Recevoir la newsletter

Des citoyens à part entière

Article réservé aux abonnés

Installé dans un village du Calvados d’à peine plus de 500 habitants, le CHRS Le Fil d’Ariane s’est imposé au fil des années comme un acteur de premier plan du tissu rural local. Il a reçu, en 2014, le 4e prix des Trophées régionaux de l’innovation sociale AG2R-La Mondiale.

Dans le tout petit village de Gavrus, à une quinzaine de kilomètres de Caen (Calvados), il n’y a pas d’école, aucun commerce, pas de café, mais un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), Le Fil d’Ariane(1). Propriété de l’Association des amis de Jean Bosco (AAJB), il est installé dans les anciennes dépendances d’un château et accueille principalement des familles avec enfants. Sur le site, il dispose de 13 appartements (huit autres sont situés dans les communes de Caen et d’Hérouville-Saint-Clair, dans les parcs privé et public). Pour des personnes majoritairement habituées à la vie urbaine dans des quartiers populaires, l’installation dans ce CHRS des champs implique un dépaysement qui doit être accompagné. Une attention particulière est portée aux modalités d’entrée. « La visite de préadmission permet de lever un certain nombre de réticences. Toutes les personnes que nous recevons sont en demande d’un logement, personne ne veut un CHRS », explique Muriel Lebarbier, chef de service. Un délai de réflexion d’une semaine à quinze jours est ensuite proposé, au terme duquel la famille candidate reprend contact si elle est toujours intéressée. « Dans des cas exceptionnels, quand nous sentons de grandes difficultés de communication, nous rappelons la famille et lui demandons si elle souhaite toujours venir au CHRS », nuance Raquel Zamorano, intervenante socio-éducative de jour. L’installation est ensuite très encadrée.

Un mois durant, les dîners partagés avec l’équipe

Pendant un mois, week-ends compris, la famille peut venir chercher ses repas le midi et manger à son domicile. En revanche, les dîners sont pris en commun avec les membres de l’équipe éducative de service. Une proximité qui a pour objet d’aider la famille à identifier les fonctions de chacun. « Pendant cette période, nous faisons réellement connaissance », décrit Raquel. Chaque professionnel peut alors cerner les problématiques qui ont besoin d’être travaillées. « Pour ma part, poursuit l’intervenante, je suis chargée de l’accompagnement des familles dans la gestion de leur logement. Les repas pris en commun me permettent déjà de savoir ce qui leur manque – de la vaisselle, par exemple – et de voir quelles peuvent être leurs difficultés. » Si cette étape aide chacun à trouver ses marques, elle n’est cependant pas toujours bien vécue. « Manger avec l’équipe pendant tout un mois, c’était dur, surtout le week-end. C’est très contraignant, on ne peut pas être invité chez quelqu’un, il faut rentrer pour le dîner. C’est pour ma plus grande fille que ça a été le plus difficile. A 21 ans, elle ne supportait pas ce cadre », se souvient Bruno Gaillard, résident au Fil d’Ariane depuis août 2014 et père de trois enfants âgés de 16 à 21 ans. D’autres familles interrogées ont aussi témoigné de la lourdeur de ce processus. « Nous allons prochainement retravailler notre projet de service. Nous questionnerons alors la durée et les modalités de cette période d’accueil. Lors de l’évaluation interne menée au sein de l’établissement, les familles que nous avions interrogées disaient des choses paradoxales : ce temps est lourd mais il a vraiment servi d’amorce au séjour », souligne Muriel Lebarbier.

Pendant ce même mois, se déroulent également trois entretiens obligatoires avec Alexandra Eudes, la psychologue, qui offrent surtout l’opportunité de dédramatiser sa fonction. « Pour de nombreux résidents, comme pour beaucoup de gens, ce sont les fous qui vont voir un psychologue », constate celle-ci. Si le premier rendez-vous réunit toute la famille, ce n’est pas forcément le cas des deux suivants. « En fonction des problématiques qui émergent, je peux continuer à recevoir l’ensemble de la famille, le couple ou un seul des membres », ajoute la psychologue. S’il est important que les nouveaux résidents se familiarisent avec le bureau de la psychologue, les rencontres suivantes – et ce, tout au long du séjour – peuvent se dérouler dans d’autres lieux du CHRS, voire au domicile des résidents.

