« Le fils du voisin, qui est à Londres, envoie 500 € par mois à sa famille », s’emporte le père de Many au téléphone, alors que son fils n’a effectué qu’un transfert de 80 €… Many avait 15 ans quand, du Pendjab, il est arrivé à Paris, « mandaté » par ses parents. Le jeune Indien, qui est entré en Europe avec l’aide d’un passeur, devait pouvoir les aider à rembourser leurs dettes. Pris en charge par l’aide sociale à l’enfance en tant que mineur isolé étranger, il a vite appris qu’en France un enfant n’a pas le droit de travailler. Deux ans plus tard, après avoir été placé dans une famille d’accueil, il maîtrise le français, fréquente le lycée du quartier et mène une vie très proche de celle de ses copains de classe ou de sa petite amie. Une intégration exemplaire… sauf que, dans son temps libre, Many travaille au noir dans le secteur du bâtiment. Bébé tigre, qui vient de paraître en DVD après une sortie discrète en début d’année(1), raconte ce parcours fictionnel, inspiré au réalisateur Cyprien Vial par ses rencontres lors d’ateliers vidéo dans les collèges de Seine-Saint-Denis. Avant de réaliser son long métrage, le cinéaste a mené une enquête auprès d’éducateurs spécialisés, d’assistantes de service social, d’un juge des enfants et de policiers pour brosser au plus juste ce portrait d’adolescent pas comme les autres. Il a découvert le cas de ces jeunes gens tiraillés entre trois autorités : celle, lointaine mais pesante, de leurs parents restés au pays ; l’autorité républicaine de la France, fragile mais à laquelle ils aimeraient adhérer ; et celle, ambivalente, des passeurs qui, même s’ils font partie d’un réseau mafieux, sont souvent l’un des seuls liens forts avec la communauté. Parfois, comme c’est le cas dans Bébé tigre, ils représentent même une figure paternelle.
Cyprien Vial a construit un suspense social doublé d’une réflexion morale. Il a choisi des interprètes brillants (non professionnels pour la plupart), dont Harmandeep Palminder (Many), qui dissimule le tigre qui sommeille en lui derrière un visage imperturbable. Son personnage est obligé de ruser en permanence et de trahir la confiance de ses proches quand la pression familiale se durcit. Il finit par se compromettre dans de sordides affaires, susceptibles de lui interdire toute régularisation à 18 ans. A moins qu’il ne dénonce son passeur à la police.
Bébé tigre
Cyprien Vial – 1 h 25 – Ed. Blaq Out – 26 €
(1) Le film a pourtant été primé au Festival du film de Saint-Jean-de-Luz (meilleur film), aux Rencontres du cinéma de Cannes (meilleur film) et au Festival de La Roche-sur-Yon (prix des lycéens).