Réformer un système « à bout de souffle » en améliorant les garanties au cours de la procédure, en réduisant les délais d’instruction et en favorisant l’accès à l’hébergement des demandeurs. Tels sont, pour le gouvernement, les objectifs de la loi du 29 juillet relative au droit d’asile (voir ce numéro, page 50). Définitivement adopté le 15 juillet, en pleine crise migratoire en Europe, le texte est, après un désaccord entre les deux chambres, quasiment revenu à la version des députés, expurgé de certains amendements auparavant introduits par les sénateurs. Exit, donc, la disposition selon laquelle le rejet définitif d’une demande d’asile valait automatiquement obligation de quitter le territoire en empêchant l’intéressé de solliciter le droit au séjour à un autre titre, celle qui excluait quasiment les déboutés de l’accueil d’urgence ou encore la création de centres « dédiés » pour ces publics.
Si elle présente « des avancées sur le papier », la réforme ne pourra être jugée, face aux défis posés par l’arrivée « massive et très concentrée » de réfugiés, qu’« à l’aune des financements qui seront octroyés pour mettre en œuvre ces principes », estime Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile. L’association Forum réfugiés-Cosi, préoccupée tant par les moyens accordés à la réforme que par ses textes d’application, se félicite de plusieurs progrès, « dont certains sont issus de directives européennes que la France était tenue de transposer avant le 20 juillet ». Parmi les avancées figurent l’égalité des conditions d’accueil pour tous les demandeurs d’asile (excepté ceux qui relèvent du règlement de Dublin), la présence d’un tiers et l’appréciation de la notion de vulnérabilité lors de l’entretien à l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), le renforcement des modalités de contrôle de la liste des pays d’origine sûrs, la consécration du rôle des centres provisoires d’hébergement ou la prise en compte de la composition familiale dans l’allocation pour demandeurs d’asile. « Auparavant, le demandeur d’asile devait avoir une domiciliation pour être admis au séjour, ce qui entraînait une attente de plusieurs mois avant d’avoir rendez-vous à la préfecture, ajoute Jean-François Ploquin, directeur général de Forum réfugiés-Cosi. Ce préalable ne sera plus nécessaire, ce qui va réduire le délai d’attente des personnes en stand by non éligibles aux centres d’accueil pour demandeurs d’asile [CADA]. Par ailleurs, la réduction des délais d’instruction va mécaniquement augmenter le nombre de places disponibles. Mais pour cela, il ne faut pas baisser la garde sur les moyens accordés à l’OFPRA. »
L’association sera particulièrement vigilante sur les conditions de mise en œuvre d’autres mesures. « Nous serons attentifs à l’instauration du “guichet unique” regroupant les compétences de la préfecture et de l’OFII [Office français de l’immigration et de l’intégration] car il représente un moment clé de l’entrée dans la procédure », souligne Jean-François Ploquin. Les plateformes associatives continueront d’intervenir, sur la base de prestations définies dans le cadre d’un marché public, en amont de ce guichet, mais aussi en aval pour les candidats à la protection n’ayant pas obtenu de place dans le dispositif d’hébergement des demandeurs d’asile (voir encadré ci-dessous).
Le schéma « directif » du dispositif national d’hébergement, qui consiste à lier les conditions matérielles d’accueil à l’acceptation par le demandeur de la place qui lui est proposée, avait, dès la présentation de la réforme, suscité des débats. Sous réserve d’une capacité suffisante, ce système « est directif pour être effectif, considère Jean-François Ploquin. L’examen de la vulnérabilité des personnes pour les orienter vers un hébergement adapté est une disposition importante, même si la prise en compte de la dimension familiale, sur laquelle nous avions beaucoup insisté, n’est pas transcrite dans le texte. » La loi prévoit par ailleurs la prise en compte de la vulnérabilité des personnes tout au long de la procédure. Mais reste à savoir quels professionnels pourront compléter l’évaluation « administrative » d’abord faite par les agents de l’OFII, et comment ils pourront transmettre ces éléments à l’OFPRA.
La réforme ajoutant de nouveaux cas d’examen en procédure accélérée, l’association s’inquiète également de la façon dont ces procédures vont être appliquées, « au regard des garanties procédurales moindres qu’elles entraînent en cas de recours ». Autres regrets : l’introduction d’une possibilité d’assignation à résidence des demandeurs d’asile relevant du règlement de Dublin et la procédure de recours en rétention, « qui ne semble pas répondre aux exigences du recours effectif au sens du droit européen ». L’association avait demandé que soit instauré « un recours sur le fond, et pas seulement sur la décision de placement ».
De son côté, la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale) se félicite de certaines avancées au cours du débat parlementaire. « A l’origine, l’élaboration du schéma national d’accueil ne visait pas l’interministérialité, rappelle Katya Benmansour, chargée de mission à la FNARS. Aujourd’hui, il associe [pour avis] les ministères du Logement et des Affaires sociales, c’est-à-dire qu’il ne se limite pas à la création de places. De même, le schéma régional doit être établi après avis du comité régional de l’habitat et de l’hébergement concerné, ce qui implique les associations, et doit prendre en compte le plan départemental d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées. »
Le texte reconnaît aussi aux demandeurs d’asile accueillis dans le dispositif national d’accueil (CADA et centres d’hébergement d’urgence dédiés) le droit à un accompagnement social et administratif. « Ce qui est important, ajoute Katya Benmansour, mais nous souhaitions des garanties sur la continuité de la prise en charge et l’instauration de prestations minimales d’accueil pour ce régime unifié. » Une revendication d’autant plus justifiée, pour la FNARS, que les places créées dans le cadre du plan d’accueil « migrants » ne sont pas des places en CADA, mais des places d’hébergement d’urgence de type ATSA (accueil temporaire-service asile), au prix de journée et au taux d’encadrement moindres. La FNARS, qui défend un statut unique pour toutes les structures d’hébergement, déplore également que la loi supprime l’admission à l’aide sociale en CADA et ne prévoie plus qu’une évaluation interne en 15 ans pour ces structures.
