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« La loi NOTRe consacre l’intercommunalité comme la brique de base du système territorial français »

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Troisième volet de la réforme territoriale, la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République) a été adoptée en juillet après de longues discussions(1). Si elle consacre le rôle des intercommunalités et ouvre des perspectives pour les régions, elle ne parvient pas à réduire le poids des départements, analyse le géographe Philippe Estèbe, observateur attentif de ces questions.
La loi NOTRe a été adoptée le 16 juillet, après deux années de discussions. Pourquoi est-il si difficile de réformer l’organisation territoriale ?

La réforme territoriale est, en France, un chantier permanent. Une loi chasse l’autre et les textes se sédimentent… Ce n’est d’ailleurs pas un problème strictement franco-français. Des telles réformes sont sans cesse mises en chantier ailleurs, en Europe. La France fait toutefois figure d’exception, dans la mesure où les pays voisins ont privilégié un échelon territorial sur les autres et réduit le morcellement communal. Chez nous, les niveaux territoriaux demeurent relativement égaux juridiquement et politiquement. Et aucun gouvernement ne s’est lancé dans une réforme sérieuse de la carte communale. On a privilégié les intercommunalités, émanations des communes, mais elles ne s’y substituent pas. Une autre spécificité française est sans doute l’intrication du local et du national en termes de cumul des mandats et avec la présence de nombreux élus locaux dans tous les grands partis politiques. Ce qui ne facilite pas les réformes territoriales.

L’un des objectifs de cette loi était de réduire le poids des départements. Qu’en est-il au final ?

Les départements, c’est clair, ne disparaissent pas avec la loi NOTRe. Ils conservent à peu de choses près leur rôle et leurs compétences. Le département apparaît ainsi comme une institution très largement insubmersible, ressortant de chaque réforme sinon renforcé, du moins encore vivant. Pour quelles raisons ? D’abord, parce que les départements constituent un découpage territorial qui continue de correspondre assez bien à des bassins de vie existants. En outre, en deux siècles d’existence, ils ont acquis une réelle légitimité en termes de structuration et de gestion des services collectifs, et ce n’est pas en quelques années que l’on va réussir à faire évoluer cette carte qui n’est pas que mentale. Par ailleurs, un certain nombre d’observateurs font remarquer que l’élargissement actuel de l’assise territoriale des régions tend plutôt à légitimer l’existence de la circonscription départementale, intermédiaire entre la région et la commune.

On assiste à la disparition de la clause de compétence générale des départements et des régions. Comment analysez-vous ce changement ?

Symboliquement, il s’agit d’une évolution importante, dans la mesure où cette clause de compétence générale était le signe d’une sorte de quasi-souveraineté sur les affaires concernant le territoire. Cela revient à dire que tous les territoires n’ont pas les mêmes vocations. En pratique, cependant, il me semble qu’il y a moyen de contourner cette suppression. Par exemple, les régions voient renforcer leurs compétences en matière d’aménagement du territoire. Elles récupèrent ainsi, de fait, une forme de compétence générale, car dès lors que vous êtes chef d’orchestre de l’aménagement du territoire, vous avez vocation à vous intéresser à quasiment tous les domaines : le sport, la culture, la santé, l’éducation… au moins en ce qui concerne l’investissement et la localisation des équipements.

Les régions ont désormais la main sur l’orientation, la formation professionnelle, l’apprentissage et le développement économique, mais pas sur Pôle emploi. Est-ce une erreur ?

Tout cela représente un bloc de compétences déjà intéressant, mais je déplore quand même que le législateur n’arrive pas transférer aux collectivités des champs de compétences cohérents. On aurait pu au moins essayer d’expérimenter ce que représenterait une gestion territorialisée de Pôle emploi. Cependant, je vois bien les freins à une telle évolution. Les personnels de Pôle emploi semblent y être assez opposés. En outre, les conseils régionaux ne sont peut-être pas mécontents que l’Etat continue à s’occuper du chômage. Quoi qu’il en soit, je ne crois pas à l’instauration d’un système à deux vitesses, comme le craignent certains. Ce type de raisonnement est souvent contredit par les faits, car la décentralisation produit plutôt de l’homogénéisation et de l’harmonisation. Je pense à la décentralisation des lycées au profit des régions qui s’est traduite par un alignement des standards de qualité alors que, du temps où l’Etat était en charge des lycées, il existait d’énormes différences entre établissements.

