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Une nouvelle jeunesse pour les CREAI

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Les centres régionaux d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (CREAI) sont confortés dans leur rôle d’expertise et d’accompagnement en matière de politique sociale et médico-sociale en direction des personnes vulnérables. Un cahier des charges, publié en avril, adapte et précise les missions de ces organismes au service des pouvoirs publics mais aussi des gestionnaires d’établissements et des usagers.

Il était attendu depuis des mois : le cahier des charges des centres régionaux d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (CREAI), au respect duquel sont désormais liés les financements publics, a été publié en avril dernier(1). « 50 ans après leur création, l’Etat a enfin décidé de reconnaître pleinement leur expertise, il était temps », commente Jean-François Bauduret, vice-président du conseil scientifique et d’orientation de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) et fervent défenseur de ces structures. Un soulagement pour les CREAI : le cahier des charges met fin à plusieurs années d’incertitudes en confortant leur légitimité et leurs missions d’intérêt général.

Au tournant des années 2010, la situation de ces organismes sous statut associatif, créés en 1964 et chargés d’apporter une expertise technique dans la mise en œuvre des politiques sociales, médico-sociales et sanitaires en faveur des personnes handicapées, dépendantes ou en difficulté sociale, est en effet bien incertaine. « Nous avons commencé à nous inquiéter en 2009 lorsque la loi “HPST” [hôpital, patients, santé et territoires] mentionnait les observatoires régionaux de santé [ORS] mais pas les CREAI, alors qu’ils jouaient un rôle à peu près équivalent – pour les premiers, dans le champ sanitaire, et pour les seconds, dans le champ social et médico-social, se souvient Françoise Jan, présidente de l’Association nationale des CREAI (Ancreai). Puis les subventions des CREAI ont été amputées de 40 % en 2011 et, l’année suivante, encore de moitié, rendant difficile la mise en œuvre de leurs missions. »

Des structures utiles

Dans ce contexte tendu, le réseau des CREAI alerte ses partenaires locaux et nationaux qui manifestent largement leur attachement à ces structures ressources. « La DGCS [direction générale de la cohésion sociale] a alors diligenté une enquête à leur endroit dont les résultats se sont révélés globalement très positifs tant au niveau de l’ancrage territorial que de la pertinence de leurs analyses », explique Françoise Jan. Conduite à la fin 2011 auprès des agences régionales de santé (ARS), des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) et des CREAI, l’étude met au jour leur utilité dans l’accompagnement des politiques sociales et médico-sociales et pointe, en filigrane, l’évolution de leur rôle depuis leur création.

A l’origine, dans le contexte de la création des DDASS et DRASS (directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales), les CREAI avaient vocation à animer et à promouvoir diverses actions (prévention, observation, soins…) concernant les enfants et adolescents inadaptés. Après leur ouverture aux adultes en 1984, ils n’ont eu de cesse de se réagencer en fonction de l’évolution des politiques en direction des personnes handicapées et vulnérables pour devenir des organismes experts en matière d’observation des besoins et de production d’avis techniques pour les décideurs et les gestionnaires d’établissements.

A l’issue de l’enquête, se pose donc la question de l’évolution de leur cadre juridique et financier. D’où la mise en place d’un groupe de travail piloté par la DGCS(2), qui débouche sur un ensemble de mesures. Certaines sont déjà mises en œuvre, comme l’actualisation de la charte des CREAI et de l’Ancreai en avril 2014 (qui réaffirme leur engagement à travailler en réseau selon des valeurs communes et dans l’impartialité) et la parution d’un cahier des charges national. D’autres sont encore à venir, comme l’abrogation de l’arrêté de 1964 réglementant les CREAI au profit de l’inscription de leur rôle dans la loi (voir encadré, page 34).

