« C’est un fait : notre code du travail est devenu un ensemble trop complexe, parfois même illisible », a déploré Manuel Valls en recevant, le 9 septembre, le rapport de Jean-Denis Combrexelle(1), président de la section sociale du Conseil d’Etat et ancien directeur général du travail. Dressant un bilan mitigé du fonctionnement de la négociation collective, le rapport présente une réforme visant à la renforcer en s’appuyant sur deux axes : créer chez les partenaires sociaux, les chefs d’entreprise et les salariés les conditions d’un besoin, d’une volonté de négociation, et ouvrir de nouveaux champs de négociation avec une répartition « plus équilibrée » entre ce qui relève du code du travail et ce qui relève des accords collectifs de branche ou d’entreprise.
Les 44 propositions de ce rapport, qui doit servir de base à une réforme du droit du travail, donneront lieu à une concertation entre les partenaires sociaux et Myriam El Khomri, la nouvelle ministre du Travail, jusqu’au début du mois d’octobre. A l’issue de cette première étape, un projet de loi sera élaboré et voté d’ici à l’été 2016, a annoncé le Premier ministre.
« Le nombre des pages du code du travail est devenu un objet médiatique symbolisant aux yeux de certains à lui seul tous les travers de la société française », regrette le rapport. Cependant, « ses réformes successives qui s’accumulent par strates et qui ont tendance à s’accélérer posent à l’évidence une question d’adaptation et d’effectivité ». La commission « Combrexelle » propose donc, à moyen terme, c’est-à-dire dans un délai de quatre ans, une nouvelle architecture du code du travail faisant le partage entre les dispositions impératives, le renvoi à la négociation collective et les dispositions supplétives en l’absence d’accord.
Pour y parvenir et revenir à un code du travail « plus équilibré », trois scénarios sont envisageables. Il y a le scénario « pointilliste » définissant la liste des dispositions législatives et réglementaires du code du travail devant être abrogées ou modifiées, le scénario « global » d’une réécriture complète et immédiate du code du travail, et le scénario « dynamique » visant à enclencher rapidement une démarche de négociation. Le rapport retient ce dernier scénario qui viserait à très court terme, c’est-à-dire dans le courant de l’année 2016, à cibler les domaines sur lesquels, du point de vue social et économique, il y a une urgence à développer la négociation collective et à adapter, en conséquence, les dispositions du code du travail. Pour ce faire, le groupe de travail propose d’étendre les champs de la négociation dans les accords sur les conditions de travail, le temps de travail, l’emploi et les salaires, désignés par le rapport sous l’acronyme « ACTES ». Dans chacun de ces pans, le droit positif se caractérise par une « très forte imbrication » de la norme unilatérale (loi et règlement) et du renvoi à la négociation. Le travail de clarification proposé par le rapport consiste à établir, pour chacun de ces « piliers », ce qui relève de l’ordre public (principes fondamentaux communs à tous les salariés) et ce qui relève de la négociation. Si le gouvernement souhaite donner plus de latitude aux entreprises et aux salariés pour décider des politiques qui les concernent, « un socle commun est [néanmoins] indispensable, a affirmé le Premier ministre. Il y a des principes et des droits fondamentaux qui s’appliquent à tous les salariés : durée légale du travail, CDI [contrat à durée indéterminée], SMIC […], le principe de non-discrimination ou le repos hebdomadaire. » Ainsi, « il ne saurait être question de modifier par accord le seuil de déclenchement des heures supplémentaires », a indiqué Manuel Valls.
Pour la mission « Combrexelle », le code du travail devrait fixer seulement les grands principes. Le rapport recommande de stabiliser le flux de textes normatifs sur le travail et de limiter le nombre de réformes législatives en fixant un agenda social annuel. En outre, l’adoption d’une nouvelle disposition du code de travail devrait entraîner l’abrogation d’une disposition devenue obsolète.