La loi NOTRe avait également pour objectif de donner un coup d’accélérateur aux intercommunalités. Est-ce le cas ?

Ce texte consacre en effet définitivement l’intercommunalité, ou le bloc local, comme la brique de base du système territorial français. Le seuil de création des intercommunalités passe de 5 000 à 15 000 habitants. En outre, toutes les communes sont désormais dans l’obligation d’adhérer à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Bien sûr, cela ne va pas aussi vite que certains le souhaiteraient. On l’a vu avec le refus des parlementaires de consacrer l’élection au suffrage universel des conseillers communautaires. Les intercommunalités restent donc des établissements publics dotés d’une représentation politique au second degré. C’est un point négatif, car il n’est pas sain d’avoir des compétences importantes dévolues aux intercommunalité conjugées à une faiblesse persistante en matière de représentation politique. Le législateur aurait dû être un peu plus courageux, même si c’est plus facile à dire qu’à faire. De ce point de vue, on reste un peu au milieu du gué.

Les élus locaux s’inquiètent des budgets qui accompagnent les nouvelles compétences. N’est-ce pas le talon d’Achille des réformes territoriales ?

Dans le jeu de la négociation, il est toujours de bon ton de se plaindre du manque de financement. Mais jusqu’à il y a cinq ou six ans, les collectivités locales ont été bien servies financièrement, même s’il est vrai que les conseils départementaux se sont retrouvés pris entre l’augmentation des dépenses sociales et la diminution d’une partie de leurs ressources. Mais avant, les collectivités ont plutôt créé des services, embauché des fonctionnaires et développé leur activité. Il me semble que le véritable défaut du système de financement des collectivités locales est son opacité absolument hallucinante. Je serais, pour ma part, incapable d’expliquer précisément d’où vient l’argent, où il va et sur quels critères. Et cette opacité alimente en permanence les querelles. Il s’agit d’un vrai problème de démocratie fiscale. D’autant que ce qui est présenté comme de la redistribution permettant de donner davantage aux territoires pauvres n’est bien souvent que de la compensation pour des impôts supprimés ou des dégrèvements accordés par l’Etat. Les collectivités ont gagné en autonomie politique, mais perdu en autonomie fiscale. Aujourd’hui, pratiquement la moitié de leurs ressources dépendent, d’une manière ou d’une autre, du budget de l’Etat. Elles ont un douloureux arbitrage à faire entre équité – donc redistribution – et autonomie fiscale.

Cette réforme est-elle un gage d’efficacité et de lisibilité de l’action publique ?

L’avenir tranchera, mais je vois quand même deux évolutions fondamentales. Tout d’abord, le changement de taille des régions, qui peut avoir des effets importants sur la nature de ces institutions et sur leurs politiques. Les régions se sont trop longtemps comportées comme des superdépartements faisant du développement local en concurrence avec les conseils départementaux. Désormais, des régions comme Auvergne-Rhône-Alpes, la grande région Aquitaine ou Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne [ALCA] vont peut-être sortir le nez du local et voir autrement et plus loin. La région ALCA, par exemple, pourrait se voir confier une mission nationale sur les questions transfrontalières, et Auvergne-Rhône-Alpes pourrait travailler sur la question de l’industrie manufacturière. Le second point, qui ne relève pas de la loi NOTRe, est la consécration du pouvoir urbain, avec la reconnaissance du rôle des métropoles dans la structuration des territoires. Un certain nombre de grandes villes sont clairement en train de prendre le pouvoir sur leur territoire et deviennent des alliées stratégiques de l’Etat sur des dossiers clés comme les universités et les pôles de compétitivité.

Repères

Docteur en géographie et en sciences politiques, Philippe Estèbe a été notamment corapporteur, avec Jacques Donzelot, de l’évaluation nationale de la politique de la ville (1992-1994). Il est directeur de l’Institut des hautes études de développement et d’aménagement des territoires en Europe (Ihedate). Il a publié L’égalité des territoires. Une passion française (Ed. PUF, 2015).

Notes

(1) Voir ce numéro, p. 52.

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