Missionnée en février dernier par le Premier ministre, Brigitte Bourguignon devait notamment plancher sur la refonte de l’architecture des diplômes et de la formation des travailleurs sociaux. Le 2 septembre, elle a remis ses conclusions à Manuel Valls(1). Si le rapport de la députée (PS) du Pas-de-Calais contredit celui de la commission professionnelle consultative (CPC) du travail social et de l’intervention sociale(2) – qui n’avait pas reçu l’assentiment du gouvernement –, il s’inscrit en revanche dans la continuité des rapports des quatre autres groupes de travail thématiques(3) des « états généraux du travail social », s’accordant ainsi avec les ambitions gouvernementales pour le secteur.
« Un diplôme par niveau. » C’est ce qu’avait préconisé la CPC, suscitant ainsi le mécontentement des professionnels, formateurs et étudiants. Mais « poursuivre dans cette voie ne conduirait qu’à l’échec », estime Brigitte Bourguignon. Elle avance donc l’idée, accueillie favorablement par les employeurs(4), d’un « socle commun de compétences, fondateur de l’identité de “travailleur social” ». Il serait rattaché à chaque niveau de qualification. Toutefois, elle reconnaît « l’impossibilité de définir de façon arbitraire et théorique le volume du socle commun », qui, pour elle, « diffère d’un niveau à l’autre ». Par exemple, l’élue préconise, pour les diplômes de niveau III, d’« identifier un socle commun identitaire dimensionné autour de 30 % de la durée des enseignements ». Quant au contenu, au format et aux modalités de ce socle commun, « tout est affaire de curseur », estime la députée, soulignant que « les orientations données par la CPC au travers des trois registres de compétences [transversales, éthiques et de positionnement professionnel, techniques en intervention sociale] constituent une intéressante base de réflexion ». Au final, Brigitte Bourguignon suggère « que l’acquisition des compétences du socle commun se fasse dans le cadre d’un enseignement commun (tronc commun) à toutes les filières de même niveau ». Dans ce cadre, la dénomination des diplômes d’Etat, quelle que soit l’option retenue, devrait être conservée, « tout en adaptant (à la marge) les référentiels en conséquence de la création du socle commun ».
Parallèlement, le rapport recommande de « positionner en fin de formation une option (ou un module) d’approfondissement liée soit à l’intérêt que porte l’étudiant au domaine choisi, soit dans la perspective d’un premier emploi auquel se destine l’étudiant ». Cette option ferait référence aux principaux dispositifs d’aide et d’action sociale (aide sociale à l’enfance, dépendance, handicap…), à des techniques particulières (action socio-éducative sous mandat judiciaire, approche de l’encadrement…) ou à des problématiques particulières (action sociale en milieu rural, action sociale et multiculturalisme…).
Brigitte Bourguignon appuie également la proposition qui permettrait de reconnaître le grade de licence aux formations de niveau III, comme le souhaitent la plupart des syndicats, y compris d’employeurs. Pour elle, cette disposition aurait « pour effet de désenclaver les formations préparant aux diplômes de travail social, de rapprocher le monde académique et le monde professionnel, de faciliter les poursuites ou reprises d’études universitaires pour les diplômés du travail social et de mettre en conformité les diplômes supérieurs de travail social avec l’espace européen de l’enseignement supérieur (processus de Bologne), de faciliter ainsi les échanges et les comparaisons au plan européen ». Une démarche qui devra se faire au regard du cahier des charges des grades universitaires de licence et de master fixé par un arrêté du 22 janvier 2014(5) et sous réserve de « faire évoluer le dispositif de formation sur certains aspects, indique le rapport : renforcement des enseignements disciplinaires, généralisation de l’apprentissage d’une langue étrangère, adossement des formations à la recherche, formalisation de l’intervention d’enseignants universitaires, développement des démarches “qualité”, effectivité du contrôle des formations par l’Etat ». Ces travaux devront être réalisés en concertation avec le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les représentants des organismes de formation et l’Association des régions de France. Ils devront en outre être articulés avec les négociations en cours sur « la modernisation des parcours professionnels, des carrières et des rémunérations » des fonctionnaires, qui doivent prendre fin le 30 septembre(6). En jeu : l’accès progressif de la filière sociale à la catégorie A de la fonction publique(7).
Pour évaluer la qualité des formations et des formateurs, rappelle Brigitte Bourguignon, le groupe de travail national « formation initiale et continue » a proposé d’instituer des critères d’évaluation partagés (Etat-régions-OPCA), en lien avec le décret du 30 juin 2015 relatif à la qualité des actions de la formation professionnelle continue(8). Mais la députée souhaite aller plus loin et propose de confier à l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux l’élaboration d’un référentiel d’évaluation interne et d’actualisation des compétences pédagogiques auxquels les établissements de formation seraient soumis.
