douche, pour faciliter la toilette en position allongée ou assise.

La principale difficulté a été de faire accepter les rails de manutention par les résidents, par leurs familles et par le personnel. En mars 2011, le fournisseur a présenté le dispositif au conseil de la vie sociale (CVS), où siègent des représentants de chacun des trois groupes. Puis, deux mois plus tard, l’établissement a organisé un atelier de démonstration où, avec l’aide de l’ergothérapeute, les familles ont pu tester le matériel. « J’y ai participé, se souvient Jacques Cerda, qui a présidé plusieurs années le CVS. C’était rassurant. Le harnais forme un cocon sécurisant, doux, agréable. Les résidents se sentent en sécurité et les soignants évitent de se faire mal. Il n’y a eu aucune réaction de rejet. » Par la suite, l’infirmière coordinatrice et l’équipe soignante ont poursuivi leur patient travail d’explication. « L’utilisation du matériel, cela fait partie de l’accueil du résident, assure Marie-Thé Lasserre. On peut aussi le présenter au moment où on le met en œuvre. Si des familles ne supportent pas la perte d’autonomie de leur parent, il faut dédramatiser la situation, leur expliquer, leur permettre d’utiliser le matériel, montrer que c’est innovant, que c’est une chance. »

L’adhésion du personnel

Pour le personnel, le changement a été radical. Formé par la Carsat, il a vite adhéré à ce nouveau procédé. « C’est plus facile, cela ne fatigue pas, commente Catherine Dervaux, aide-soignante. Le matériel est sur place, on n’a pas besoin de courir le chercher ou de demander l’aide d’un collègue. Et c’est mieux pour les résidents. On évite les torsions au niveau des jambes et les chutes. » L’intérêt majeur est la grande proximité avec le résident. « On est face à face, à hauteur du regard, on peut l’entourer, le rassurer. Il se sent plus en sécurité », ajoute Marie-Thé Lasserre. Toujours lors de cette première phase, la Carsat a formé l’infirmière coordinatrice à la prévention des risques liés à l’activité physique (PRAP). Ce qui a permis à celle-ci d’encadrer des formations en interne pour l’utilisation des aides techniques, mais aussi d’enseigner les gestes et postures qui évitent de se faire mal au travail. Elle a formé également les nouveaux arrivants : jeunes en apprentissage ou en contrat de professionnalisation et remplaçants.

Au total, l’opération a coûté 50 000 € en 2010-2011, puis 36 000 € en 2012-2013, pour l’aménagement de 44 chambres avec des rails de manutention équipés de moteurs fixes ou mobiles, et l’achat des autres équipements. Mais sans que l’EHPAD ait à débourser beaucoup d’argent. En effet, la Carsat a pris en charge 50 % des coûts, l’autre moitié étant financée, pour la première phase, par l’agence régionale de santé (ARS) du Languedoc-Roussillon. De même, la Carsat a assuré les formations aux aides techniques et les a financées à 80 %. Et les résultats sont spectaculaires : le nombre de jours d’arrêt maladie liés à des accidents du travail est tombé à 56 en 2012, au lieu de 250 en 2011. Un nombre qui, tout en restant modéré (103 jours), est remonté en 2013.

L’EHPAD a encore renforcé l’implication des équipes dans cette dynamique. Embauchée en septembre 2012, une nouvelle ergothérapeute, Gwendoline Mauclert, a été nommée référente de la prévention des risques. Elle aussi a suivi une formation PRAP. Sa première mission : analyser les risques avec les aides-soignantes et les inciter à chercher des solutions. « Je les ai filmées au travail, pour qu’elles puissent se voir en vidéo et identifier elles-mêmes les gestes à ne pas faire et tout ce qui peut les mettre en danger. Chacune voit le film seule, puis on le regarde en groupe. Elles font part de leur expérience et cherchent ensemble comment éviter ces risques », résume Gwendoline Mauclert. A la fin 2013, un premier groupe de six soignantes était formé et, un an plus tard, deux autres groupes. C’est ainsi que des solutions ont émergé, adoptées ensuite par l’équipe. Par exemple, utiliser des draps de glisse (conçus pour faciliter le déplacement de la personne dans son lit) ou encore poser la bassine sur une chaise pendant la toilette. L’ergothérapeute a également formé les agents des services hospitaliers à des mesures de prévention simples : éviter les chutes sur les sols mouillés, porter des charges sans se blesser, etc. Enfin, elle prend en main chaque nouvelle recrue, lui montrant en particulier comment utiliser les aides techniques.