Le fait de localiser la majeure partie des appartements du Fil d’Ariane dans un village de 565 habitants a impliqué de penser la mobilité des résidents. A peine un tiers des familles disposent d’un véhicule. Et bien que le réseau départemental des Bus verts du Calvados assure la desserte de la commune, il n’existe qu’un seul bus quotidien pour se rendre à Caen. Le CHRS a donc été obligé de mettre en place un système de navettes. Ainsi, une « plateforme chauffeurs » prend en charge non seulement les besoins du CHRS, mais aussi celui des ateliers formation – un autre service du secteur insertion situé au même endroit. Deux chauffeurs-chargés d’entretien sont salariés en contrat à durée indéterminée par le CHRS, tandis que cinq autres, en contrats aidés, sont employés par les ateliers formation. « Beaucoup de participants aux ateliers formation vivent à Caen et ne disposent pas d’un véhicule. Il a donc fallu penser leur acheminement sur les sites de travail. Nous avons décidé de mutualiser les véhicules pour répondre au mieux au besoin des résidents du CHRS et des ateliers formation », explique Carine Seguin, intendante du CHRS et responsable de cette plateforme de chauffeurs. Quatre départs de navettes sont effectués à heures fixes, entre 7 heures et 17 heures, et des véhicules à la demande peuvent aussi répondre aux besoins des familles. Seule contrainte, il faut s’inscrire en amont. Le service met aussi une Clio à la disposition des résidents. « Un contrat de location-prêt est possible. Il est lié à des démarches d’insertion professionnelle », ajoute la responsable.

Un atelier bien-être pour les résidentes

Pour l’équipe, la réinsertion sociale ne se limite évidemment pas aux seules démarches administratives ou d’insertion professionnelle. Depuis le début 2014, un atelier bien-être est proposé aux résidentes du CHRS. « Il est parti du constat que les femmes hébergées dans l’établissement n’avaient pas de temps pour elles, qu’il n’existait pas de relais dans la prise en charge des enfants », raconte Muriel Lebarbier. Beaucoup souffraient d’un énorme manque d’estime d’elle-même. « Pendant plusieurs années, avec une de mes collègues, nous avons réalisé des accompagnements individuels dans des lycées professionnels de coiffure, chez un dermatologue. Une socio-esthéticienne se rendait aussi parfois au CHRS », poursuit Marion Lhermitte, éducatrice spécialisée.

Ce n’est qu’à la fin 2013 que ces accompagnements se sont transformés en démarche collective. Pour cela, il a d’abord fallu aménager un lieu dédié. Les locaux du CHRS étant très vastes, un appartement d’urgence rarement utilisé a été transformé en espace bien-être. Les résidentes ont été très largement associées à ce projet. Pendant cinq mois, elles ont réfléchi à la décoration, ont restauré des meubles, fait le tour des pharmacies et autres magasins de produits de beauté pour obtenir des échantillons et des dons. « Notre budget était à l’origine de 200 €. A la suite d’un appel à projets de l’ARS, nous avons obtenu 2 000 € », se souvient Marion Lhermitte. Des conjoints ont aussi participé à cette rénovation. « Cela a permis à certaines femmes de se sentir autorisées à prendre ce temps pour elles », ajoute l’éducatrice.

Si l’espace bien-être ouvre ses portes deux fois par mois à toutes les personnes intéressées, un groupe fixe de cinq femmes a toutefois été constitué. Pendant cinq mois, une fois par mois, celles-ci vont rencontrer la socio-esthéticienne. Et, régulièrement, se tiennent des ateliers dédiés à l’alimentation, animés par une conseillère en économie sociale et familiale (CESF). En point d’orgue de toute cette action, un groupe de trois femmes accompagnées de deux professionnelles a participé à l’épreuve de marche de la Rochambelle, une course qui se déroule depuis plusieurs années à Caen pour mobiliser contre le cancer du sein. Par ailleurs, un autre petit groupe de quatre femmes se sont rendues ensemble au restaurant. « Nous avons choisi d’aller dans le centre de Caen – un endroit où, souvent, elles n’osent pas aller. » La subvention de l’agence régionale de santé venant d’être reconduite, les modalités du projet vont devoir être affinées. « Nos résidents restent en moyenne dix-huit mois dans la structure. Même si un groupe fixe crée un véritable cadre de confiance, il est difficile à inscrire dans la durée », précise Marion Lhermitte.

