Le grand plaisir de Barbara, c’est d’enfiler ses chaussons le soir, après avoir déployé son duvet dans la cage d’escalier d’un parking public. Avec une couverture pour la chienne, de la musique dans les écouteurs, une grille de sudoku et une paire de chaussons, « on se sent un peu chez soi », raconte la jeune femme, avant de sombrer dans un profond sommeil. Martine, elle, préfère passer la nuit dans les bus. Il y fait chaud et, surtout, elle s’y sent plus en sécurité. Dans la rue, à moins de s’attacher à un compagnon de galère, les femmes sont des proies. Alors quand on la prend pour un homme à cause de sa capuche rabattue sur ses cheveux attachés, Myriam se dit qu’elle a « de la chance ». Comme elles, à Paris, 7 000 femmes vivraient dans la rue. Et deux sans-domicile fixe sur cinq seraient des femmes. Rupture familiale, divorce qui tourne mal, violence, accident de vie, etc., chacune a son histoire. Pendant cinq mois, la réalisatrice Claire Lajeunie est allée à leur rencontre, pour tenter de comprendre comment elles ont basculé et comment elles survivent. Elle en a tiré Femmes invisibles. Survivre dans la rue, un film documentaire diffusé sur France 5 qui, sans répondre à ces questions, effleure pudiquement leur quotidien. Ces journées sans repères, ce temps qui semble se diluer à l’infini sans autre perspective que le lendemain, ce temps qui englue. « On est pris d’une espèce de lourdeur, ça devient difficile de faire des choses », explique Martine, dont la tête bascule sans prévenir dans le sommeil, face à la caméra. « Il faudrait faire des papiers, chercher du travail, mais alors on ne peut pas faire la manche », ajoute Barbara qui, à 26 ans, refuse de demander encore une fois de l’aide à ses parents. Et quand les associations donnent un rendez-vous « à deux semaines », « on a trop le temps d’oublier ». C’est pourtant là que peut se dessiner un avenir meilleur, témoigne Katia, sortie de la rue depuis un an grâce à l’aide d’une assistante sociale. Sevrée des drogues dures et hébergée dans un établissement de l’Armée du salut, la jeune femme est filmée à la maternité, où elle vient de mettre au monde son cinquième enfant. Son premier garçon, et le premier de ses bébés à pouvoir vivre avec elle. Tout simplement « une nouvelle vie », enfin à l’abri.
Claire Lajeunie a eu envie de prolonger cette expérience documentaire auprès des exclues en rédigeant Sur la route des invisibles, un livre où elle s’attarde davantage sur sa démarche, son travail et son ressenti face à ces femmes tombées à la rue, qu’elle décrit tantôt comme « intelligentes, belles, lumineuses » tantôt comme « dures, menteuses », avec des comportements qui les rendent « insupportables ». Ni sociologue ni anthropologue, Claire Lajeunie a voulu « écrire un livre d’“immersion” et d’impressions » sur ces « invisibles » dont elle connaît désormais le visage et le nom.
Femmes invisibles. Survivre dans la rue
Claire Lajeunie – 1 h – Sur France 5, mardi 29 septembre à 20 h 40
Sur la route des invisibles
Claire Lajeunie – Ed. Michalon – 17 €