Un moment écartés des feux des projecteurs, les centres éducatifs fermés (CEF) reviennent sur la sellette. « Des violences sur les adolescents ont été dénoncées ces derniers mois, dans les situations les plus graves, les structures ont vu leur activité suspendue », a signalé le Syndicat national des personnels de l’éducation et du social (SNPES)-PJJ-FSU le 27 août, au lendemain de la parution, dans Le Parisien, d’un article listant plusieurs cas de fermetures à la suite d’incidents, dont, au début du mois de juillet, celle du CEF de Moissannes (Haute-Vienne), où, rapporte le quotidien, « certains encadrants étaient accusés d’avoir recours à des punitions physiques ».
Interrogée par les ASH, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) confirme que « de juillet 2014 au 1er septembre 2015, cinq CEF ont fait l’objet de suspensions d’activité », formalisées par des arrêtés préfectoraux de fermeture provisoire, après des défauts d’encadrement et de prise en charge éducative des mineurs, des difficultés de fonctionnement mettant en danger leur sécurité ou, dans le cas du CEF de Moissannes précisément, des violences commises sur mineurs. Sur les cinq structures, dont quatre relèvent du secteur associatif habilité et une du secteur public, trois ont depuis rouvert et deux doivent demeurer fermées jusqu’à la fin 2015. « La DPJJ est très attentive au suivi de ces établissements », ajoutent ses services, puisqu’« en cas d’arrêté préfectoral, une procédure de contrôle identique à celle existant pour l’ouverture d’un établissement » est lancée, une mesure formalisée par une note du 21 février 2014 sur le pilotage des CEF.
Dans le même temps, les risques et cas avérés de maltraitance chez les jeunes placés en CEF ont semblé suffisamment préoccupants aux yeux de la directrice de la PJJ, Catherine Sultan, pour qu’elle adresse, le 4 août, aux directions interrégionales une note d’alerte les invitant à une vigilance accrue pour prévenir ou repérer les dysfonctionnements susceptibles de les entraîner. Précisant que les instances de contrôle (inspections ou contrôleur général des lieux de privation de liberté) ont mis en évidence des sources de dérive – modalités de mise en œuvre des fouilles, de gestion de la violence, de prévention des fugues, recours aux pratiques de contention… –, elle rappelle le contrôle hiérarchique que les directions interrégionales doivent exercer sur les établissements et que le cadre contraignant des CEF doit rester « bientraitant ». Elle appelle au respect des droits des enfants et plus globalement des usagers.
Au SNPES, on se réjouit plutôt de ce rappel à l’ordre. « C’est la première fois que la DPJJ réagit de cette manière, et elle reconnaît ainsi les dysfonctionnements existants », souligne Christophe Caron, cosecrétaire national de l’organisation, précisant que le syndicat a de son côté « eu connaissance de graves atteintes aux droits fondamentaux des jeunes, comme la pratique systématique de fouilles, mais aussi la limitation des relations avec la famille comme punition, la lecture systématique du courrier… ». Mais le SNPES, qui a toujours défendu son opposition au CEF, souhaiterait que l’administration aille plus loin en abandonnant ce dispositif, au profit des établissements de placement éducatif et des « services éducatifs qui prennent en charge la très grande majorité des jeunes auteurs de délits ». Il réitère sa position : « Si l’on veut en finir avec les abus, attirer les professionnels diplômés, il faut sortir du modèle CEF, qui génère de la violence permanente et de la souffrance chez les éducateurs qui ne peuvent pas faire leur travail, argumente Christophe Caron. La DPJJ veut aborder le problème essentiellement sous l’angle des ressources humaines, mais c’est une vieille recette, qui avait déjà été tentée pour les centres éducatifs renforcés et ne s’attaque pas à la racine du problème ! » Réinterroger les conditions de prise en charge éducative, oui, « mais pas sans se pencher sur les conditions de travail, raison du manque d’attractivité des CEF pour les professionnels diplômés, estime quant à lui Armand Mallier, secrétaire général de la CGT-PJJ. Les personnels sont dans une insécurité totale à tous les niveaux, ce qui serait impensable dans d’autres domaines… »
Même si l’Association limousine de sauvegarde de l’enfance à l’adulte (ALSEA), gestionnaire du CEF de Moissannes, fait partie de son réseau, difficile, pour la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE) de se prononcer sur une affaire pénale en cours. Mais dans ce cas comme dans d’autres, la fédération alerte sur le risque de s’appuyer sur les dysfonctionnements mis au jour pour discréditer l’ensemble du dispositif. « Est-ce que le risque est inhérent aux CEF ? Il pose plutôt, plus largement en matière d’hébergement pénal, la question des moyens humains, liée à celle de la formation : lorsque les effectifs sont insuffisants, ils sont moins souvent envoyés en formation continue, et on doit recourir plus fréquemment à des contrats à durée déterminée ou des faisant-fonction. Mais si les CEF n’attirent pas les éducateurs diplômés, il faut en finir avec la caricature des moniteurs sportifs “gros bras” ! Les équipes montrent qu’il y a des compétences parmi les autres profils [1] », explique Audrey Pallez, responsable du pôle « justice des mineurs » à la CNAPE. Autre sujet, les modalités de prise en charge : « Ne faudrait-il pas penser des alternatives pour les moments de crise, au cours desquels le jeune et l’équipe pourraient trouver un moment d’apaisement et faire le point ? » Par ailleurs, « l’accent doit également être mis sur les pratiques permettant d’éviter l’isolement des professionnels, favorisant l’analyse des pratiques et le travail collectif ». Mais « Outre le fait que les CEF souffrent de préjugés défavorables, ils souffrent davantage encore d’une crise de confiance. Confiance difficile à retrouver sans le soutien des pouvoirs publics », juge Fabienne Quiriau, directrice générale de la CNAPE.