Par ailleurs, dans le cadre du champ « ACTES », les branches auraient la mission de définir l’« ordre public conventionnel » qui s’applique à l’ensemble des entreprises du secteur et opposable, sous réserve de l’application du principe de faveur(2), à l’ensemble des accords d’entreprise. Elles proposeraient aussi des accords d’entreprise types aux très petites entreprises, qui seraient dans l’impossibilité d’élaborer elles-mêmes de tels accords.
En parallèle, le rapport propose de restructurer les branches. Cela passerait par le rattachement, dans un délai de trois ans, de toutes celles qui représentent moins de 5 000 salariés à une convention collective d’accueil. Ainsi serait atteint l’objectif d’une centaine de branches au début des années 2020. Un objectif bien accueilli par le Premier ministre qui souhaite « accélérer la réduction du nombre de branches professionnelles. Il y en a aujourd’hui 750, c’est beaucoup trop », a-t-il déploré.
Selon le rapport, l’accord d’entreprise serait la norme prioritaire, à condition qu’il respecte les principes fondamentaux fixés par le code du travail et les branches et qu’il s’agisse d’un accord majoritaire. A défaut d’accord d’entreprise, ce sont les dispositions supplétives prévues dans l’accord de branche qui s’appliqueraient, ou, en l’absence d’accord de branche, celles du code du travail.
Une autre proposition notable concerne l’articulation entre l’accord collectif et le contrat de travail. Un accord qui préserverait directement l’emploi des salariés primerait sur le contrat de travail. Le salarié qui refuserait de se plier à la règle négociée commune qui a pour seul objet de préserver l’emploi de la communauté de travail devrait pouvoir être licencié pour un motif économique tenant à la situation de l’entreprise, la cause réelle et sérieuse étant présumée. Le régime indemnitaire serait spécifique à cette situation et devrait être moins attractif que celui qui est prévu par le droit commun en cas de licenciement pour motif économique.
Le rapport suggère d’adapter la durée des accords pour s’adapter à l’évolution de l’entreprise. Actuellement, les accords sont à durée indéterminée. Le code du travail prévoirait que les accords soient conclus pour une durée maximale de quatre ans, sauf mention explicite de l’accord. Il ne serait pas possible de contourner cette contrainte par une clause de tacite reconduction.
Pour la commission « Combrexelle », il faudrait également revoir les règles de révision des accords qui, depuis la loi du 20 août 2008 sur la représentativité syndicale, peuvent rendre la révision des accords difficile, voire impossible. En effet, actuellement, un accord ne peut être révisé que si les organisations signataires représentent 30 % des suffrages exprimés. Or, à l’issue des élections professionnelles dans l’entreprise ou du cycle de représentativité dans une branche, les syndicats signataires peuvent être dans une situation où ils n’atteignent plus ce seuil de 30 %.
Par ailleurs, le rapport propose que tout accord collectif, pour être valide, soit nécessairement signé par des syndicats qui représentent plus de 50 % des salariés, au lieu de 30 % aujourd’hui. Manuel Valls s’est dit prêt à aller dans cette voie, estimant que « pour mettre les partenaires sociaux devant leurs responsabilités, il faut faire en sorte que les signataires d’accords soient pleinement représentatifs ».
En outre, les accords collectifs devraient tous être accompagnés d’accords de méthode, comprenant le calendrier de la négociation, les documents et données économiques et sociales permettant de bien comprendre le contexte de la négociation, etc. Pour ne pas installer une insécurité juridique, il n’y aurait pas, dans un premier temps du moins, de nullité de l’accord en cas d’absence d’accord de méthode, préconise la commission « Combrexelle ».
Le rapport insiste aussi sur la nécessité d’assurer une formation de qualité au dialogue social dans les écoles et universités et de sensibiliser les professionnels. Il propose ainsi la mise en place de formations communes aux syndicats et aux entreprises sur la base d’un cahier des charges établi par l’Etat. Ces formations auraient un contenu juridique, mais aussi social et économique.
(1) Rapport disponible sur
(2) C’est-à-dire sous réserve que cet « ordre public conventionnel » soit plus favorable que l’accord d’entreprise.