Accompagner vers l’extérieur

Pas question de rester confiné dans l’espace verdoyant du CHRS : les résidents sont largement accompagnés vers l’extérieur (activités sportives et associatives). « Cette ouverture vers l’extérieur est indispensable pour préparer la sortie, mais un accompagnement est souvent nécessaire. Non seulement beaucoup de résidents ne savent pas chercher l’info, mais ils ne se sentent pas autorisés à participer », insiste Muriel Lebarbier. C’est ainsi qu’un des éducateurs a accompagné trois résidents du CHRS à un « Repair-café. » Proposé par la Générale Marabille, une association écocitoyenne de l’agglomération caennaise, cet atelier entend aider des particuliers à réparer leur petit électroménager défectueux. L’un des résidents s’est montré intéressé par cette démarche au point de participer à plusieurs ateliers, et a même proposé à l’association de venir en animer un à Gavrus. Dans la salle des fêtes, mise pour l’occasion à disposition par la municipalité, des résidents du CHRS ainsi que d’autres habitants de la commune ont réparé ensemble. « Cela a été un vrai succès, se félicite Astrid Tesson, éducatrice spécialisée au CHRS. L’association a proposé au résident à l’origine de sa venue de s’investir en son sein. Comme il reprenait une formation via l’AFPA, cela n’a pas été possible, mais tout cela a été toutefois très bénéfique pour lui, il a énormément gagné en confiance », poursuit-elle. « Il est beaucoup plus dans l’échange et moins dans la colère. Il supporte davantage qu’on lui dise non », renchérit Alexandra Eudes, la psychologue.

L’insertion dans le tissu local rural est particulièrement réfléchie au sein du Fil d’Ariane. « Quand j’ai été élu maire en 1983, le “Château” était clôturé par un mur de près de 1,70 m auquel s’ajoutait une importante haie d’arbres. Il était donc à part du village et l’objet de beaucoup d’a priori des autres habitants », se souvient Philippe Bouchard, le maire de Gavrus. Au début des années 1990, le mur a été abattu, tout comme la haie. Le grillage aussi a disparu. En octobre 2014, l’aire de jeux du CHRS a été rénovée. Située à l’arrière de la mairie, elle fait un trait d’union avec le reste du village et est aussi bien utilisée par les enfants vivant dans le CHRS que par ceux du village. Après l’école, les parents qui les accompagnent se côtoient. Pas question de positionner simplement ses résidents comme des consommateurs de services, le CHRS s’implique dans la vie de la commune et des environs.

L’an dernier, en amont des Jeux équestres mondiaux qui se sont tenus en Normandie à la fin août, la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) avait lancé un appel à projets intitulé « Le Pied à l’étrier ». Il avait pour ambition d’associer à l’événement les publics les plus éloignés des sports équestres et de ce type de manifestations sportives. « Quand je suis rentrée de la réunion de présentation, j’ai regretté que ces événements soient seulement pensés à destination des quartiers “politique de la ville”, et pas du tout en zone rurale, raconte Muriel Lebarbier, la chef de service. Avec mon équipe, nous avons donc décidé de présenter un projet de ranch éphémère sur le site. » Invitée au CHRS, la chargée de mission de la DRJSCS a été séduite par le lieu et le projet. Une enveloppe supplémentaire ayant été accordée, Le Fil d’Ariane a pu accueillir un ranch pendant deux jours, les 20 et 21 juin 2014. « Pour cela, nous avons travaillé avec d’autres structures des environs (EHPAD, institut thérapeutique éducatif et pédagogique) », précise Muriel Lebarbier. « Depuis des années, nous organisons avec la municipalité une fête de Noël pour les enfants du village et du CHRS, il nous a semblé naturel de les associer à la préparation du ranch », poursuit-elle. En amont de l’événement, un groupe de travail comprenant des résidents avait été mis en place afin de l’organiser. Les différents ateliers formation avaient, eux aussi, participé à sa réalisation.