Même si demeure dans la loi une disposition prévoyant que le bénéfice des conditions matérielles d’accueil peut être suspendu, notamment si, « sans motif légitime, le demandeur d’asile a abandonné son lieu d’hébergement », les mesures les plus contraignantes liant présence dans la structure et procédure ont été retirées du texte. Subsiste tout de même une disposition très préoccupante : celle qui précise que, sans préjudice du principe de l’inconditionnalité de l’accueil, « en cas de refus ou d’abandon de l’hébergement proposé », le demandeur d’asile ne peut être hébergé en CHRS ou en centre d’hébergement d’urgence, ni même solliciter un recours au titre du droit au logement opposable. « Cette mesure, dont la motivation est d’inciter les personnes à accepter l’offre d’hébergement, est tout à fait paradoxale au moment où l’on veut réduire les nuitées d’hôtel ! », souligne Katya Benmansour. Sans compter que, dans les faits, elle semble difficile à appliquer puisqu’il faudrait que l’OFII puisse contrôler les dispositifs d’urgence… L’évocation du principe de l’accueil inconditionnel suffit d’ailleurs à rendre la mesure contradictoire…
La FNARS regrette que les parlementaires n’aient pas déconnecté le droit à l’allocation pour demandeurs d’asile de l’entrée dans le dispositif d’accueil, ce qui prive les intéressés de la possibilité d’être aidés tout en étant hébergés chez un tiers. L’unification des régimes de domiciliation, qu’elle défendait pour favoriser l’accès aux droits, y compris des personnes en séjour irrégulier, n’a pas non plus été retenue. Enfin, l’accès au travail pour les demandeurs d’asile qui n’ont pas vu leur dossier aboutir dans un délai de neuf mois, supprimé par les sénateurs, a été rétabli, « mais sans la non-opposabilité du marché de l’emploi ».
Conséquence de la réforme, l’OFII entend déléguer, dans le cadre d’un marché public exécuté à compter du 1er janvier 2016, les prestations de « premier accueil et d’accompagnement des demandeurs d’asile ». Celles-ci concernent le « pré-accueil » (avant l’enregistrement de la demande, l’évaluation et l’orientation par le guichet unique) et l’accompagnement des demandeurs d’asile non hébergés au sein du dispositif national d’accueil. Le marché est divisé en 34 lots géographiques, chacun correspondant à l’implantation des guichets uniques.
Pour la FNARS, cette nouvelle organisation des plateformes d’accueil des demandeurs d’asile (aujourd’hui gérées directement par l’OFII, par des associations ou cogérées) a plusieurs incidences. « Passer par un marché public change le rapport entre l’OFII et les associations. Ces dernières deviennent prestataires au lieu d’être partenaires des pouvoirs publics », souligne Marion Lignac, chargée de mission « réfugiés-migrants » et « enfance-famille » de la fédération. Selon le « cahier des clauses techniques particulières » diffusé au début juillet (le délai de réponse a été reporté de début à la fin septembre), la prestation de « pré-accueil », soit l’aide à l’enregistrement de la demande d’asile, « se limite à un volet administratif, sans prise en compte de la détresse sociale des personnes », ajoute-t-elle. Et en aval de l’enregistrement de la demande, « la prestation d’accompagnement est révisée à la baisse par rapport au référentiel des plateformes. Elle relève davantage de l’information et de l’orientation. » Notamment, l’aide au dépôt de la demande d’aide juridictionnelle n’est pas mentionnée et, en matière d’aide matérielle, les prestataires devront orienter les demandeurs d’asile vers les organisations caritatives. Ce n’est qu’à titre exceptionnel que pourrait être proposée une aide de secours d’urgence. Serait donc exclu « le remboursement des frais de transport pour se rendre à l’OFPRA et à la CNDA », s’inquiète la FNARS. Même interrogation sur la distribution de kits d’hygiène ou d’une aide vestimentaire. Le document ne fait pas non plus référence à la dimension familiale de l’accompagnement : pendant la phase de pré-accueil, un entretien d’une heure est prévu, quelle que soit la composition du ménage. Le document précisant que l’accompagnement social et administratif concerne les personnes non hébergées en CADA, un doute subsiste par ailleurs sur ce qui sera proposé en la matière par les structures d’hébergement stable faisant partie du dispositif d’accueil. Autre préoccupation : l’engagement de la responsabilité des prestataires sur le respect du délai de trois jours pour enregistrer une demande d’asile. S’ils n’ont pas prévu l’organisation nécessaire, les prestataires s’exposeront à des pénalités de retard.
Enfin, les « droits et obligations » du prestataire précisent qu’il est soumis à un principe de confidentialité et qu’il « saisit le directeur territorial de l’OFII en cas de sollicitation de la part des médias ». Un atteinte à la liberté d’expression des associations, craint la FNARS.