Après le bilan positif de l’approche globale de l’accompagnement des demandeurs d’emploi en difficulté sociale dressé en juin dernier par les pouvoirs publics(1), l’Association nationale des assistants de service social (ANAS) diffuse une analyse très critique du dispositif. Objet d’un protocole national signé le 1er avril 2014 par l’Assemblée des départements de France (ADF), Pôle emploi et la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle(2), ce dernier, expérimenté dans près de 70 départements, vise à proposer aux chômeurs les plus fragilisés une prise en charge conjointe par un conseiller de Pôle emploi dédié et un professionnel du travail social du conseil départemental. Pour autant, alerte l’ANAS, des travailleurs sociaux « font état de leurs difficultés à mettre en œuvre des conventions départementales qui interrogent leurs pratiques professionnelles et le respect des personnes ». Des préoccupations qui ont amené son conseil d’administration à saisir la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), l’ADF, ainsi que le Conseil supérieur du travail social, « afin qu’ils donnent respectivement leur avis, tant sur le protocole national traitant de l’accompagnement global que sur les conventions qui précisent les modalités opérationnelles de mise en œuvre ».
Pour l’ANAS, le protocole « ne prend pas suffisamment en compte la réalité des pratiques du travail social, qui visent à favoriser l’autonomie de la personne en tant que sujet de droit ». Ainsi, il prévoit que l’entrée dans le dispositif résulte d’un diagnostic partagé et d’une décision commune entre le conseiller de Pôle emploi et le travailleur social du département, de telle façon, souligne l’organisation, que le demandeur d’emploi « ne pourra se positionner que dans une possibilité de refuser ce qui aura été décidé » pour lui. S’interrogeant sur la notion de « suivi social exclusif » mentionnée dans le document, l’ANAS dénonce la création d’une « nouvelle forme d’accompagnement sous contrainte » caractérisée par le glissement « d’un droit à l’accompagnement par un service social à une obligation de “suivi” ». En outre, si Pôle emploi a indiqué que 1 000 postes de conseillers professionnels doivent être dédiés à cette mission, elle relève qu’aucun moyen supplémentaire n’est prévu dans les services départementaux.
La déclinaison locale du protocole suscite d’autres inquiétudes. Selon l’Association nationale des assistants de service social, les conventions départementales qu’elle a étudiées « ne disent pas la même chose. Ainsi, l’une des conventions rassure le demandeur d’emploi en précisant que cet accompagnement ne peut avoir d’impact sur le droit perçu, mais ce n’est pas le cas dans une autre convention qui reste silencieuse sur les conséquences pour le demandeur d’emploi du “refus” de l’accompagnement global ». De plus, la coopération entre les départements et Pôle emploi conduit à « informatiser des données relevant de la situation sociale du demandeur d’emploi sous forme de critères préétablis ». Le document de liaison intitulé « diagnostic partagé » vise, en effet, à recenser les difficultés du demandeur d’emploi, avec des items pouvant être intitulés « problématique médicale », « contraintes familiales », ou encore « difficultés administratives et juridiques », précise l’ANAS. Par ailleurs, « certaines conventions font état de l’obligation légale du respect de secret professionnel alors que d’autres n’y font pas référence », ou bien s’appuient « sur la loi de 2007, alors que précisément cette loi n’autorise en aucun cas le partage d’informations dans ce cadre-là ».
Pour éviter les dérives, l’association demande qu’un modèle de convention départementale « non modifiable » puisse être élaboré au niveau national, « avec les instances représentatives du travail social et les organisations professionnelles des travailleurs sociaux concernés ». Elle invite, par ailleurs, les assistants de service social « à la plus grande prudence dans leurs pratiques de partage d’informations, dans le respect de la loi » et leur recommande, lorsqu’ils remplissent les diagnostics, « de ne pas apporter de commentaires hors des réponses qui valorisent les compétences des personnes ». Le demandeur d’emploi doit être informé et « décideur » du contenu du document et de ses finalités, avertit l’association.
A Pôle emploi, on répond que cet accompagnement « est une extension de ce qui avait été mis en place pour les bénéficiaires du RSA [revenu de solidarité active] » et que « la CNIL avait déjà autorisé dans ce cadre le partage d’informations entre Pôle emploi et les conseils généraux ». Les outils mis en place pour l’instruction des dossiers et l’orientation des bénéficiaires du RSA avaient déjà suscité en 2009 de vives critiques de l’ANAS et d’organisations syndicales, qui s’étaient insurgées contre le risque d’appauvrissement des pratiques et d’entorses au respect de la vie privée des « usagers ».