L’heure était encore aux interrogations, le 2 septembre, après l’allocution du Premier ministre déclinant la feuille de route pour la suite des « états généraux du travail social » (voir ce numéro, page 6), devant une assemblée composée de professionnels, de représentants du secteur associatif, des collectivités locales, d’établissements de formation, d’étudiants et d’institutions. Après la remise du rapport de la députée Brigitte Bourguignon(1), Manuel Valls a annoncé un plan d’actions que devront lui remettre à la fin du mois d’octobre la ministre des Affaires sociales et la secrétaire d’Etat chargée de la lutte contre l’exclusion. « Un processus d’écoute » qui a pris du temps, a plusieurs fois insisté Ségolène Neuville pour justifier les rebondissements de calendrier et de méthode, car « la question du travail social n’est pas un sujet technique. C’est le reflet de notre projet de société. » Même s’il aura bien fallu, de fait, entrer dans une certaine technicité pour apaiser les crispations sur l’architecture des formations sociales, sujet hautement controversé qui a nécessité de confier à l’élue du Pas-de-Calais la relance de la concertation, après la tenue d’assises régionales et des travaux qui avaient déjà mobilisé beaucoup de matière grise.
Malgré la satisfaction suscitée par cet hommage appuyé rendu au travail social lors de la remise du rapport – « une avancée importance depuis 1982 », date de l’adresse de Nicole Questiaux(2), se félicite Etienne Pinte, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale –, le sujet de la formation mobilise toujours l’attention. Signe positif pour beaucoup d’acteurs du secteur, le rapport de Brigitte Bourguignon sonne définitivement le glas des pistes de la commission professionnelle consultative du travail social (CPC) – prônant un seul diplôme par niveau de formation(3) – tout en s’efforçant de dégager des lignes de consensus. « Nous nous reconnaissons bien dans les propositions de madame Bourguignon, qui n’a évacué aucun sujet et a repositionné tous les acteurs dans leur responsabilité, même si sur certains aspects nous aurions aimé qu’elles aillent plus loin », commente Diane Bossière, directrice générale de l’Unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale). Bien que souligné par le Premier ministre, le sujet de la recherche en travail social est trop peu abordé dans le rapport parlementaire, précise-t-elle. Et, lors du discours de Manuel Valls, « la présence du secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche était bienvenue, compte tenu de la faiblesse du rapport sur les relations entre les écoles de formation en travail social et les universités ». L’Unaforis se satisfait que le sujet de la gratification n’ait pas été oublié – avec notamment la proposition d’inscrire dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens l’accueil des stagiaires – même si le document n’aborde pas la question d’un renouvellement des modalités de l’alternance intégrative. Les dispositifs de contrôle de la qualité de l’appareil de formation, qui font également partie des préconisations de la députée, « s’imposent de fait par la réforme de la formation professionnelle et du nouvel acte de décentralisation, et nous souhaitions la structuration d’une démarche continue en la matière », ajoute Diane Bossière. Le choix de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM), en revanche, apparaît moins comme une évidence…
Quant à l’épineuse question du socle commun de compétences – que Brigitte Bourguignon souhaite à hauteur de 30 % pour les diplômes de niveau III –, « il conduit à une part de transversalité qui reste minoritaire », poursuit la directrice générale de l’Unaforis, l’organisation ayant plutôt porté l’idée d’un volume de 50 %, tout en envisageant des spécialités permettant une corrélation avec les diplômes actuels. Néanmoins, se félicite Chantal Cornier, vice-présidente de l’Unaforis, « l’essentiel est que l’on parle d’un corpus commun qui, facilitant l’identification du travail social, va permettre sa reconnaissance dans l’espace européen de l’enseignement supérieur et le développement de la recherche ». A cela s’ajoutent les enjeux de mobilité professionnelle. « Nous sommes dans mon école à 30 % de transversalité entre filières, mais nous sommes réduits à un bricolage car les modalités de certification ne sont pas les mêmes pour les différents diplômes, explique-t-elle. L’éthique et la déontologie, par exemple, ne figurent pas dans les mêmes domaines de compétences pour les assistants de service social et les éducateurs de jeunes enfants. » Contrairement aux apparences, la différence avec l’organisation d’un tronc commun « est tout à fait essentielle, souligne pour sa part Marcel Jaeger, titulaire de la chaire de travail social et d’intervention sociale du Conservatoire national des arts et métiers. Car il ne s’agit pas d’un dispositif de formation mais d’un corpus de compétences et de connaissances auquel pourraient se référer les écoles, y compris les petits centres monofilières. » L’enjeu n’est donc plus de réunir des étudiants sur des enseignements communs, parfois sur des matières périphériques, mais de les former à un même socle de savoirs propres au cœur du métier du travail social. « Mais quand on aura fait comprendre cette notion et défini ce corpus commun, on aura avancé », tempère Marcel Jaeger, selon qui la phase qui doit se poursuivre pour l’élaboration du plan d’actions rend le résultat du processus des « états généraux » « incertain ».
