Les questions d’ordre scolaire étant une préoccupation importante des parents adoptifs, Enfance et familles d’adoption (EFA) avait procédé en 2004 à une enquête spécifique auprès de 595 familles sur le parcours de leurs enfants adoptés et biologiques de plus de 6 ans. La scolarité dans le primaire ne pose en général pas trop de problèmes pour les enfants adoptés très jeunes, observe Denise Fichcott, chargée de cette étude(1). Il n’en va pas de même pour les enfants adoptés tardivement. En effet, si les enfants originaires d’Afrique et d’Asie ont été majoritairement scolarisés avant leur adoption lorsque celle-ci intervient à 7 ans et plus, ce n’est pas le cas des enfants d’Europe de l’Est. Toutes origines confondues, plus de la moitié des enfants de plus de 7 ans adoptés à l’étranger ne savent pas lire quand ils arrivent en France (contre 82 % pour ceux qui viennent d’Amérique latine). « Comment pourraient-ils suivre avec profit dans une classe où tous les autres enfants maîtrisent lecture et écriture ainsi que les premières bases du calcul ? », interroge Denise Fichcott. Le problème est que le passage en cours préparatoire (CP) avec un an de retard est en général accepté, alors qu’il est refusé dans la plupart des cas pour un retard plus important. Or mettre les enfants entrés tardivement en adoption dans une classe correspondant à leur âge et non à leur niveau scolaire – ni à leur habitude de la vie en France et, pour certains, dans une famille – peut compromettre définitivement leur scolarité, dénonce l’auteure. A la fin de la 3e, plus de 90 % des enfants biologiques sont orientés vers l’enseignement long, mais seulement 62 % des enfants adoptés avant 3 ans, 43 % de ceux qui l’ont été entre 4 et 6 ans et 24 % des collégiens adoptés après 7 ans.
« L’école est le lieu où s’expriment souvent les vulnérabilités de l’enfant adopté », explique Anne de Truchis, pédiatre, responsable de la consultation « adoption » de l’hôpital de Versailles(2). Difficultés à trouver sa place dans un groupe, dans une relation interpersonnelle avec un ou deux camarades, ou au contraire, « accrochage relationnel » laissant peu de place aux apprentissages, problèmes de concentration et d’attention souvent liés à une adaptation anxieuse : les enfants adoptés « qui ont un vécu de groupe particulier (la vie en orphelinat) ont parfois des résurgences douloureuses qui les empêchent de rentrer dans les apprentissages, développe Anne de Truchis. La relation duelle est le nœud de leur sécurisation et l’école telle qu’elle est proposée aujourd’hui ne peut pas toujours la leur offrir. » Il arrive aussi que certains enfants, dans un désir absolu de plaire aux parents, surinvestissent les apprentissages. « Souvent, l’énergie dépensée à l’école empêche de créer le lien aux parents. » Nouer un lien aussi fort que celui de la filiation nécessite du temps, de la rêverie, de la proximité physique, la possibilité de se constituer des souvenirs ; il faut aussi « des conflits et comprendre comment les résoudre, [et] se dégager des conflits de loyauté vis-à-vis de sa famille biologique ou de son pays de naissance », ajoute la pédiatre. « L’enfant n’a pas “perdu de temps” lorsqu’il n’a pas eu la chance d’être scolarisé, il a vécu et parfois a survécu. Il ne faut pas essayer de rattraper un “niveau”, il faut que l’enfant se pose pour créer des liens », seul moyen d’asseoir sa sécurité interne. Il est important que les parents prennent du temps avec l’enfant avant de le mettre à l’école, « qu’ils diminuent spontanément leurs exigences de travail, quels que soient les résultats », insiste Anne de Truchis.
(1) In Psychologie de l’attachement et de la filiation dans l’adoption – Ouvrage collectif publié sous la direction d’Aubeline Vinay – Ed. Dunod, 2011.
(2) Lors d’une journée d’étude organisée par EFA à Paris le 18 octobre 2013.