Pierre angulaire de la réforme, le cahier des charges est globalement conforme à l’attente des CREAI et, à ce titre, « satisfaisant », selon Françoise Jan. Sa parution n’a toutefois rien d’une révolution : « S’il a l’intérêt de modifier l’image désuète des CREAI, il ne fait en réalité qu’entériner des évolutions déjà en cours depuis quelques années », souligne Annie Cadenel, déléguée nationale de l’Ancreai. « Le cahier des charges est sans surprise dans la mesure où il a été largement coélaboré avec le réseau des CREAI, mais il met au goût du jour des éléments datés », relève pour sa part Thierry Dimbour, directeur du CREAI Aquitaine. « La réforme va être l’occasion de revoir nos statuts qui sentent la poussière, observe également Pascal Thébault, directeur du CREAI Bretagne. Dans certains CREAI, on cite encore les commissaires du gouvernement, à l’origine membres de droit du conseil d’administration, qui étaient chargés de veiller au bon fonctionnement de l’organisme. »

Symbole de ce toilettage, le cahier des charges entérine l’adoption par l’assemblée générale de l’Ancreai en 2013 d’une nouvelle déclinaison de l’acronyme CREAI, plus conforme à leur rôle actuel : désormais tous les CREAI, dont le sigle avait pris au fil du temps diverses significations, s’accordent sur la formule unique de « centres régionaux d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité », avec un logo commun. « L’acronyme correspond mieux à la réalité de nos activités et le logo unifié renforce l’image de réseau », commente Françoise Jan.

Le cahier des charges explicite largement les quatre missions fondamentales des CREAI : l’étude des besoins des personnes vulnérables, la contribution à l’élaboration des politiques publiques, l’accompagnement des acteurs de terrain et l’aide à l’appropriation des connaissances, des publics et des pratiques en direction des décideurs, des professionnels et des usagers. « Nos missions sont précisées et mises au clair avec un accent nouveau sur la transversalité, le décloisonnement et le travail en réseau », se félicite Françoise Jan. « Nous avions déjà vocation à analyser les besoins, à animer un réseau d’acteurs et à diffuser les connaissances – autant de missions qui ont une cohérence et se confortent mutuellement, remarque Pascal Thébault. Mais le cahier des charges précise de manière très explicite notre positionnement complexe en appui aux décideurs politiques et aux acteurs de terrain, au service des pouvoirs publics, mais aussi des gestionnaires d’établissements et des usagers. »

Le cahier des charges précise que les CREAI s’intéressent à toutes les personnes, adultes et enfants, en situation de vulnérabilité. Pour Jean-François Bauduret, cette reconnaissance de la notion de « vulnérabilité » « est à saluer : tous les grands publics de l’action sociale sont dorénavant clairement mentionnés ». Ce n’est toutefois pas nouveau, précise Françoise Jan : « Depuis 1984, les CREAI avaient vocation à couvrir tout le champ de l’action sociale, de la protection de l’enfance à l’exclusion en passant par la protection judiciaire de la jeunesse, le handicap et la dépendance liée à l’âge. »

Situations complexes

En mettant l’accent sur « les publics qui combinent plusieurs types de vulnérabilité et sont au croisement de plusieurs politiques », le document conforte également des orientations déjà à l’œuvre dans les CREAI. Pour Jean-Yves Barreyre, secrétaire général de l’Ancreai et directeur du CREAI Ile-de-France, il a l’intérêt d’« insister sur le rôle que jouent d’ores et déjà les CREAI en ce qui concerne les situations complexes [3], autrement dit les publics qui ne rentrent dans aucune case et qui montrent les limites des dispositifs d’accompagnement actuels ». On citera, par exemple, les formations-actions conduites depuis 2012 par le réseau des CREAI dans le cadre d’un chantier national d’Unifaf en direction des professionnels des secteurs social, médico-social, sanitaire, scolaire… sur les adolescents à difficultés multiples. Ou les études sur les situations de handicap complexe menées régulièrement par le CREAI Ile-de-France depuis 2009.

Autre point abordé par le cahier des charges : la couverture territoriale. Pour l’heure, 17 CREAI couvrent la métropole et les territoires sous la compétence de l’ARS Océan indien. « Ils doivent désormais être présents dans la totalité des régions. Nous devons donc en créer un lorsqu’il n’y en a pas, y compris dans les territoires d’outre-mer, ou, pour le moins, créer une délégation rattachée à un CREAI, comme la délégation de Poitou-Charentes portée par le CREAI des Pays de la Loire », explique Françoise Jan. Encore faudra-t-il compter avec la réforme territoriale qui va se traduire, dès le 1er janvier 2016, par la création de 13 grandes régions. « Sachant que l’Aquitaine va se regrouper avec le Limousin et le Poitou-Charentes, nous avons commencé à travailler avec le CREAI du Limousin pour envisager les configurations possibles – fusion, union… – en tenant compte du fait qu’en Poitou-Charentes, il n’y a qu’une délégation. Notre préoccupation se porte également sur notre capacité à continuer à assurer un rôle de proximité dans le cadre d’un territoire élargi », observe Thierry Dimbour.