Même sentiment d’attente du côté de l’Association nationale des assistants de service social (ANAS), dont les préconisations – définir, après concertation, un socle commun de 30 %, afin de renforcer une culture commune – ont également inspiré celles du rapport parlementaire. « Nous sommes rassurés par les paroles fortes prononcées par les ministres comme par le Premier ministre, qui sont un acte de valorisation du travail social, indique Anne-Brigitte Cosson, présidente de l’association. Nous avons l’impression d’avoir été entendus, y compris sur le sujet de la formation continue sur lequel nous avons insisté. Mais reste à savoir ce que contiendra le plan… » Le fait que les métiers et les identités professionnelles seraient conservés est un soulagement, abonde Marie-Pierre Arifont, administratrice de l’ANAS. « Mais, au-delà du volume de 30 %, c’est le contenu du socle commun qui importe. Plus globalement, sur l’ensemble du rapport, les intentions sont là, mais se posent les questions de la mise en œuvre, des moyens, et de la façon dont la concertation qui doit précéder l’annonce du plan est envisagée. » De son côté, le Syndicat national des assistants sociaux de l’Education nationale-UNSA annonce porter auprès du ministère d’« ultimes propositions en prévision du plan d’actions ».
La CGT se montre nettement plus dubitative. « Il y a une contradiction entre plusieurs propositions relatives aux formations, puisque la députée préconise aussi de mesurer la pertinence d’une réingénierie globale des 14 diplômes en travail social. Tout cela n’est pas très clair », se méfie Alain Dru, coordonnateur de la CGT pour le travail social. « Les 30 % de socle commun existent déjà !, tonne Christine Sovrano, formatrice et membre du collectif « travail social » de la CGT. Je ne vois pas de différence entre la note de problématique des “états généraux” et le rapport, qui semble légitimer quelque chose qui va continuer à marche forcée. On nous présente la “carotte” de la reconnaissance au grade licence alors qu’elle devrait découler de la mise en crédits européens des formations depuis 2013 ! Il aurait plutôt fallu se saisir du constat que les travailleurs sociaux sont de plus en plus déconnectés du terrain pour améliorer leur formation. »
Plusieurs organisations, dont pour l’instant la CGT, la FSU, Solidaires, la Fédération autonome de la fonction publique, avec le collectif Avenir éducs, auxquels devraient se joindre des organisations professionnelles, prévoient d’organiser des états généraux « alternatifs », le 16 octobre, pour réagir aux orientations annoncées et faire des contre-propositions. Sur les formations, « les modifications à très court terme pour conserver en apparence les diplômes pourront déboucher dans quelques années sur des diplômes préparant à des professionnels extrêmement polyvalents », craint Alain Dru, qui en veut pour preuve, dans le rapport de la députée, la proposition d’élargir l’intervention des éducateurs de jeunes enfants à l’école maternelle et de leur confier des fonctions managériales (voir encadré ci-dessous). Au-delà du rapport, poursuit-il, « nous voulons mobiliser les professionnels sur le discours de Manuel Valls, qui fait référence à une mission “prédictive” du travail social, selon lui à même de “décrypter les signes avant-coureurs de dérive ou de rupture”. Nous sommes également opposés à son chantage à la signature de l’accord sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations dans la fonction publique ! Selon lui, ce serait la faute des syndicats si les travailleurs sociaux n’accèdent pas à la catégorie A… »
D’autres interrogations portent sur les mesures qui seront retenues sur la place des « usagers », la coordination interinstitutionnelle, l’encadrement, ou encore la gouvernance du travail social. Manuel Valls a annoncé vouloir confier au Conseil supérieur du travail social une mission sur la « prévention des dérives radicales ». Signe que l’instance va continuer d’exister, « et nous allons faire des propositions pour qu’elle travaille de façon effective », se réjouit Brigitte Bouquet, membre du conseil, ancienne vice-présidente. Mais la réflexion ne doit pas éluder, comme le souligne Marcel Jaeger, la question de son articulation avec une éventuelle délégation interministérielle au travail social, telle que proposée par Brigitte Bourguignon. Plus encore, un futur Conseil supérieur des programmes de formation au travail social pourrait clairement empiéter sur le rôle de la CPC.
