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« Le “community organizing” vise à donner aux citoyens des outils pour améliorer leur sort »

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Comment agir en démocratie alors que la représentation politique classique paraît s’essouffler un peu plus à chaque échéance électorale ? Pour la chercheuse Hélène Balazard, qui a étudié des mouvements inspirés du « community organizing », l’auto-organisation des citoyens est l’une des pistes possibles, entre pragmatisme et radicalité.
Notre démocratie représentative est-elle à bout de souffle ?

Je ne sais pas mais, en tout cas, elle a été détournée de sa vocation initiale. A l’origine, tout le monde devait être représenté via une participation active aux débats politiques et, éventuellement, l’adhésion à un parti politique. Mais les partis se sont progressivement bureaucratisés et sont devenus oligarchiques. Ils comptent de moins en moins d’adhérents et autorisent de moins en moins le débat en leur sein. Ils ont perdu leur dimension intégratrice au sein d’un système politique devenu une affaire de professionnels. La majorité des gens vote une fois de temps en temps et, entre deux élections, reste passive.

Dans votre ouvrage, vous évoquez le community organizing. De quoi s’agit-il ?

J’avais travaillé pour ma thèse, soutenue en 2013, sur le mouvement London Citizens(1), en Angleterre. J’ai aussi participé à la création de l’Alliance citoyenne de Grenoble(2). Ces deux expériences ont alimenté la rédaction de ce livre. Le community organizing est une forme d’auto-organisation réunissant des collectifs ou des citoyens concernés par les mêmes problèmes, en particulier autour des questions de justice sociale. Ils s’auto-organisent pour essayer de résoudre ces problèmes, le but étant que les personnes concernées proposent elles-mêmes des solutions à leurs difficultés. C’est un processus dynamique qui a évidemment un lien avec la notion d’empowerment, dans la mesure où il s’agit de faire en sorte que tous les participants s’investissent dans une démarche de développement ou de leadership. On touche à la fois l’individu, le collectif et le politique. Le community organizing vise à donner aux citoyens des outils pour améliorer leur sort : obtenir des emplois moins précaires, bénéficier de meilleurs salaires ou de meilleurs logements, améliorer leur environnement…

Comment fonctionnent ces organisations ?

Elles regroupent des associations ou des collectifs culturels, cultuels, d’habitants, de solidarité ou encore du champ syndical. Le London Citizens est composé exclusivement de groupes et de collectifs déjà constitués, alors que l’Alliance citoyenne de Grenoble s’est récemment ouverte à des adhérents individuels. Le London Citizens regroupe un peu plus de 250 collectifs adhérents dont la taille va de plus de 3 000 membres à seulement une dizaine. A Grenoble, il y avait à l’origine 30 associations membres, mais en raison de l’ouverture aux adhérents individuels, il est difficile de donner actuellement un chiffre précis. Des personnes sont employées pour accompagner les membres dans la structuration de l’organisation et la mise en œuvre des différentes campagnes. Il s’agit de toucher les personnes les plus éloignées du pouvoir, les plus en marge, mais celles-ci souffrent souvent d’un grand manque de confiance en elles, d’un certain sentiment de fatalité, de l’impression de n’avoir prise sur rien, de ne pas bien savoir s’exprimer… Des moyens d’accompagnement sont donc mis en œuvre pour les aider à développer leur leadership. Aussi bien à Londres qu’à Grenoble, des formations sont proposées aux membres sur la prise de parole en public, l’organisation d’une réunion, comment mener une négociation, etc.

Quels types de campagnes ces organisations mènent-elles ?

Pour London Citizens, l’une des plus importantes campagnes concerne la question du salaire décent. Un salaire minimum a été voté en Angleterre en 1999, mais n’a jamais été mis en œuvre. L’organisation cible donc de grandes entreprises pour les inciter à augmenter le salaire de base. Le but étant de faire progressivement tache d’huile. Mais beaucoup de campagnes sont menées à un échelon beaucoup plus local sur des questions touchant au cadre de vie. Il s’agit de montrer à des personnes déçues de la politique que, sur des sujets bien circonscrits, on peut obtenir gain de cause. A Grenoble, une campagne a concerné les conditions de travail dégradées de femmes de ménage employées à l’hôtel des impôts par une société sous-traitante. En partenariat avec un syndicat et des associations, l’Alliance citoyenne a réussi à obtenir gain de cause. Une autre campagne a été organisée pour obtenir la remise en place d’un système d’accueil unique à l’université pour les étudiants étrangers, qui avait été supprimé. Autre exemple : l’école des Buttes avait brûlé et la mairie ne voulait pas la reconstruire. Grâce à la campagne de l’Alliance citoyenne, elle a pu rouvrir.

