En réponse à un rapport d’inspection révélé par Le Canard enchaîné un an après avoir été remis à la chancellerie, et qui fait état de plus de 40 000 collaborateurs occasionnels de la justice travaillant sans être déclarés, la garde des Sceaux a assuré le 2 septembre, à la sortie du conseil des ministres, que c’est un problème qu’elle a « pris effectivement à bras le corps », estimant que « le ministère de la Justice doit être exemplaire ». Sont concernés, entre autres, les enquêteurs sociaux et de personnalité, les délégués du procureur de la République ou encore les administrateurs ad hoc (tant en matière civile que pénale).
Dans la cour de l’Elysée, Christiane Taubira a ainsi déclaré devant la presse que ses services travaillaient, depuis l’été 2014, « sur les préconisations de ce rapport », déjà mis en œuvre, selon elle, à travers la création du portail Chorus, qui permet « d’entrer systématiquement les informations, [et] donc de savoir qui est concerné, parce qu’il y a une différence à faire entre les personnes qui accomplissent des missions occasionnelles et les sociétés de prestation de services ». Dans le premier cas, il y a « une rémunération et donc une déclaration et les prestations de sécurité sociale ». Dans le second, c’est la TVA qui s’applique. « Les personnes qui sont employées doivent avoir un statut clair », a ajouté la ministre, avant d’annoncer : « nous sommes en train de généraliser ce portail Chorus et nous travaillons à un décret qui va préciser la différence entre ces missions occasionnelles et les prestations de services qui donnent lieu à la TVA. »
Resté dans l’ombre pendant un an, le rapport a été rédigé par trois inspections générales – des finances, des services judiciaires et des affaires sociales –, saisies conjointement en janvier 2014 pour « mener une réflexion sur le régime social et fiscal des collaborateurs occasionnels du service public et leurs modalités de gestion ». Il était notamment demandé à cette mission d’évaluer le nombre de personnes concernées par ce problème, qui ne date pas d’hier. Si les services du ministère de la Justice sont particulièrement épinglés, c’est parce qu’ils concentrent pas moins de 40 500 cas sur un total de 48 650, et que, « à la différence des autres administrations, aucune des règles fiscales et sociales n’y a jusqu’à présent été respectée ». Le décret du 17 janvier 2000, qui était censé avoir donné un statut aux collaborateurs occasionnels du service public en les assujettissant aux cotisations sociales, n’a en effet jamais été appliqué, entraînant une distorsion de concurrence entre ces professionnels et les associations habilitées « justice », jugées trop onéreuses(1).
« Conscient de l’anomalie de cette situation », le ministère de la Justice a cependant « engagé plusieurs registres d’améliorations du traitement des frais de justice et par incidence des collaborateurs de justice ». Des mesures toutefois jugées insuffisantes par les quatre inspecteurs mobilisés pour faire la lumière sur ce sujet, qui considèrent que « la situation actuelle ne peut plus perdurer ». « L’Etat employeur doit respecter les obligations sociales et fiscales imposées par la loi et mettre en place dans les plus brefs délais un dispositif réglementaire, administratif et informatique conforme à cet objectif », affirment-ils.
Dans cette perspective, la mission se prononce globalement en faveur de l’abandon du dispositif des collaborateurs occasionnels du service public tel qu’il fonctionne actuellement, en proposant un nouveau schéma général qui repose sur « une distinction entre prestations et vacations » ainsi que sur « l’application du droit commun fiscal et social comme norme de traitement ». Elle formule à cet effet 14 recommandations assez techniques, comprenant des modifications de textes, des précisions de doctrine fiscale et administrative, un aménagement des traitements informatiques des dépenses, etc.
Cette régularisation « ne pourra se faire sans coûts supplémentaires, essentiellement concentrés sur le ministère de la Justice ». Des coûts impossibles à évaluer « au-delà de montants indicatifs » qui entraîneraient, sur la base de l’estimation établie par la mission de 160 millions d’euros de dépenses annuelles, un impact net sur le budget de l’Etat (après récupération de la TVA) de 18 à 30 millions d’euros supplémentaires a minima. Soulignant néanmoins « le caractère pour le moins nébuleux » de ce domaine de la dépense publique – jugé « hétéroclite, inorganisé et mal maîtrisé » –, la triple inspection préconise, de manière générale, « d’exploiter avec prudence les données quantitatives de ce rapport ».