C’est l’histoire de Virgil, le Moldave, force de la nature, qui fuit la débâcle postcommuniste d’un pays où les mères vendent les reins de leurs enfants pour payer leurs dettes. Celle d’Assan, le Somalien, qui brave tous les dangers – guerre, passeurs, racket, requins – pour sauver sa fille Iman après le massacre de sa famille. Celle de Chanchal, le Bangladais, désigné pour l’exil par des parents eux-mêmes exploités par des multinationales, à deux pas de leur bidonville de Dacca. C’est l’histoire de trois clandestins réunis par le hasard dans un bidonville de Villeneuve-le-Roi, dans le Val-de-Marne, au début des années 1990. Trois pionniers, premiers échoués « d’une vague immense, d’une hémorragie permanente », qui donnent un nom, un visage et une histoire à ces migrants que « les barbelés, les séparations, les déchirements, les naufrages en mer et les traversées mortelles du désert » ne suffisent pas à décourager. Petit-fils d’une rescapée du génocide arménien, ancien reporter de guerre, directeur éditorial de l’agence de presse Capa, Pascal Manoukian a travaillé en Afghanistan, au Nicaragua et en Bosnie. Les échoués est son premier roman. Porté par une belle écriture jamais maniérée, où pointe une colère sourde, le livre apparaît minutieusement documenté, sans pour autant tourner à la démonstration. De la souffrance de l’exil à l’exploitation des sans-papiers, de l’horreur du voyage à l’extrême solitude des clandestins, tout sonne juste et déchirant. Moins convaincant à partir de la rencontre des personnages avec un couple de bienfaiteurs, le récit est également une profession de foi en faveur du partage et de la solidarité, seuls remparts d’humanité face à l’adversité. Et de cette certitude que « tout ce qui n’est pas partagé perd beaucoup de son goût ».
Les échoués
Pascal Manoukian – Ed. Don Quichotte – 18,90 €