Vous insistez sur le caractère original, voire amusant, de ces campagnes…

La politique, au vrai sens du terme, concerne la façon de s’organiser pour vivre ensemble. Elle est donc censée mettre les relations humaines au cœur du processus. Ce ne doit pas être quelque chose de pénible ni d’ennuyeux. Une réunion publique devrait être conviviale et pas truffée de termes techniques auxquels personne ne comprend rien. De plus, lorsque des campagnes sont menées pour faire pression sur des décideurs qui font en général la sourde oreille, les actions doivent être les plus médiatiques possibles. Si elles sont amusantes et originales, les médias y accorderont davantage d’attention. Par exemple, dans le cas des femmes de ménage, des dizaines de personnes sont venues à l’hôtel des impôts de Grenoble avec des seaux et des balais. Pour l’école qui avait brûlé, les élèves et les enseignants ont fait classe dans la mairie, pendant un conseil municipal. Il faut savoir faire preuve d’imagination.

Comment London Citizens et l’Alliance citoyenne financent-elles leurs actions ?

C’est un souci permanent. L’idéal serait que leur budget soit assis seulement sur les cotisations de leurs membres, mais elles sont obligées d’avoir recours à d’autres sources de financement, provenant en particulier de fondations. Ce qui compte est de récolter le moins d’argent possible auprès de cibles potentielles de futures campagnes. Par exemple, les collectivités locales peuvent accorder des subventions mais aussi être mises en cause pour tel ou tel sujet. Il faut donc diversifier au maximum les ressources. Ce modèle économique n’est cependant pas idéal, et il serait nécessaire de revoir plus globalement le financement de notre modèle démocratique. Une proposition en ce sens avait d’ailleurs été faite dans le rapport « Pour une réforme radicale de la politique de la ville » remis en juillet 2013 par Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache(3). Il s’agissait de la création d’une Autorité administrative indépendante chargée de la gestion d’un fonds de dotation pour la démocratie d’interpellation citoyenne. Ce fonds devrait faire en septembre l’objet d’une conférence de consensus.

Vous plaidez pour ce que vous appelez le « pragmatisme radical »…

Cette formule est inspirée de Rules for Radicals : A Pragmatic Primer for Realistic Radicals, le titre de l’ouvrage de l’Américain Saul David Alinsky, qui fut l’un des pionniers du community organizing. Pragmatisme et radicalité ne vont pas toujours bien ensemble. Il s’agit donc de trouver un équilibre entre la critique et l’action, entre la nécessité d’avancer rapidement avec des campagnes qui marchent et l’importance de développer un mouvement citoyen plus en profondeur. Il faut arriver à tenir les deux bouts en même temps. C’est un équilibre permanent, comme la démocratie elle-même est un équilibre, ou plutôt un déséquilibre, perpétuel.

De quelle façon les travailleurs sociaux peuvent-ils s’inspirer du community organizing ?

L’Alliance citoyenne de Grenoble compte justement dans ses rangs un certain nombre de personnes issues du travail social. Elles sont en contact avec des populations en difficulté et font souvent remonter des sujets susceptibles de faire l’objet d’une campagne. On pourrait cependant aller plus loin et imaginer que les travailleurs sociaux mettent en lien des personnes ayant le même type de problèmes et les aident à réfléchir, entre elles, aux causes de leurs difficultés et aux solutions à mettre en œuvre. Plutôt que de simplement s’attaquer aux conséquences des problèmes, avec les outils traditionnels de l’action sociale, il serait plus intéressant et efficace de s’attaquer directement aux causes des difficultés des personnes.

Repères

Ingénieure des travaux publics, docteure en science politique, Hélène Balazard a été membre de la commission qui a accompagné l’élaboration du rapport « Pour une réforme radicale de la politique de la ville » (juillet 2013). Elle publie Agir en démocratie (Les éditions de l’Atelier, 2015).

Notes

(1) www.citizensuk.org.

(2) www.alliancecitoyenne-38.fr.

(3) Voir ASH n° 2818 du 12-07-13, p. 14.

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