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Recommandations de l’ANESM : des outils et non des normes

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En précisant dans une note que les recommandations de bonnes pratiques professionnelles n’ont pas de valeur impérative (voir ASH n° 2921 du 21-08-15, page 43), la direction générale de la cohésion sociale va dans le sens de la philosophie défendue par l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM), se félicite Michel Boudjemaï, évaluateur externe et formateur consultant(1). Ce qui n’empêche pas ces recommandations de constituer des repères incontournables pour l’action.

« Les recommandations de bonnes pratiques professionnelles (RBPP) élaborées ou validées par l’ANESM ont-elles une valeur contraignante ? La doctrine semble divisée à ce sujet.

Les RBPP trouvent leur source dans le code de l’action sociale et des familles (CASF). D’une part, l’article L. 312-8 dispose clairement que tous les établissements et services sociaux et médico-sociaux relevant du code susvisé doivent procéder à une “évaluation de leurs activités et de la qualité des prestations qu’ils délivrent, au regard notamment de procédures, de références et de recommandations de bonnes pratiques professionnelles validées ou, en cas de carence, élaborées, selon les catégories d’établissements ou de services, par l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux”.

D’autre part, l’annexe 3-10 du même code fixant le contenu du cahier des charges pour la réalisation des évaluations externes contient des références explicites aux RBPP. En effet, l’évaluateur externe doit s’intéresser à la manière dont l’établissement faisant l’objet de l’évaluation prend en compte lesdites recommandations. Par ailleurs, le respect des critères énoncés par les RBPP guide l’évaluateur externe dans sa démarche évaluative. Enfin, l’arrêt du Conseil d’Etat du 23 décembre 2014 semble, quelque peu, confirmer cette analyse. En l’espèce, une recommandation portant sur l’“Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent” a été conjointement élaborée par la Haute Autorité de santé (HAS) et l’ANESM. L’Association lacanienne internationale a demandé l’annulation de cette recommandation au motif que la procédure d’adoption par l’ANESM n’aurait pas été respectée puisque le conseil scientifique de l’agence aurait dû être consulté préalablement. Pour le Conseil d’Etat, ce défaut de consultation “a privé d’une garantie les établissements et services auxquels la recommandation peut être opposée”, c’est-à-dire que son non-respect constituerait, d’une certaine manière, une infraction à la loi. Par conséquent, la recommandation est annulée mais uniquement pour les ESMS(2) : l’irrégularité procédurale ne s’applique pas aux établissements de santé puisque la HAS a, de son côté, respecté la procédure prévue par la loi pour la consultation de ses membres. La référence au caractère opposable de cette recommandation combinée aux dispositions précitées du CASF amène certains auteurs à en déduire le caractère contraignant des RBPP pour les ESMS. Autrement dit, celles-ci auraient une valeur normative, ce qui reviendrait à les “assimiler à la loi” et donc à les rendre obligatoires.

Améliorer la qualité

Un document intitulé “Procédure d’élaboration des recommandations de bonnes pratiques professionnelles” a été élaboré par l’ANESM en octobre 2014(3). On peut y lire le passage suivant : “Les recommandations de bonnes pratiques professionnelles sont des repères, des orientations, des pistes pour l’action destinées à permettre aux professionnels de faire évoluer leurs pratiques pour améliorer la qualité des prestations rendues aux usagers et de mettre en œuvre la démarche d’évaluation interne. Elles ne sont ni des dispositions réglementaires, ni un recueil des pratiques les plus innovantes et ne sont pas à prendre en tant que telles comme un référentiel d’évaluation pour le secteur social et médico-social. Elles représentent l’état de l’art qui fait consensus à un moment donné. Une pratique n’est pas bonne dans l’absolu. Elle l’est par rapport à un objectif à atteindre, dans un contexte donné et à un moment donné, en fonction des connaissances existantes. Si elle cible des pratiques précises, une recommandation n’a pas pour but d’apporter des solutions clés en mains. La démarche retenue permet ainsi de développer un corpus de connaissances qui sert de références aux professionnels.”

Il résulte clairement de cet extrait que les RBPP ne sont pas à considérer comme du droit puisqu’elles n’appartiennent pas au corpus des règles juridiques (lois, décrets, arrêtés…). L’analyse des différentes recommandations met également en évidence leur absence de valeur contraignante, puisque bon nombre d’entre elles contiennent, généralement en annexe, des “éléments pour l’appropriation de la recommandation”. L’appropriation est à distinguer de l’application pure et simple. On trouve d’ailleurs dans les RBPP des formules précisant qu’elles “constituent des points d’appui et de repères pour chaque établissement-service et sont destinées à une mise en œuvre adaptée selon les publics accueillis et les missions des structures” (4) ou encore qu’elles constituent “des repères non exhaustifs, établis dans la perspective d’améliorer la qualité de l’accompagnement” (5). Pour toutes ces raisons, nous pensons que les recommandations ne peuvent être considérées comme ayant une valeur contraignante d’un point de vue strictement juridique.