De son côté, l’UNSA-SPJJ (Syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse) estime également qu’aborder le problème des dysfonctionnements uniquement par le prisme des CEF est une approche trop réductrice. « Nous considérons que l’état des lieux des structures de placement du secteur public comme du secteur associatif habilité est relativement catastrophique et qu’il est important de réfléchir à un projet global sur la qualité de la prise en charge, explique Laurent Hervé, cosecrétaire national. Le modèle hérité des années 1970 est en bout de course ! Face aux difficultés rencontrées par certaines équipes, la taille des structures mériterait d’être repensée et il faudrait réfléchir aux moyens de permettre, notamment, au jeune de progresser avec des allers-retours entre le placement et une prise en charge plus individuelle, en famille d’accueil par exemple. Aujourd’hui, on a l’impression que l’administration met des rustines, alors qu’il faudrait réfléchir à un projet institutionnel pour l’hébergement ! »
S’ils ne répondent pas à toutes les attentes et sont loin de constituer la rupture souhaitée par certains professionnels, plusieurs chantiers sont en cours. A la DPJJ, on affirme ainsi « un volontarisme et un regard sans concession sur le dispositif de prise en charge » que constituent les CEF. Projets éducatifs défaillants, personnels insuffisamment formés, turn-over très élevé, orientation des jeunes par défaut, pilotage lacunaire… Les défauts qui peuvent y entraîner de graves dysfonctionnements ne sont d’ailleurs pas une révélation et ont plusieurs fois été relevés dans des rapports institutionnels, dont ceux, en 2013, de l’ancien contrôleur général des lieux de privations de liberté, Jean-Marie Delarue(2), après sa visite dans deux structures, et des inspections générales des affaires sociales, des services judiciaires et de la protection judiciaire de la jeunesse. Leurs observations ont d’ailleurs conduit à la révision du cahier des charges des structures, en cours de publication selon la DPJJ.
A la suite du dernier rapport d’inspection, « qui ne remettait pas en cause le dispositif, correspondant à un besoin des magistrats », souligne l’administration, et dans l’objectif de s’assurer « d’une prise en charge efficace et respectueuse des mineurs auteurs d’infractions pénales », la ministre de la Justice a ordonné, conjointement avec la ministre des Affaires sociales, une « inspection de suite » qui a débouché sur un nouveau rapport remis en juillet dernier et non encore rendu public, dont les recommandations ont nourri un plan d’action qui devrait être prochainement présenté. Alors que les équipes ont été renforcées (pour 2015, les prévisions de dépenses de personnel des CEF sont fondées sur 26,5 équivalents temps plein – dont 1,5 de professionnel de santé – par structure), ce plan devrait comprendre des mesures relatives aux ressources humaines, « notamment un travail sur l’hébergement au sens large », visant à améliorer la qualification et la formation des personnels. Après la diffusion, le 4 mai dernier, des « lignes directrices relatives à l’élaboration du règlement de fonctionnement des établissements de placement judiciaire »(3), la DPJJ annonce la parution prochaine d’une note d’instructions sur la prévention et la gestion des situations de violence, qui « exclura toute forme de violence physique, quel que soit le terme utilisé pour tenter de la légitimer ou l’encadrer ».
Certes, le ministère est sorti de la logique du « tout CEF » critiquée sous l’ancienne mandature et intègre désormais le dispositif dans le panel de réponses possibles pour les mineurs délinquants, en voulant privilégier la diversification et la souplesse des réponses. Et loin de la promesse de campagne de François Hollande – doubler le nombre de CEF –, la DPJJ dit s’attacher à leur « développement mesuré » : depuis la fin 2013, deux nouvelles structures ont été ouvertes et une autre est prévue pour 2016, à Marseille. Mais au-delà des effets concrets des nouvelles orientations de la DPJJ diffusées à l’automne 2014 – qui supposent des moyens et un changement de pratiques des magistrats –, sans doute faudra-t-il attendre la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 pour que soit affirmé un nouveau discours pénal sur les mineurs délinquants. Selon le cabinet de la garde des Sceaux, le projet de texte pourrait commencer son examen parlementaire au premier semestre 2016… A moins qu’un nouveau contre-ordre politique le renvoie de nouveau aux calendes grecques.
(1) Voir sur ce sujet l’article paru dans les ASH n° 2902 du 20-03-15, p. 5 sur le rapport « Les centres éducatifs fermés, la part cachée du travail éducatif en milieu contraint ».