C’est l’aboutissement d’un vaste chantier lancé en 2012 par Christiane Taubira : celui de la réforme judiciaire dont les grandes lignes avaient été présentées en septembre 2014(1). Tributaire d’un calendrier parlementaire surchargé, la garde des Sceaux a enfin pu présenter en conseil des ministres le 31 juillet deux textes législatifs(2), dont un projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle qui entérine notamment des mesures actuellement expérimentées (guichet d’accueil unique dans les tribunaux de grande instance…). L’objectif de ce texte, d’après son exposé des motifs : « améliorer la justice du quotidien et […] placer le citoyen au cœur du service public de la justice ». Il sera examiné par le Parlement à une date non encore fixée et selon la procédure accélérée (une seule lecture dans chaque chambre).
Le projet de loi entend imposer aux justiciables de tenter une conciliation, effectuée par un conciliateur de justice, avant de saisir la juridiction de proximité ou le tribunal d’instance. Une démarche qui sera nécessaire pour « les petits litiges du quotidien », souligne l’exposé des motifs. Toutefois, elle ne sera pas exigée lorsque :
→ les parties justifient d’autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ;
→ l’absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime ;
→ cette tentative de conciliation risque, compte tenu des délais dans lesquels elle est susceptible d’intervenir, de porter atteinte au droit des intéressés d’avoir accès au juge dans un délai raisonnable.
Par ailleurs, le texte ratifie l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive européenne 2008/52/CE du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale. Dans l’objectif de développer la médiation, le texte complète également les missions du conseil départemental de l’accès au droit, qui devra à l’avenir aussi participer à la mise en œuvre d’une politique locale de résolution amiable des litiges.
Le projet de loi comprend également quelques dispositions, afin de garantir une bonne articulation entre la conciliation et la médiation devant le juge administratif. Ainsi, les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel devront elles-mêmes mener la conciliation et non plus la confier à un tiers. Lorsqu’elle sera initiée par les parties, la médiation interrompra les délais de recours. Ces derniers recommenceront à courir à compter de la date à laquelle soit l’une au moins des parties, soit le médiateur déclare que la médiation est terminée.
S’inspirant de l’action de groupe instituée en matière de droit de la consommation par la loi « Hamon » du 17 mars 2014, le ministère de la Justice entend donner un cadre légal général à l’action de groupe devant les juges judiciaire et administratif, « susceptible de s’adapter à tous les types de contentieux auxquels le législateur choisira de l’ouvrir », explique l’exposé des motifs. Et le projet de loi prévoit justement que l’action de groupe sera possible en matière de discriminations, avec des dispositions spécifiques dans le domaine du droit du travail(3). Il reprend ainsi l’essentiel d’une proposition de loi socialiste qui avait déjà été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale en juin dernier(4).
Concrètement, une action de groupe pourra être déclenchée par plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, qui subissent un dommage causé par une même personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature à leurs obligations légales ou contractuelles. L’objectif de cette action étant de faire cesser ce manquement, d’engager la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d’en obtenir réparation ou bien alors les deux. Seront habilités à porter l’action de groupe les associations agréées et les associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans, dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte, ainsi que les syndicats professionnels représentatifs. Mais, au préalable, les associations ou syndicats devront mettre en demeure le mis en cause de faire cesser le manquement ou d’en réparer les préjudices. Ce n’est qu’à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de la mise en demeure qu’ils pourront porter l’action de groupe en justice. Lorsque l’action tend à la réparation du préjudice, le juge devra statuer sur la responsabilité du mis en cause. A cette occasion, il définira le groupe de victimes – et éventuellement les sous-groupes de victimes –, ordonnera les mesures nécessaires pour informer les personnes susceptibles d’appartenir au groupe et, le cas échéant, aux sous-groupes qu’il a définis et fixera le délai qui leur est imparti pour y adhérer afin d’obtenir la réparation de leur préjudice. L’adhésion vaudra mandat au profit de l’association ou du syndicat requérant pour représenter les victimes pour toute la suite de la procédure. Toutefois, précise le texte, elle ne vaudra ni n’impliquera adhésion à l’organisme.