Les ESMS s’appuient sur les recommandations dans la mesure où les évaluateurs externes doivent également s’y référer comme le stipulent les dispositions du CASF. De fait, elles acquièrent une valeur incontournable. Nous pensons que les recommandations ont vocation à ouvrir des champs de réflexion afin d’améliorer la qualité des prestations délivrées aux usagers. C’est là que se situe leur seule valeur “contraignante”. Personne ne demande aux ESMS de transposer une RBPP en l’état. Ce qui est attendu, en revanche, c’est sa prise en compte dans les modalités de réponses apportées aux usagers(6) par l’établissement ou le service. Ce qui indirectement signifie que les ESMS ont une obligation de moyen et non de résultat quant à l’application des recommandations.

Une référence parmi d’autres

Le Conseil d’Etat a toujours considéré que les recommandations élaborées par la HAS constituaient des “données acquises de la science”(7) et non pas des normes juridiques. En revanche, elles s’imposent “indirectement” aux médecins qui, en vertu de leur code de déontologie, doivent prodiguer des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données de la science. Pour autant, la non-application des recommandations par le médecin n’entraînera pas automatiquement sa responsabilité juridique(8). A l’inverse, si les techniques utilisées sont moins actuelles que celles qui sont préconisées par la recommandation, la responsabilité du médecin pourra être établie en cas de dommage au patient(9). Néanmoins, les recommandations de bonnes pratiques ne constituent pas les seules références à examiner pour s’assurer de l’application des règles de l’art par un professionnel de santé. D’autres sources médicales peuvent être mobilisées comme les conférences de consensus(10). Ce raisonnement ne peut s’appliquer au secteur social et médico-social puisque les recommandations de l’ANESM ne peuvent être qualifiées de “scientifiques” au sens strict. Il s’agit de repères, d’orientations, de pistes à destination des professionnels afin d’améliorer la qualité des prestations délivrées à l’usager.

En l’absence d’un code de déontologie applicable uniformément aux travailleurs sociaux et médico-sociaux, on ne peut attribuer une valeur contraignante aux recommandations. De plus et surtout, un tel raisonnement consisterait à inscrire le travail social dans une logique de standardisation des accompagnements et des prises en charge. A l’heure où l’on nous parle de manière récurrente de personnalisation et d’individualisation, cela semblerait quelque peu contradictoire, voire constituer une injonction paradoxale.

Les RBPP doivent rester dans le registre des outils qui ont pour effet juridique exclusif de nous obliger à remettre l’ouvrage sur le métier afin d’éviter toute forme d’enfermement. C’est en ce sens seulement qu’elles sont obligatoires. Leur caractère obligatoire est davantage lié à leur connaissance et à leur prise en compte dans un projet général visant l’amélioration de la qualité des prestations délivrées à l’usager qu’à son usage effectif. Un évaluateur externe peut donc repérer un écart dans le fait qu’un ESMS ne prenne pas en compte une recommandation de l’ANESM. Pour autant, il ne peut déduire de ce seul constat un manquement aux objectifs d’amélioration de la qualité préconisée par la loi 2002-2. Il lui faudra pour cela s’appuyer sur d’autres éléments. De la même manière et pour les mêmes raisons, les administrations de tutelle (conseil départemental, agence régionale de santé…) ne pourront invoquer le caractère normatif des recommandations de bonnes pratiques pour justifier, par exemple, un refus de renouvellement d’autorisation. Là encore, d’autres éléments objectifs seront nécessaires pour éviter la censure du juge. »

Notes

(1) Egalement formateur à l’IRTS de Champagne-Ardenne et auteur de Secret et discrétion professionnels, le partage d’informations dans le champs social et médico-social – Ed. ASH Professionnels, 2015 – www.ash.tm.fr ou www.wkf.fr.

(2) Voir ASH n° 2890 du 2-01-15, p. 24. La recommandation a été adoptée à nouveau dans les formes par l’ANESM le 26 janvier dernier – Voir ASH n° 2895 du 30-01-15, p. 45.

(3) Disponible sur www.anesm.sante.gouv.fr.

(4) « Les attentes de la personne et le projet personnalisé » – Décembre 2008.

(5) « Qualité de vie en EHPAD (volet 2). Organisation du cadre de vie et de la vie quotidienne » – Juin 2011.

(6) Annexe 3-10, section 3, 8° de l’article L. 312-8 du CASF.

(7) Conseil d’Etat, 27 avril 2011, « Association pour une formation médicale indépendante », requête n° 334396.

(8) Conseil d’Etat, 5 juin 2002, requête n° 208768.

(9) Cour administrative d’appel de Lyon, 18 janvier 2005, requête n° 02LY01374 ; dans le même sens, Conseil d’Etat, 12 janvier 2005, requête n° 256001.

(10) Cour administrative d’appel de Paris, 26 février 1998, requêtes n° 96PA04239 et 97PA02207.

Contact: mboudjem@club-interner.fr

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