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« Bon anniversaire, Madame la sécurité sociale »

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Julien Damon : Professeur associé à Sciences Po.

Cette année 2015 est pleine d’anniversaires. La France commémore le demi-millénaire de Marignan et le tricentenaire de la disparition du Roi Soleil. Les Anglais célèbrent le bicentenaire de Waterloo (un 18 juin…) et les cent cinquante ans de l’Armée du salut. Dans le champ social, 2015 voit les ASH passer à 60 ans, l’UNAF et les UDAF à 70 ans. Mais c’est surtout la sécurité sociale qui retient l’attention, avec ses 70 ans en octobre. Signalons d’emblée, pour relativiser l’exception sociale française, que les Américains ont salué en août les 80 ans de leur « social security ».

Toujours est-il que 1945 apparaît comme un moment particulier, avec la conjonction de plusieurs facteurs. L’ampleur des destructions et problèmes à résoudre pousse à agir. Au discrédit d’une partie du patronat s’ajoutent de hauts niveaux de syndicalisation, notamment au sein de syndicats favorables à l’idée de sécurité sociale. La volonté d’intégrer la classe ouvrière dans la communauté nationale, en lui confiant la sécurité sociale, passe par l’idée d’une démocratie sociale, afin d’éviter le risque révolutionnaire et la perspective d’une démocratie populaire. Tout ce moment n’est cependant pas sans ambiguïtés – ambiguïtés qui perdureront.

Concrètement, les assurances sociales, créées difficilement après la Première Guerre mondiale, n’ont pas eu l’occasion d’accéder à la maturité avant le second conflit mondial. Un groupe d’experts, dirigé à Londres par Pierre Laroque, va reprendre les textes et logiques d’assurance sociale, mais sous un autre terme, celui de sécurité sociale. Ce n’est pas tant la technique que l’objectif qui est alors mis en avant. La sécurité sociale est un idéal, un horizon, celui de l’ensemble des politiques publiques, et pas uniquement des dépenses sociales. L’ordonnance fondatrice du 4 octobre 1945 crée ainsi un régime général ayant vocation, à terme, à rassembler l’ensemble des actifs. C’est la perspective de généralisation qui constitue la nouveauté de ce texte. Ce ne sont plus certaines catégories de la population qui bénéficient de protections, mais toute la population qui doit être protégée, grâce à un regroupement cohérent des éléments de protection élaborés au cours des décennies précédentes.

Le moment 1945 peut être alternativement présenté comme la rationalisation de mécanismes anciens ou une révolution en termes d’ambition. Les deux options ont leurs partisans. Il importe tout de même de tempérer le culte dont le « modèle de 1945 » fait parfois l’objet. Ni révolution réussie ni simple réorganisation bureaucratique, ce plan consistait en un projet que ses plus fins connaisseurs ont critiqué. L’assurance maladie fut, selon cette ligne de critiques, d’abord aménagée en faveur du corps médical, en confirmant l’exercice libéral. L’assurance vieillesse, avec un âge normal de départ à la retraite à 65 ans, organise un transfert des catégories mal payées et à faible espérance de vie vers les catégories de population qui connaissent cette espérance de vie. L’établissement d’un plafond de cotisations ouvre la voie à des couvertures complémentaires, en particulier pour les retraites.

Les réalisations de 1945 sont fonction des faibles ressources d’un pays qui sort de cinq années de conflit et qui ne dispose pas des moyens pour créer l’institution idéale. Rétrospectivement, on peut s’étonner que les sujets du chômage et de la pauvreté n’aient pas alors fait l’objet d’une reconnaissance en tant que risques sociaux au même titre que les accidents du travail, de la vieillesse, de la maladie et de la famille. Il y a, on le voit, matière à bien des discussions, et pas seulement à célébration.

1945 a ouvert la voie à une séquence jamais terminée de productions normatives et de polémiques idéologiques qui jalonnent depuis l’histoire de la protection sociale française. Le moment 1945 apparaît ainsi remarquable, car fondateur d’une dynamique d’extension. Le système de sécurité sociale s’est en effet étendu, à partir de la matrice déterminée à cette époque, au-delà du strict domaine de la sécurité sociale, pour construire un des systèmes de protections socialisées les plus denses au monde. Et qui mérite, sinon une apologie béate, du moins un temps de mise en perspective.

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