Ce mouvement de rapprochement des CREAI induit par la réforme territoriale rejoint une tendance plus générale : le développement d’actions interrégionales qui s’inscrivent dans une logique de mutualisation des pratiques et des outils – qui donne, par exemple, lieu à la production d’études conjointes ou à l’organisation de journées d’études communes. Dans la convention qu’elle a signée en novembre 2014 avec la DGCS et la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) pour la période 2014-2016, l’Ancreai, consacrée dans son rôle de tête de réseau national, est d’ailleurs invitée à promouvoir ce type de démarche. Dans cette perspective, elle a vu son budget plus que doubler entre 2013 et 2014, passant de 60 000 € à 160 000 €(4), ce qui a permis d’étoffer l’équipe avec un poste de responsable des études. « Le renforcement de l’Ancreai va permettre d’aller plus loin dans la mise en lien des démarches et outils déployés dans les CREAI – en élaborant par exemple une méthodologie commune des diagnostics territoriaux partagés – et de rendre plus lisibles les actions menées », se félicite Murielle Boubert-Devos, directrice du CREAI Picardie.

Missions précisées

Dans la continuité des orientations déjà formulées en 1984, le cahier des charges encadre aussi les conflits d’intérêt : il précise que les CREAI n’ont pas vocation à assurer la gestion d’établissements ou de services ni à mettre en œuvre des formations diplômantes ou qualifiantes. Ils n’ont pas non plus le droit de réaliser des évaluations externes et d’accompagner les réponses aux appels à projets lorsqu’ils ont participé à leur conception ou font partie de la commission de sélection. « Ces dispositions étaient essentielles pour que les CREAI puissent tenir leur positionnement à équidistance de l’Etat et des acteurs de terrain », se félicite Jean-Yves Barreyre.

Elles ne concernent toutefois qu’un petit nombre de CREAI – comme le CREAI Picardie qui gère notamment l’Institut régional de formation aux fonctions éducatives. « Nous sommes structurés ainsi depuis près de 50 ans. Aussi nous faut-il un peu de temps pour repenser les modalités organisationnelles et fonctionnelles, d’autant que nous devons également tenir compte de la constitution de la nouvelle grande région Picardie-Nord-Pas-de-Calais. Nous mettons cependant tout en œuvre pour être en conformité avec le cahier des charges », explique Murielle Boubert-Devos.

Seul point d’achoppement, les formations qualifiantes. « Si l’exclusion des formations diplômantes de l’activité des CREAI est tout à fait légitime, ça l’est beaucoup moins en ce qui concerne les formations qualifiantes dans la mesure où la notion de qualification est mouvante : qui nous dit que, demain, l’accompagnement des acteurs de terrain réalisé par les CREAI ne sera pas considéré comme une formation qualifiante ? », se demande Françoise Jan. Au sein du CREAI Aquitaine, qui organise des formations sur l’appropriation des recommandations de bonnes pratiques, la méthodologie de projet ou les écrits professionnels, Thierry Dimbour s’interroge : « Doit-on considérer que ce sont des formations qualifiantes ? Si nous n’avons pas de précisions, cette disposition risque de brider notre mission d’appui aux professionnels dans l’évolution de leurs pratiques. »

Des organismes bientôt reconnus par la loi

La parution du cahier des charges des CREAI est une première étape avant l’inscription dans la loi de leur rôle d’appui pour la production des schémas d’organisation sociale et médico-sociale. L’article 53 du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement(5) prévoit en effet que les CREAI « peuvent contribuer, en réponse à la demande des autorités compétentes pour l’élaboration des schémas, à l’analyse des besoins et de l’offre […], ainsi qu’à toute action liée à la mise en œuvre des schémas ». A la suite de l’adoption définitive du projet de loi, programmée pour la fin 2015, l’arrêté du 22 janvier 1964, fixant l’encadrement des statuts, de la tutelle et de l’agrément des CREAI sera abrogé. « Le fait que les CREAI soient cités dans la loi est bien sûr une avancée », observe Françoise Jan, présidente de l’Association nationale des CREAI. « Cela vient surtout réparer ce qui aurait dû être fait depuis des années », commente Thierry Dimbour, directeur du CREAI Aquitaine. Pour Jean-François Bauduret, vice-président du conseil scientifique et d’orientation de l’ANAP (Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux), l’article 53, en réduisant les CREAI à l’élaboration des schémas, ne va toutefois pas assez loin : « Leur fonction d’évaluation des besoins et de l’offre est certes très importante, mais les CREAI sont beaucoup plus que cela. » Aussi appelle-t-il de ses vœux un décret d’application « mentionnant l’ensemble des missions des CREAI pour asseoir plus encore leur légitimité ». La DGCS estime toutefois que « la mention dans la loi et le cahier des charges sont suffisants ».

