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Lever les blocages à la GPEC dans le secteur social et médico-social

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Les bouleversements de la société rendent aujourd’hui incontournable la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) dans les établissements, défend Jean-René Loubat, psychosociologue-consultant(1). Mais encore faut-il libérer les marges de manœuvre de leurs dirigeants, entravées, selon lui, par la culture administrative et les conservatismes du secteur.

« La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC pour les initiés) figure depuis quelque temps dans le glossaire des dirigeants des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). Pourtant, elle rencontre vite des limites dans un secteur largement phagocyté par une économie administrée et marqué par un corporatisme historique. Ce n’est pas une raison pour s’en désintéresser, mais bien au contraire pour en saisir les énormes enjeux pour l’avenir immédiat.

Dans leur précieux ouvrage(2), Patrick Lefèvre et Yvan Mura rappellent le cursus historique de cette préoccupation qui devait passer de la planification des effectifs dans les années 1960, puis de la gestion des carrières dans les années 1970, à celle des emplois dans les années 1980, à la gestion des compétences dans les années 1990, pour parvenir à l’actuelle GPEC(3). Ces variations sémantiques expriment parfaitement l’évolution des enjeux des organisations dans un contexte sociétal marqué par les rapides mutations de la fin du XXe siècle.

En effet, la GPEC constitue une variable d’ajustement entre, d’une part, les exigences de l’environnement ou du marché (qui déterminent l’offre de service) et, d’autre part, les compétences requises et les ressources humaines nécessaires et disponibles pour les satisfaire à l’intérieur d’un cadre légal, administratif et culturel donné. Les préoccupations du manager se portent ainsi sur l’équilibre instable entre les composantes d’un triptyque fondamental : exigences, compétences et ressources. La GPEC est donc inhérente à l’idée de prospective et va de pair avec l’activité de recherche et développement (R&D), aujourd’hui au cœur de la stratégie de toute entreprise.

Pour simplifier, la GPEC présente deux enjeux totalement interdépendants :

→ une nécessité vitale (éco-systémique) pour l’opérateur, de l’ordre de l’adaptation commerciale et organisationnelle, qui consiste à anticiper les mouvements de l’environnement – du marché – afin d’ajuster ses ressources humaines. Concrètement, cela peut signifier d’anticiper les nouveaux besoins : par exemple, tel dispositif est appelé à accueillir de plus en plus de personnes dites handicapées psychiques et de personnes présentant des troubles du spectre autistique, ou encore la désinstitutionnalisation entraîne l’émergence de nouveaux services à domicile. Ces mouvements de l’environnement exigent de nouvelles compétences. Précisément, de quelles compétences l’opérateur doit-il se doter, que ce soit par recrutement, par formation ou par mobilité ?

→ une préoccupation humaine et sociale de l’ordre typiquement de la gestion des ressources humaines qui consiste à anticiper les évolutions des personnels et de leurs carrières – nombre de personnels requis, évolution prévisible de carrières, vieillissement, départ en retraite, accroissement des compétences, mobilité, besoins de formation, etc.

Marges de manœuvre réduites

C’est cette seconde préoccupation qui constitue, à elle seule, l’acception de la GPEC par nombre d’opérateurs, du fait qu’ils ne sont pas en mesure de disposer d’éléments de prospective concernant les mouvements de l’environnement.

Pourquoi la GPEC se révèle-t-elle largement virtuelle dans les secteurs de l’action sociale et médico-sociale ? Parce que les marges de manœuvre dont y disposent les opérateurs sont de facto très réduites :

→ en premier lieu, parce que ces secteurs ont fonctionné depuis des lustres dans le cadre d’une “économie administrée” (c’est-à-dire de façon entièrement inféodée à la puissance publique), qu’ils s’adressent à des marchés captifs brisant ainsi l’ajustement clients-prestataires, qu’ils sont suspendus aux évolutions législatives, dépendants de ressources allouées selon des mécanismes dogmatiques, désormais soumis à des procédures d’appels à projets non négociables, bref, qu’ils deviennent de plus en plus nettement des opérateurs parapublics et qu’ils n’ont que l’apparence et les devoirs d’une entreprise sans en posséder la culture et les possibilités ;

→ en second lieu, parce que leur fonctionnement, fondamentalement hérité d’idéologies (confessionnelles ou laïques) a engendré un conservatisme de fait – une vision institutionnelle(4) – et une attitude défensive, exacerbés aujourd’hui par les pressions administratives et le contexte socio-économique et politique difficile. La professionnalisation progressive de ces secteurs n’a cessé de se heurter à des corporatismes, à la fois hérités et entretenus, qui représentent aujourd’hui l’un des principaux blocages à l’égard de toute adaptation contextuelle, pourtant aussi inéluctable que souhaitable ;

→ en troisième lieu, mais c’est la résultante des deux précédents, parce que ces secteurs sont régis par des conventions totalement obsolètes (véritables machines à démotiver et à déresponsabiliser…) qui n’autorisent aucune marge de manœuvre en matière de valorisation des acteurs.

