Dans huit jugements rendus le 15 juillet dernier, le tribunal administratif de Paris a condamné l’Etat à verser à sept familles un total de 240 000 € de dommages-intérêts (de 13 164 à 70 000 € selon les cas) en réparation des préjudices qu’elles ont subis du fait « des carences de l’Etat dans la prise en charge des troubles autistiques » que présentaient leurs enfants. L’Etat ayant renoncé à faire appel, ces décisions, saluées par les associations de défense des personnes handicapées(1), sont devenues définitives.
Les parents reprochaient à l’Etat essentiellement un défaut de scolarisation de leurs enfants ou l’absence d’accueil adapté en établissement médico-social. Pour deux des familles, cette carence de prise en charge les avait même poussées à placer leur enfant dans une structure en Belgique. Ces parents demandaient donc à l’Etat la réparation du préjudice subi par eux-mêmes et leurs enfants. Le tribunal administratif de Paris leur a donné satisfaction, en utilisant globalement le même argumentaire pour chacune de ces affaires.
Les magistrats commencent par rappeler que, aux termes de l’article L. 246-1 du code de l’action sociale et des familles, toute personne atteinte du syndrome autistique et de troubles apparentés doit bénéficier, quel que soit son âge, d’une prise en charge pluridisciplinaire qui tienne compte de ses besoins et difficultés spécifiques. Et que l’article L. 112-1 du code de l’éducation pose le principe du droit à la scolarisation des enfants handicapés. Le tribunal ajoute que, « lorsqu’un enfant autiste ne peut être pris en charge par l’une des structures désignées par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) en raison d’un manque de place disponible, l’absence de prise en charge pluridisciplinaire qui en résulte est, en principe, de nature à révéler une carence de l’Etat dans la mise en œuvre des moyens nécessaires pour que cet enfant bénéficie effectivement d’une telle prise en charge dans une structure adaptée ». Mais, « en revanche, lorsque les établissements désignés refusent d’admettre l’enfant pour un autre motif, ou lorsque les parents estiment que la prise en charge effectivement assurée par un établissement désigné par la commission n’est pas adaptée aux troubles de leur enfant, l’Etat ne saurait, en principe, être tenu pour responsable de l’absence ou du caractère insuffisant de la prise en charge ». En effet, expliquent les magistrats, « il appartient alors aux parents, soit, s’ils estiment que l’orientation préconisée par la commission n’est pas adaptée aux troubles de leur enfant, de contester la décision de cette commission […] devant la juridiction du contentieux technique de la sécurité sociale […], soit, dans le cas contraire, de mettre en cause la responsabilité des établissements désignés ». Enfin, ajoutent-ils, « en l’absence de toute démarche engagée par les parents auprès de la CDAPH, la responsabilité de l’Etat ne saurait être engagée du fait de l’absence ou du caractère insatisfaisant de la prise en charge de leur enfant ».
En s’appuyant sur ces principes, le tribunal administratif a estimé, après instruction de chaque dossier, qu’il y avait eu, pour sept des huit familles requérantes, une carence de l’Etat dans la prise en charge de leurs enfants autistes constituant une faute de nature à engager sa responsabilité. Ont été considérés comme des carences de l’Etat, par exemple :
→ le fait que, malgré une décision de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées désignant un établissement d’accueil, la prise en charge pluridisciplinaire n’a pas pu être effectuée faute de place ou n’a pu l’être que de façon insuffisante, entraînant, pour deux des familles, un placement en Belgique ;
→ la scolarisation en école maternelle pour une durée inférieure à celle préconisée par la CDAPH.
Au final, le tribunal administratif de Paris a condamné l’Etat à indemniser le préjudice moral et/ou financier des familles, et notamment :
→ le préjudice moral subi aussi bien par les parents que par les enfants du fait de l’insuffisante prise en charge en établissement ou de l’absence de scolarisation. Mais aussi en raison de l’éloignement des enfants autistes placés en Belgique, « une première en France », selon l’association Vaincre l’autisme(2) ;
→ le préjudice financier dû à l’impossibilité, pour certains parents, de poursuivre une activité professionnelle ou aux frais qu’ils ont exposés pour le recours à la méthode ABA, à un psychologue ou à une tierce personne.
(1) Cette jurisprudence « vient conforter le droit des personnes handicapées et condamne la politique de l’Etat français comme son inaction pourtant dénoncée depuis des années », s’est félicitée l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei) dans un communiqué du 23 juillet. La veille, l’association Vaincre l’autisme, qui a soutenu l’action judiciaire des familles requérantes, avait qualifié ces jugements de « victoire contre l’Etat » et indiqué que 14 autres plaintes étaient pendantes devant le tribunal administratif de Paris.
(2) L’association estime, en outre, que « cette jurisprudence risque d’être élargie aux autres personnes handicapées et/ou âgées exilées à l’étranger, faute de structures en France ».