Créer des espaces de rencontre

Lors de ces deux journées, tout le monde était sur le pont pour accueillir les visiteurs. Pour l’occasion, la DRJSCS avait édité des t-shirts avec le logo du Pied à l’étrier et l’inscription « Staff » à l’arrière, que tous les résidents impliqués ont revêtus. « Cela a été un élément de reconnaissance très important pour nos résidents. Aux yeux des visiteurs, ils n’étaient plus les habitants d’un CHRS avec les représentations qui y sont associées, mais les organisateurs de l’événement », ajoute Muriel Lebarbier. « On a promené les enfants en poneys, il y avait des gens très différents, des personnes âgées, des enfants. On a pu partager des choses avec eux », se souvient avec plaisir Evelyne Desfaudais, résidente. Le succès de cette initiative a valu au CHRS le 4e prix des Trophées régionaux de l’innovation sociale AG2R-La Mondiale.

Pour les résidents, il ne s’agissait pas d’en rester là. « Ceux qui ont participé à l’organisation du ranch sont venus me voir pour me dire qu’il fallait qu’on recommence l’année d’après. Je leur ai expliqué qu’il s’agissait d’un événement unique. Nous avons donc décidé de proposer à la municipalité de co-organiser cette année la Fête de la musique pour le 7 juin », poursuit Muriel Lebarbier. « Cette co-organisation permet des économies d’échelle pour la commune, mais cet élément est moins déterminant que la volonté de créer des espaces de rencontre », se félicite Philippe Bouchard, le maire. A cette fin, des résidents du CHRS, les membres de l’association d’animation locale La Gavroche et des représentants de la municipalité se sont réunis au sein d’un comité de pilotage. Lequel était animé par Maïwen Amard et Mathilde Dufour, deux stagiaires de l’établissement, étudiantes en troisième année de la formation d’éducateur spécialisé pour l’une et d’assistant de service social pour l’autre. Les crêpes et les gâteaux vendus au cours de la fête ont été préparés sur place, dans les cuisines des ateliers formation. De plus, les résidents du CHRS et des habitants de la commune ont œuvré ensemble dans les différents stands. Pour Elisa Andrade, conseillère municipale de Gavrus chargée de la commission « fêtes et cérémonies », le bilan est très positif. « En offrant un temps convivial autour d’un repas commun, la Fête de la musique mélange les deux populations. Cela permet de lever de nombreuses appréhensions », se réjouit-elle.

Quelques jours après, le 12 juin dernier, en partenariat avec le réseau d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP) du Calvados, le CHRS a organisé la première d’une série de trois conférences consacrées à l’éducation. Intitulée « Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent », elle était consacrée à la communication adultes-enfants. Un thème qui a séduit Ludovic Fileux, 39 ans, résident et père de trois enfants, au point de lui donner envie de s’investir dans la préparation de l’événement. Il a distribué des flyers dans les boîtes aux lettres et comptait reprendre sa distribution en fin d’après-midi quand il aurait récupéré ses enfants à la descente du car de ramassage scolaire. Le soir de la réunion, dans la salle des fêtes de Gavrus, pas moins d’une soixantaine de personnes ont participé à l’événement, parmi lesquelles cinq ou six familles résidant au CHRS. « En tant que parents, des fois, quand on dit qu’on vit dans un CHRS, les gens ont un mouvement de recul, on est assimilés à des “cas sociaux”, dénonce Ludovic Fileux, amer. Je l’ai ressenti quand je suis allé inscrire mes enfants à l’école d’Evressy. Quand j’ai dit que j’étais au CHRS, ce n’était plus la même manière de me parler. On aurait dit que j’étais un enfant. » Jeux équestres, Fête de la musique ou conférences sur l’éducation, ces réussites sont autant de revanches pour des résidents qui veulent être considérés comme des citoyens à part entière.

Notes

(1) CHRS Le Fil d’Ariane : 3, rue du 8e-Royal-Scots – 14210 Gavrus – Tél . 02 31 29 31 50 – si.chrsinsertion@aajb.asso.fr.

Vos pratiques

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur