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Les accueils de jour, maillons atypiques de la protection de l’enfance

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Depuis près de 15 ans, les deux services d’accueil de jour de l’aide sociale à l’enfance de Seine-Saint-Denis accompagnent des enfants jusqu’à 6 ans et leurs parents dans le cadre d’un accueil collectif qui croise protection de l’enfance, soutien à la parentalité et intervention sociale. Une évaluation met en évidence la pertinence de la formule.

Créé en 2001 à Bondy, le premier service d’accueil de jour (SAJ) de Seine-Saint-Denis est issu des réflexions menées par l’aide sociale à l’enfance (ASE) du département en lien avec ses partenaires de la petite enfance et de la protection de l’enfance (crèches, centres de protection maternelle et infantile, pédopsychiatrie, écoles, hôpital…). L’objectif de départ est classique : proposer une alternative au placement des enfants – ou, le cas échéant, le préparer avec les parents pour éviter les accueils en urgence – tout en évitant l’établissement de relations dysfonctionnelles parents-enfants. Anticipant la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, la formule retenue – dupliquée en 2008 dans un second service à La Courneuve – est moins habituelle : l’accompagnement et la prévention des risques sont d’emblée axés sur le soutien à la parentalité.

Si la collaboration avec les parents est au cœur de l’intervention des SAJ, leur modèle est atypique à bien d’autres égards : le public se compose de familles en difficulté dont un des enfants a moins de 6 ans au moment de l’accueil dans le dispositif, ce qui constitue une intervention précoce pour l’ASE. En outre, l’accueil collectif, qui s’inscrit dans la durée (en général une demi-journée par semaine pendant quelques mois à plusieurs années), repose sur une équipe pluridisciplinaire(1) qui partage une fonction commune d’accueillant. Autres particularités : l’absence de contractualisation écrite avec l’ASE afin de banaliser l’intervention, des comptes rendus non systématiques et pas de territorialisation : la zone de recrutement n’est limitée que par les capacités de déplacement des familles. Enfin, l’accompagnement de la relation parents-enfants s’appuie sur l’écoute, l’observation, le « faire avec » et l’intervention avec d’autres parents dans une logique de « pairs » et de coconstruction du projet de la famille pour son enfant. « A part un ou deux services associatifs au fonctionnement proche, il n’y a pas d’équivalent en France », observe Pascale Breugnot, ancienne chargée d’études à l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED)(2).

UNE MAJORITÉ DE FAMILLES MONOPARENTALES

Dix ans après un premier bilan en 2004 du service d’accueil de jour de Bondy, le conseil départemental, qui gère les deux structures, a voulu mieux cerner le bien-fondé et le caractère innovant du dispositif qui reçoit chaque année une centaine de familles et environ 200 enfants. Il a mandaté le cabinet CRESS (Conseil recherche évaluation sciences sociales) pour réaliser une évaluation « qui vient revisiter 15 années d’expérimentation », précise Laurent Barbe, consultant et auteur du rapport final.

Première conclusion : le public accueilli se révèle très proche de celui qui est concerné par la protection de l’enfance. « Nous avions en tête que les SAJ accueillaient des familles bien en amont des situations de protection de l’enfance mais ce n’est pas du tout le cas : dans la plupart des situations, il y a déjà un risque de danger ou un danger avéré », reconnaît Marie-Laure Guettaï, cheffe de service adjointe chargée du secteur « territoires » au sein de l’ASE de Seine-Saint-Denis. Outre qu’elles ont des conditions de vie précaires (notamment en matière de logement), les familles sont en majorité monoparentales : 65 % des enfants « vivent avec un seul parent, en ayant souvent vécu la violence des séparations, les non-dits relatifs à la situation et aussi les problématiques de culpabilité que cela engendre souvent », indique le rapport. Par ailleurs, elles font l’objet en général, en parallèle du SAJ, d’un important suivi social. Les situations migratoires sont également fréquentes, jouant « un rôle qui n’est pas négligeable dans la clinique des situations », auxquelles s’ajoutent parfois des troubles psychiatriques ou psychologiques.

Sollicité pour participer à l’évaluation, l’Observatoire départemental de la protection de l’enfance (ODPE) a de surcroît mis en évidence que près de 40 % des familles étaient déjà suivies en protection de l’enfance avant l’accès aux SAJ. « En pointant du doigt le fait que notre public est très proche de celui des autres dispositifs de la protection de l’enfance, l’évaluation montre que les SAJ ne sont pas un dispositif à part, qui draine un public nouveau, mais constituent au contraire une réponse qui s’inscrit pleinement dans le champ de la protection de l’enfance », commente Georges Kritchmar, directeur du SAJ Du Breuil à Bondy.