Autre préconisation du groupe de travail national « formation initiale et continue » soutenue par l’élue : s’assurer de la qualification des formateurs. « Malgré les efforts réalisés notamment d’ouverture et de décloisonnement, relève-t-elle, la transmission des connaissances entre pairs comme mode de professionnalisation [ouvre] des zones à risque quant à la qualité des contenus des formations et à la qualité et à l’évaluation des formateurs eux-mêmes, qu’ils soient permanents ou occasionnels. » « A leur décharge, reconnaît Brigitte Bourguignon, la fonction de formateur, qui est acquise par la détention d’un diplôme de travail social et d’une expérience, n’est pas encadrée et ne bénéficie pas de formation qualifiante ni d’un programme national de formation continue. » Aussi suggère-t-elle d’« engager un travail avec les représentants des organismes de formation pour clarifier les attentes et les fonctions de formateur en distinguant formateurs permanents, occasionnels, de terrain ».
Plus généralement, l’élue plaide pour un égal accès de tous aux formations sociales. En effet, explique-t-elle, la formation préparant aux diplômes en travail social est actuellement accessible après une sélection des candidats, qui consiste en des épreuves écrites d’admissibilité et des épreuves orales d’admission. Or ces épreuves apparaissent « comme de véritables concours » et donnent lieu à des « préparations coûteuses » organisées par les établissements de formation selon des modalités figurant dans leur propre règlement d’admission sans encadrement minimal, déplore Brigitte Bourguignon. S’il n’appartient pas à l’Etat de réguler l’entrée dans les établissements de formation, elle lui demande tout de même de « veiller à ce que la nature des épreuves garantisse l’égal accès de tous aux formations sociales ». Et suggère de « conduire un audit des modalités d’admission dans les formations sociales, de préciser et de partager les objectifs et finalités des épreuves à l’entrée en formation ».
A l’heure où nous bouclions ce numéro des ASH, Manuel Valls, après s’être vu remettre le rapport de Brigitte Bourguignon, prononçait un discours dans lequel il affirmait sa confiance aux travailleurs sociaux et reconnaissait l’importance de leur rôle « immense ».
L’occasion aussi pour le Premier ministre de demander officiellement à Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, et à Ségolène Neuville, secrétaire d’Etat chargée de la lutte contre l’exclusion, d’élaborer le futur plan d’action pour la reconnaissance et la valorisation du travail social, qui devrait être dévoilé lors de la journée nationale de restitution des « états généraux du travail social » d’ici à la fin du mois d’octobre.
Plus d’infos sur
Brigitte Bourguignon formule toute une série d’autres recommandations qui tendent à soutenir la refonte du travail social. Elle propose entre autres :
• d’instaurer une instance, sur le modèle du Conseil supérieur des programmes de l’Education nationale, pour adapter les programmes de formation aux connaissances et pratiques scientifiquement ou consensuelles reconnues ;
• comme l’a suggéré le groupe de travail national sur le développement social, d’engager un « choc de simplification » du travail social « en s’appuyant sur les initiatives émergentes afin de leur donner plus de force et de visibilité ». Objectif : « libérer du temps, de la ressource humaine » pour mieux « centrer les compétences en direction des personnes accompagnées » ;
• de promouvoir l’idée de « premier accueil organisé et intégré », tel que l’a suggéré le groupe de travail « coordination interinstitutionnelle entre acteurs » ;
• de « recenser, évaluer et diffuser les pratiques inspirantes de développement social et de travail social collectif » ;
• de moderniser le Conseil supérieur du travail social, en modifiant sa composition pour y inclure les personnes accompagnées, en améliorant son ancrage territorial et en adaptant ses travaux dont la forme devrait mieux répondre aux besoins des professionnels (fiches pratiques, guide méthodologique…) ;
• de créer une délégation interministérielle du travail social et de l’intervention sociale.
(1) Reconnaître et valoriser le travail social – Mission de concertation relative aux états généraux du travail social – Juillet 2015 –Disponible sur
(4) Pour la députée, « ce sont des préoccupations de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences qui amènent les syndicats d’employeurs et les fédérations de cadres à soutenir [cette] idée qui constituerait une avancée permettant de développer la mobilité des professionnels peu mise en œuvre et propice à prévenir les risques psychosociaux ». Côté syndicats de salariés, si la FSU et la CGT sont « hostiles » à un socle commun, la CFDT, FO, la CFE-CGC et l’UNSA sont ouverts à cette idée. La CFTC, elle, se montre « dubitative ».
(5) Arrêté du 22 janvier 2014, NOR : ESRS1331396A, J.O. du 1-02-14.