Quand une entreprise ordinaire anticipe ou suit des variations de l’environnement, elle réexamine sa stratégie et son positionnement, et dans la suite logique, requestionne une partie de son organisation : des évolutions fonctionnelles s’en suivent, ainsi que la redéfinition de postes et de compétences afférentes. Si la mobilité se révèle consubstantielle à l’idée même d’organisation adaptative ou intelligente, elle mérite une savante gestion car elle entraîne des bouleversements techniques et humains : elle nécessite d’être en capacité de redéployer une organisation efficace dans des délais raisonnables (c’est-à-dire de plus en plus courts), mais elle pose aussi la question des conditions de travail et de vie des acteurs. Que fait-on des modifications de modes de vie personnelle éventuellement engendrées (par exemple, en cas de mobilité géographique, de changement d’emplois du temps, de départ en formation, etc.) ? Que fait-on des acteurs qui n’ont plus leur place dans la nouvelle organisation (en raison de limites de compétences, d’âge, etc.) ?

Il s’agit par conséquent d’anticiper en permanence ces évolutions afin de ne pas être pris de court. Mais cette mobilité de tous ordres (géographique, temporel, technique) nécessite un fin suivi des carrières afin d’éviter les risques de dommages collatéraux et de disposer des outils nécessaires. L’entretien professionnel ou d’autres modalités du même ordre ne représentent qu’un outil parmi d’autres.

Or, dans les ESSMS, les marges de manœuvre sont extrêmement réduites – pour ne pas dire nulles – et les outils des plus faibles… Qui plus est, si l’on raisonne à l’échelle réduite d’un établissement ou d’un petit opérateur, la seule possibilité de modification fonctionnelle devient alors le départ à la retraite ! Ces départs à la retraite de personnels cadres et non cadres sont à l’évidence l’occasion de ne pas renouveler à l’identique les postes, mais après ? Devra-t-on attendre plus de 40 ans pour effectuer une nouvelle évolution ?

Les possibilités vitales d’inventer de nouvelles fonctions autour de nouvelles compétences sont bien souvent rendues impossibles par le cadre conventionnel et par le corporatisme ambiant. Nous pouvons encore rajouter la “sacralité du diplôme” toute française, encore bien souvent confondue avec la qualification (le diplôme n’est pas un gage absolu de compétence et de performance mais seulement une présomption) et corrélé avec la rémunération comme dans la fonction publique, l’impossibilité d’intéresser financièrement un personnel au résultat, de reconnaître par la rémunération ses compétences, ses performances, sa créativité, l’absence d’ailleurs d’outils d’évaluation des compétences et des performances.

Inversement, les difficultés grandissantes à se séparer de personnes inadéquates pouvant jouer sur toutes les possibilités offertes par la loi, le recul de la valeur travail (accru depuis les 35 heures), la hausse constance des exigences à l’égard des employeurs, la médiatisation à outrance des conflits du travail et leur exploitation politique, rendent la fonction managériale de plus en plus délicate…

Dépasser l’« immobilisme »

Tous ces blocages, hérités tour à tour d’idéologies obsolètes et d’une culture administrative, entraînent un nivellement par le bas des plus funestes. Les meilleurs éléments risquent de se démotiver ou de chercher ailleurs, les plus mauvais se sédentariseront plus que jamais bloquant encore davantage les possibilités de mobilité… Le risque est réel de voir s’instaurer un cercle vicieux programmant à terme la mort de certains opérateurs, notamment des plus petits.

Pourquoi la GPEC est-elle pourtant plus que jamais indispensable ? Parce que l’immobilisme n’est jamais la solution mais le problème, que les énormes changements qui se profilent inéluctablement amènent nécessairement à l’émergence de solutions innovantes, de nouvelles organisations, de nouveaux métiers, etc., que dans la société d’aujourd’hui, et a fortiori dans celle de demain, la mobilité sera régulière, tant dans l’espace, que dans les domaines d’activité et les pratiques professionnelles. La formation devra jouer un rôle prépondérant comme outil d’adaptation et de flexibilité, mais le cadre légal devra lui aussi évoluer dans le sens d’un assouplissement, ce qui va à l’encontre d’un encadrement par oukases, typique des systèmes hyper-étatisés comme le nôtre. La responsabilité des employeurs et des dirigeants de l’action sociale et médico-sociale, comme de la puissance publique, se trouve donc engagée et sollicitée par l’intérêt général. La GPEC ne saurait être la seule préoccupation des managers. »

Contact : jean-reneloubat@wanadoo.fr

Notes

(1) Et auteur de l’ouvrage Penser le management en action sociale et médico-sociale (2e édition) – Ed. Dunod, 2014.

(2) Promouvoir les ressources humaines en action sociale et médico-sociale – Ed. Dunod, 2010.

(3) La loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 instaure une obligation de négociation tous les trois ans pour les entreprises de plus de 300 salariés.

(4) Une organisation est fonctionnelle et s’adapte constamment, une institution est fixée et établie et assure une permanence temporelle. La primauté de l’idéologie sur le service rendu a entraîné ce primat historique de l’institutionnel sur l’organisationnel dans les secteurs qui nous intéressent.

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