Par ailleurs, l’association ou le syndicat pourra enclencher une médiation, afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels. Tout accord signé au nom du groupe devra être homologué par le juge et ne sera opposable qu’aux victimes qui y adhèrent.
La chancellerie souhaite également simplifier l’organisation des juridictions de l’ordre judiciaire, notamment celles qui ont à connaître du contentieux de la sécurité sociale, afin de mieux répondre aux besoins des justiciables les plus vulnérables (personnes malades, bénéficiaires de prestations sociales qui ont de faibles ressources…) pour lesquelles les délais d’attente des décisions peuvent être préjudiciables. En effet, souligne l’exposé des motifs, « la multiplicité des juridictions intervenantes en la matière est source de complexité et génère une procédure coûteuse et longue ». Le projet de loi prévoit ainsi de confier à un pôle social constitué au sein des tribunaux de grande instance (TGI) les contentieux traités par les tribunaux des affaires de la sécurité sociale (TASS), les tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI) ainsi que ceux qui sont relatifs à la couverture maladie universelle complémentaire et à l’aide à l’acquisition d’une couverture complémentaire santé. L’appel des décisions rendues par ce pôle relèvera des chambres sociales des cours d’appel. Toutefois, la cour nationale de l’incapacité et de la tarification des accidents du travail conservera sa compétence en premier et dernier ressort pour les questions liées à la tarification. Ce transfert de compétences sera opéré par une ordonnance qui, en conséquence, supprimera les TASS et les TCI au plus tard le 31 décembre 2018.
Par ailleurs, le texte décharge les tribunaux d’instance des actions en réparation de dommage corporel pour les confier aux TGI, même lorsque le montant de la demande en réparation n’excède pas 10 000 €. Une manière de « recentrer les tribunaux d’instance sur la justice civile au quotidien et de rendre plus efficiente l’organisation du traitement des contentieux », souligne l’étude d’impact du projet de loi. Enfin, les TGI devraient récupérer le contentieux des tribunaux de police(5) « permettant d’assurer une meilleure cohérence de la politique pénale sur l’arrondissement judiciaire », explique l’exposé des motifs.
Afin de simplifier le parcours des justiciables, des guichets d’accueil unique sont actuellement expérimentés dans plusieurs tribunaux de grande instance(6). Le projet de loi consacre cette démarche en instituant un service d’accueil unique du justiciable, dont la compétence s’étend au-delà de celle de la juridiction où il est implanté. D’après l’exposé des motifs, l’intérêt d’un tel service est de permettre à chacun de « s’informer de ses droits, d’engager des formalités et des démarches, de se renseigner sur les procédures ou de suivre le traitement de ses affaires, y compris celles relevant d’une autre juridiction ». Les justiciables pourront aussi y déposer une demande d’aide juridictionnelle.
Par ailleurs, s’inspirant du rapport sénatorial sur la justice familiale de 2014(7), le projet de loi prévoit que les personnes qui concluent un pacte civil de solidarité (PACS), accompagné d’une convention sous seing privé, devront le faire enregistrer devant l’officier d’état civil – et non plus le greffier du tribunal d’instance – de la commune dans laquelle elles fixent leur résidence commune ou, en cas d’empêchement grave à la fixation de celle-ci, devant celui de la commune où se trouve la résidence de l’une des parties. L’intérêt d’une telle mesure, selon l’exposé des motifs : permettre aux tribunaux d’instance de se recentrer sur leurs compétences strictement juridictionnelles et diminuer les flux d’informations entre les juridictions.
(2) Elle a également présenté un projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture des magistrats sur la société.
(3) En cas de discrimination liée au handicap, lorsque l’action de groupe sera dirigée contre un employeur, privé ou public, elle ne sera ouverte qu’en matière d’accès à un emploi ou à un stage.
(5) Pour mémoire, ces juridictions connaissent des contraventions de 5e classe, les plus graves (par exemple, violences volontaires ayant entraîné une incapacité temporaire de travail inférieure ou égale à huit jours).
(6) Ce service est expérimenté dans les ressorts des TGI de Privas (Ardèche), Bobigny (Seine-Saint-Denis), Dunkerque (Nord), Brest (Finistère), Saint-Denis (La Réunion) et, plus récemment, Vesoul (Haute-Saône). Une deuxième vague d’expérimentations est prévue pour septembre.