Appeler à « la solidarité citoyenne pour s’occuper des mineurs isolés étrangers, dans le cadre réglementaire de la mission [du département] de protection de l’enfance », en confiant une partie de ces jeunes privés d’autorité parentale et en danger à des familles volontaires. C’est une initiative lancée le 11 septembre par le conseil départemental de Loire-Atlantique, non sans susciter nombre d’interrogations de la part des professionnels de la protection de l’enfance et du secteur associatif, alors que, durant l’été, le département s’est vu condamner plusieurs fois pour non-mise à l’abri de mineurs. Entre la fin juillet et la fin août, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rendu 14 ordonnances enjoignant au conseil départemental d’assurer dans les 24 heures l’hébergement de mineurs isolés – soutenus par la Cimade et Médecins du monde –, qui s’étaient vu refuser un accueil d’urgence dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance. Dans plusieurs cas, ces décisions ont été assorties d’astreintes financières.
Le résultat, selon le conseil départemental, de l’embolisation de son dispositif d’accueil. « Le département accueille aujourd’hui 270 mineurs isolés étrangers, contre 51 en 2011, précise-t-on au cabinet de Philippe Grosvalet, président (PS) du conseil départemental. Face à cette arrivée importante, 25 places supplémentaires ont été créées à l’automne 2014, puis 40 autres en juin dernier, en foyer, en hôtel ou en appartement. Sauf qu’à partir de mi-juillet, le dispositif s’est trouvé sous tension de manière inattendue. Les trois premiers jeunes qui ont fait condamner le département ont été hébergés dans la semaine qui a suivi le jugement, sachant que, parallèlement, il y a eu d’autres mises à l’abri », cette fois quand les ordonnances de placement provisoire du parquet ont été exécutées.
Plus aucun mineur isolé étranger ne serait à la rue, selon le conseil départemental, à moins que, nuance la Cimade, certains « ne se soient pas présentés ou soient sortis du dispositif ». Mais tandis que l’association regrette un « bras de fer » juridique durant tout l’été, accompagné d’interpellations publiques, pour contraindre le département à assumer ses responsabilités, ce dernier estime faire les frais du manque de solidarité interdépartementale. Nombre de jeunes étaient, durant l’été, toujours en attente d’une « réorientation » après la phase d’évaluation de leur situation financée par l’Etat (cinq jours), explique-t-il, ce qui avait contribué à saturer le dispositif d’accueil. La Loire-Atlantique figure en outre parmi les premiers territoires en termes d’arrivées, alors que nombre de départements rechignent toujours à accueillir des mineurs isolés étrangers, selon le système prévu par la circulaire de la garde des Sceaux du 31 mai 2013.
Si, après le recours d’une dizaine de départements, le Conseil d’Etat a censuré, au début de l’année, les dispositions de ce texte portant sur les critères de répartition des mineurs isolés, le principe de l’orientation du jeune, au regard de son intérêt supérieur, et le fonctionnement de la cellule créée à cet effet subsistent(1). Pour autant, témoigne en effet la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, « les orientations proposées par la cellule sont parfois remises en cause par les départements qui estiment que leur dispositif d’accueil des enfants en danger est saturé » et « les départements dans lesquels les mineurs isolés arrivent en plus grand nombre ne parviennent pas toujours à les réorienter et n’acceptent plus, à leur tour, d’accueillir des enfants d’autres départements ». La proposition de loi relative à la protection de l’enfant, en cours d’examen au Parlement, prévoit de donner une assise législative au système de répartition des mineurs isolés étrangers entre les départements.
La situation de la Loire-Atlantique semble donc être emblématique des tensions qui perdurent. Dans ce contexte, faire appel à des familles bénévoles n’est-il pas pour le département un moyen de soulager son dispositif d’accueil à moindres frais ? « L’objectif de l’expérimentation est d’ajouter un dispositif à la palette des réponses, de façon complémentaire, dans une situation d’urgence, pour de grands adolescents dont les besoins sont différents de ceux accueillis dans le cadre général de la protection de l’enfance, répond-on au conseil départemental. Ce ne sera pas la seule solution, il ne s’agit pas de la proposer à tous les mineurs isolés. » Le département prévoit ainsi de faire accueillir une vingtaine de jeunes de 15 à 17 ans, dont la minorité a été reconnue, chez des familles volontaires indemnisées, accompagnées par les professionnels chargés de la protection de l’enfance. Les mineurs resteront placés sous la responsabilité du département, qui assurera leur suivi éducatif, social et administratif, assure-t-on au cabinet du président, précisant que « des discussions avec des associations sont en cours pour accompagner les familles ». Lesquelles seront sélectionnées après des entretiens collectifs et individuels, et une évaluation sociale. Une réponse qui ne convainc pas du tout les associations, comme la Cimade. « L’accueil familial existe déjà, dans le cadre du dispositif de droit commun de protection de l’enfance » et représente, dans certains départements, une part significative des modes d’accueil des mineurs isolés étrangers, rétorque Marie Hénocq, déléguée régionale de la Cimade Bretagne-Pays-de-Loire, jugeant par ailleurs « mal venu de surfer sur la vague d’émotion actuelle » à l’égard des réfugiés. « Pour les étrangers, encore une fois, on applique le droit commun, mais pas tout à fait… », ajoute-t-elle. Mêmes réserves du côté de la Fédération nationale des assistants familiaux : « Cela représente une façon de libérer des places, une discrimination pour les jeunes qui ne seront pas entourés par des professionnels, à qui on demande par ailleurs beaucoup d’écrits dans le cadre des suivis, critique Michelle Babin, présidente de la fédération, tout en précisant que certains départements sont confrontés à la baisse des demandes d’agrément d’assistants familiaux. Et comment ces bénévoles seront-ils assurés ? Sans statut, ils ne cotiseront pas à la retraite. L’accueil d’autres jeunes, en dehors du dispositif, sera-t-il contrôlé, comme c’est le cas avec l’agrément d’assistant familial ? » Jean-François Martini, juriste au GISTI, estime pour sa part que « toutes les modalités sont possibles, dès lors que la qualité du suivi est assurée. Il ne s’agit pas de transférer la charge de travail vers les familles bénévoles ou de les réduire à un rôle de gardiennage. Quid d’ailleurs de l’après-majorité ? Il y a des familles d’accueil qui se trouvent en position délicate aux 18 ans et un jour du jeune, car elles ne sont plus financées… »
Le département de Loire-Atlantique, de son côté, se donne jusqu’à la fin de l’année pour établir un premier bilan du dispositif, qui, selon lui, s’apparente plutôt au recours à un « tiers digne de confiance », dont le développement pour les mineurs en danger est préconisé par la secrétaire d’Etat à la famille, dans le cadre de la réforme de protection de l’enfance, et par le défenseur des droits(2). Lequel, néanmoins, préconise de clarifier le cadre juridique de ce type de placement, en général chez des proches de l’enfant.