Dans les rangs du secteur associatif, on se félicite d’un état des lieux et de pistes largement partagées, ainsi que de l’affirmation des valeurs de solidarité par le gouvernement, non sans formuler quelques regrets. « Le rapport est trop axé sur le travail social public salarié. Il ne tient pas compte du travail associatif, des bénévoles, de l’ensemble de l’environnement des personnes accompagnées. C’est dommage », déplore François Soulage, président du collectif Alerte, faisant référence à l’hommage rendu par François Hollande au mouvement associatif, en janvier 2013 au congrès de l’Uniopss.
La Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (FNEJE) estime que les propositions du rapport pour ce métier – adapter le contenu de la formation à un public plus large (0-6 ans) ainsi qu’aux fonctions managériales et favoriser l’intervention des EJE dans les écoles maternelles – vont dans le sens de ce qu’elle a défendu au cours des auditions de la députée. « Une sensibilisation au management est déjà incluse dans la formation des EJE depuis la réingéniérie de leur diplôme en 2005, expliquent Véronique Jacquet et Julie Marty Pichon, coprésidentes de la fédération. Cette dimension doit être étayée avec des méthodologies opérationnelles afin que les professionnels soient mieux équipés face aux problématiques quotidiennes de gestion financière et ressources humaines des directeurs de structures. Nous serons vigilants à ce que nos missions, tout en répondant à ce besoin, conservent les dimensions de pédagogie, d’approches sociale, comme l’accompagnement à la parentalité, pour construire une cohérence éducative avec les familles. Nous portons en effet une double compétence – travailler auprès des enfants et des familles et être en mesure d’occuper des postes de coordination ou de direction. »
L’intervention des EJE auprès des enfants de 0 à 6 ans et à l’école maternelle n’est pas non plus une nouveauté, soulignent les coprésidentes de la FNEJE. « Ils sont les travailleurs sociaux spécialistes de l’accueil des 0-7 ans et de leur famille. De plus, bien avant l’école maternelle, les EJE, anciennement nommées jardinières d’enfants, accueillaient les 2-6 ans au sein des jardins d’enfants. Il y a eu ensuite de nombreuses expériences intéressantes de “dispositifs passerelles”, par exemple. Mais dernièrement, les EJE ont peu à peu été évincés de l’Education nationale. Or nous pensons que l’apport des spécificités multidimensionnelles de l’EJE en matière de petite enfance au sein des écoles maternelles serait un atout fort, comme lorsque celles-ci accueillent des enfants de deux ans. Nous sommes favorables depuis longtemps à davantage de coopération, tout en étant attachés à nos compétences de travailleur social, dans une logique de complémentarité. Ainsi nous nous rapprocherions des “systèmes intégrés” d’une grande majorité des pays européens, système qui pourrait s’appuyer, en France, sur un “curriculum” petite enfance mettant en cohérence et rapprochant les ministères de la Santé, des Affaires sociales et de l’Education nationale. » Mais, ajoutent les représentantes de la FNEJE, reste « à définir conjointement ce que contiendra le plan d’actions du ministère… »
(2) Voir notre « Rencontre » avec Nicole Questiaux dans les ASH n° 2781 du 2-11-12, p. 28.