Un rôle pivot face aux enjeux d’aujourd’hui

Les CREAI sont en première ligne pour accompagner les chantiers en cours dans le secteur social et médico-social. En tête de liste : la mise en œuvre du rapport « Piveteau »(6) dont les préconisations, remises en juin 2014, visent à trouver des solutions pour garantir aux personnes handicapées des parcours de vie sans rupture. Cette tâche, confiée à Marie-Sophie Desaulle, ex-directrice générale de l’ARS des Pays de la Loire, suppose de décloisonner les secteurs médico-social et sanitaire et de mieux adapter l’offre de services aux besoins. Cela passe d’abord par l’élaboration de diagnostics territoriaux partagés(7), afin de croiser les informations et les analyses des acteurs pour aboutir à une évaluation commune des besoins d’une population spécifique et définir les modalités d’organisation des ressources territoriales les plus efficientes pour y répondre : « Ils sont une première étape pour favoriser la coopération des acteurs dans l’objectif de transformer l’offre actuelle et d’éviter les ruptures de parcours », explique Annie Cadenel, déléguée nationale de l’Ancreai. « De par leur ancrage territorial, les CREAI n’ont pas d’équivalents pour réaliser ce travail d’analyse des besoins et de repérage des ressources », estime Pascal Thébault, directeur du CREAI Bretagne. En témoigne – exemple parmi d’autres – le travail de décryptage des situations complexes réalisé par le CREAI Aquitaine(8) dans le cadre du plan régional sur l’autisme en vue de proposer des solutions individuelles et/ou de faire des préconisations d’amélioration des réponses. « Mieux programmer l’offre de services implique aussi de faire remonter de l’information la plus fiable possible concernant à la fois les publics accueillis dans les établissements et services et les orientations des MDPH [maisons départementales des personnes handicapées], ce qui suppose d’unifier les systèmes d’information – c’est un des défis majeurs des prochaines années et les CREAI ont un rôle à jouer », analyse Thierry Dimbour, directeur du CREAI Aquitaine.

Les CREAI accompagnent également les décideurs dans la réforme de la tarification des établissements et services. Dans ce cadre, ils apportent leur concours au projet Serafin-PH (Services et établissements : réforme pour une adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées), lancé en janvier 2015 par la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées pour se doter d’un nouveau référentiel tarifaire d’ici à trois ans.

Notes

(1) Voir ASH n° 2911 du 22-05-15, p. 43.

(2) Associant notamment des représentants des ARS, des DRJSCS, de la CNSA, de l’Assemblée des départements de France et de l’Ancreai.

(3) Le cahier des charges définit les situations complexes « comme la résultante de l’interaction de trois types de difficultés : l’intrication et la sévérité des altérations organiques et/ou des difficultés sociales rencontrées par les personnes, le caractère problématique d’une évaluation globale et partagée des besoins de la situation, les incapacités ou difficultés constatées des professionnels de la santé et du social à mettre en œuvre, avec les personnes, une stratégie globale d’intervention partagée sur un territoire de vie donné ».

(4) Auxquels il faut ajouter 50 000 € dédiés spécifiquement à la réalisation d’une évaluation de l’impact des groupes d’entraide mutuelle sur le parcours des personnes.

(5) Adopté en première lecture par les deux chambres, il devrait être examiné en deuxième lecture en septembre à l’Assemblée nationale.

(6) Voir ASH n° 2893 du 16-01-15, p. 5.

(7) L’Ancreai a remis à la fin juillet à la CNSA une note méthodologique sur les diagnostics territoriaux partagés qui sera mise à disposition des ARS et des départements.

(8) www.creai-aquitaine.org/enquete-autisme/.

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