La deuxième mission de l’ergothérapeute consiste, après chaque accident du travail, à recevoir celle qui en a été victime, afin d’en étudier ensemble les causes. L’environnement, les moyens matériels, l’organisation du travail, le comportement du résident, le respect des consignes, tout est passé au crible d’un examen minutieux. Puis elles cherchent comment éviter que l’accident se reproduise. Chaque année, l’ergothérapeute présente ces analyses au groupe de travail sur la prévention des risques professionnels. « On étudie ce qui ne fonctionne pas, quelles solutions apporter. Par exemple, l’entrée des salles de bains étant glissante, on a fait coller de petites bandes antidérapantes. Pour signaler un endroit mouillé, sali ou un obstacle dans un couloir, on a fourni de petits panneaux jaunes, qui sont à disposition sur les chariots », relate Catherine Dervaux.

Une enquête sur les risques psychosociaux

Restait à aborder un pan essentiel de la prévention : tout ce qui, dans l’organisation et les relations de travail, peut susciter des tensions et provoquer un impact sur la santé mentale des salariés – les risques psychosociaux. En 2013, une première enquête interne a été menée. « Dans les réponses au questionnaire, une tendance nous a inquiétés. Environ 15 % considéraient que leurs collègues n’étaient pas compétents et pas amicaux », se rappelle Muriel Brajon. Pour améliorer la cohésion, elle a mis en place en 2014 une formation à la « dynamique de groupe » : des jeux de rôles et des ateliers d’expression, par groupes de 12 salariés, pour apprendre à mieux connaître l’autre et à régler les dissensions.

Aux yeux des soignants, c’est l’ensemble de la démarche engagée par l’EHPAD pour améliorer à la fois le bien-être des résidents et celui des salariés qui a porté ses fruits. Le choix, en 2007, de la philosophie de soins de l’« humanitude »(2) ; l’ouverture d’un espace Snoezelen pour la relaxation ; l’embauche d’une ergothérapeute (à temps plein), d’une psychologue, d’une psychomotricienne (à 80 %), d’une sophrologue, d’un musicothérapeute et, tout récemment, d’une art-thérapeute ; la création d’un pôle d’activités et de soins adaptés (PASA)… Tout cela a contribué à apaiser les résidents et, par-là même, à adoucir le climat de l’établissement. « C’est une aide précieuse, car une partie des accidents est liée aux troubles de comportement de résidents qui, parfois, se laissent tomber ou se montrent agressifs à l’égard d’un soignant. Par exemple, le fait que la psychomotricienne relaxe des résidents avant la toilette a un effet très positif, se félicite Marie-Thé Lasserre. Cela permet de prévenir les risques psychosociaux, car on stresse si on doit s’occuper d’un résident difficile. » De même, les soignants peuvent prendre appui sur des professionnels qui les accompagnent et les conseillent. « Nous avons des groupes de parole, animés par notre psychologue, à la demande. Si le décès d’un résident est mal vécu, on a besoin de décompresser. Le médecin coordinateur vient une fois par semaine, entre 12 heures et 14 heures, pour les soins palliatifs et la prise de médicaments. Là aussi, c’est une occasion de parler entre nous. Cela peut désamorcer les tensions et mettre le doigt sur les problèmes », affirme Françoise Baeza.

Néanmoins, en 2014, l’équipe a constaté une forte remontée des accidents du travail. La plupart se sont produits en septembre, lorsque l’extension de la structure a autorisé, après deux ans de travaux, l’ouverture d’un étage, avec huit nouveaux lits. Cela a entraîné une réorganisation de l’activité, en particulier la modification des binômes de soignants, selon un nouveau planning. « Une partie du personnel a mal vécu ce changement. Ils perdaient leurs repères, ils étaient stressés », regrette la directrice. Les accidents les plus graves : des glissades et des chutes d’agents de service. Il était urgent d’éviter de nouveaux incidents. Il a été décidé de fournir au personnel des chaussures de sécurité. Aujourd’hui, tous les soignants et les agents de service en sont équipés, avec plus ou moins de succès. « On n’a pas encore trouvé les chaussures idéales. Celles des agents de service semblent encore trop lourdes », confie Gwendoline Mauclert.

La prévention des risques est tout, sauf un long fleuve tranquille. D’autant que les EHPAD souffrent d’un problème de fond – des effectifs trop restreints –, à lui seul source de tensions et de dangers. Un problème que soulève une aide-soignante : « On n’est pas assez nombreuses. On n’a pas assez de temps pour les toilettes. Qui a dit qu’on pouvait faire une toilette en vingt minutes ? Quand une personne âgée est très fatiguée, malade, cela demande du temps. Et puis c’est frustrant, on aimerait avoir le temps de discuter, mais pour ça, il faut de la disponibilité. »

Notes

(1) EHPAD Yves-Couzy : rue Pierre-de–Coubertin – 34725 Saint-André-de-Sangonis – Tél. 04 67 55 55 20 – www.mdryvescouzy.com.

(2) La « philosophie de l’humanitude » est une méthode de soins fondée par Yves Gineste et Rosette Marescotti dans les années 1980-1990. Elle consiste à prendre en compte les capacités, les habitudes de vie, etc., de chaque personne, de manière à l’accompagner et à la soigner dans la bientraitance, en favorisant son autonomie.

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