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Judiciaire et éducatif, une « dialectique » à relancer

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Absence de dialogue, politique sécuritaire, accélération du temps ont altéré les relations entre juges des enfants et équipes éducatives. Au détriment de la qualité de l’intervention.

« Jamais le fossé n’a été aussi profond entre le judiciaire et l’éducatif. » Tel est le constat alarmant que dresse Alain Bruel dans son ouvrage(1), qui déplore l’absence de réflexion sur le sujet alors que juges des enfants et éducateurs ont à œuvrer en complémentarité, dans le cadre d’un rapport de confiance et d’une responsabilité partagée. L’efficacité de l’intervention reposant sur la « qualité de transmission entre les deux institutions et un accord global sur la stratégie et les moyens », il estime urgent de repenser l’articulation de ces deux approches.

C’est essentiellement dans le registre des placements que la « dialectique » entre judiciaire et éducatif aurait presque disparu. Si les relations entre juges des enfants et équipes de milieu ouvert existent depuis toujours, il n’en va pas de même avec les structures d’hébergement. Souvent sectorisées, mobiles, les premières entretiennent des liens constants avec les magistrats. « Avec le temps, une estime voire une complicité intellectuelle peuvent en découler », affirme le juge. Les structures d’hébergement, en revanche, restent plus distantes du fait de leur éloignement et des contraintes de la vie en collectivité. Les juges méconnaissent, quant à eux, les difficultés liées à l’acclimatation d’un mineur à son nouveau milieu. « Cette ignorance explique sans la justifier certaines attitudes d’indifférence », remarque-t-il. Il peut en résulter de l’incompréhension, de la colère ou de la rancune de la part des équipes éducatives.

Faute de confiance réciproque, à la fin du XXe siècle, « les processus d’admission en étaient venus à dépendre de la seule appétence des mineurs pour le placement envisagé », déplore Alain Bruel. De tels dysfonctionnements ont fini par susciter une réaction politique forte. Des centres de placement immédiat, puis fermés ont été créés ; la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) a été restructurée afin de restaurer le pouvoir hiérarchique ; la formation des éducateurs a valorisé les méthodes inspirées du comportementalisme plutôt que l’approche psychanalytique… « Pire, sous la pression combinée de la demande politique et du rejet de l’environnement, les indications de placement ont cessé de se référer aux besoins et à l’intérêt des jeunes, pour répondre quasi exclusivement à une volonté réactionnelle d’éloignement », dénonce le juge. En outre, « un management particulièrement rigide » a modifié l’état d’esprit au sein de la PJJ, provoquant le départ d’anciens et le recrutement de jeunes plus malléables. Devant l’explosion du nombre des affaires pénales liées à la tolérance zéro, les juges ont en plus peu à peu pris l’habitude de « préférer la solution la plus simple, immédiatement réalisable, à celle mieux adaptée aux besoins mais plus difficile à mettre en œuvre ». Et le fossé entre magistrats et éducateurs s’est encore accru.

Tout espoir n’est cependant pas perdu pour Alain Bruel. La nomination d’une juge des enfants(2) à la tête de la PJJ et le rapport du sénateur Jean-Pierre Michel qui pointe l’altération des relations entre judiciaire et éducatif(3) pourraient relancer les échanges interinstitutionnels. Les techniques de recensement des bonnes pratiques et d’établissement de protocoles pourraient aussi y contribuer même si l’instauration d’un vrai dialogue entre une équipe éducative et un juge au sujet d’un mineur reste la meilleure garantie de succès. D’où l’intérêt, selon Alain Bruel, de repenser les formations des juges et des éducateurs en prévoyant des modules communs et, pour ces derniers, en exigeant une expérience de milieu ouvert avant tout travail en internat.

Notes

(1) Pratiques et évolutions de la justice des mineurs. Aperçus de clinique judiciaire – Ed. érès, 2015.

(2) Catherine Sultan, ancienne présidente de l’AFMJF.

(3) La PJJ au service de la justice des mineurs – Décembre 2013 – Voir ASH n° 2845 du 31-01-14, p. 14.

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