Malgré des réticences initiales à entrer dans le dispositif, liées à la crainte du placement et de la stigmatisation du lieu repéré comme « ASE », la quinzaine de familles rencontrées par le cabinet CRESS se montre globalement satisfaite. Ces familles apprécient la présence d’autres parents, les activités faites avec les enfants ou encore la posture non jugeante des professionnels… « Plusieurs mettent l’accent sur les enfants et leur plaisir de venir qui a emporté la décision […]. D’autres évoquent plutôt la qualité de l’accueil, de l’écoute proposée par l’équipe et le sentiment d’avoir été écouté et non jugé », note le rapport. Au final, la fréquentation des SAJ a un impact positif « sur leur remobilisation personnelle, leurs relations avec les enfants, leurs capacités à faire face aux difficultés rencontrées initialement ».

Pour activer ces compétences parentales, à côté de l’approche pluridisciplinaire du « faire avec » et de l’appui sur le groupe de « pairs », les leviers dont disposent les SAJ (rencontres, repas partagés, jeux, sorties, groupes de parole, etc.) sont « bien identifiés, analysés et formalisés ». La qualité des lieux d’accueil joue également un rôle important – à Bondy, les usagers du SAJ bénéficient d’un jardin ! « Une des mères présentes lors d’un échange a ainsi pu témoigner que c’était (ce jour-là) la première fois que son enfant de 2 ans jouait loin d’elle et qu’elle pouvait respirer un peu. D’autres ont évoqué comment les cris ou jeux de l’enfant étaient souvent une source de stress au regard des réactions possibles du voisinage. Cette dimension explique probablement une part du succès des SAJ qui proposent des espaces vraiment dédiés aux enfants, ce qui permet aux parents de souffler et de sortir d’un collage souvent problématique », estime le rapport.

Les parcours restent cependant très diversifiés. Dans une vingtaine de cas sur les cinquante étudiés dans le cadre d’une « bibliothèque des situations » (voir encadré ci-dessous), le bénéfice de l’accompagnement paraît évident : les parents forment une alliance avec la structure, les relations familiales évoluent et nombre de difficultés sociales trouvent une solution. L’évolution est toutefois plus mitigée pour une quinzaine de cas : soit les bénéfices pour les enfants se heurtent à des résistances parentales persistantes, soit certaines limites des parents (déficience, maladie mentale non stabilisée…) forment des obstacles difficilement surmontables, soit les effets du dispositif ne valent que le temps de l’accueil. Enfin, pour une dizaine de familles, les difficultés sont « trop importantes pour pouvoir être traitées dans le cadre proposé ». Le dispositif « n’est pas adapté à certaines situations supposant des étayages plus importants et réguliers », relève le rapport. « L’évaluation montre en particulier que les SAJ doivent faire preuve de vigilance face à certains accompagnements qui s’étirent sur deux ou trois ans sans que la situation familiale n’évolue vraiment. Dans ces circonstances, il convient d’être plus réactif et d’admettre que les SAJ ne sont pas la bonne indication », observe Marie-Laure Guettaï.

Quel devenir des familles ? D’après le travail statistique de l’ODPE en direction de celles qui sont sorties du dispositif entre 2009 et 2013, près de 60 % ne bénéficient d’aucune nouvelle mesure, un quart avaient une mesure qui s’est poursuivie et seulement 17 % ont eu besoin d’une nouvelle mesure(3). « Le postulat d’un dispositif suffisamment soutenant pour permettre à des parents de reprendre pied dans leur situation fonctionne dans une majorité de situations », souligne le rapport.

« LIEUX SÉCURISANTS »

Autre point abordé par l’évaluation : les relations des SAJ avec les acteurs chargés d’orienter les familles. Au regard du nombre de situations suivies dans le département, les deux services accompagnent peu de familles : « Pour les partenaires concernés cela dépasse très rarement la dizaine de situations par an. C’est donc une orientation forcément qualitative », souligne le rapport, ce qui n’empêche pas les SAJ d’occuper une « place intéressante dans l’ensemble des réponses apportées en protection en l’enfance ». Le fait de réaliser un travail hebdomadaire autour des relations parents-enfants « les institue comme des lieux sécurisants pour les acteurs de terrain confrontés à des situations inquiétantes (ou indécidables) ».

Reste la complexité du partenariat. Ce dernier est d’autant plus difficile à construire que la connaissance des situations pour lesquelles l’orientation vers les SAJ est pertinente est « assez variable » : si l’orientation est plus fréquente quand les professionnels « ont le sentiment d’être au bout de ce qu’ils peuvent proposer dans leur propre cadre de travail et pour des situations suffisamment inquiétantes pour nécessiter une mobilisation spécifique », certains partenaires locaux affirment « avoir une image un peu floue » du dispositif et se montrent déconcertés par le terme de prévention qui lui est associé, « alors synonyme de situations plus “légères” ».

Lors du démarrage du dispositif, l’accent a en effet été mis sur la prévention précoce de troubles de développement de l’enfant et sur le fait de contenir les risques de dysfonctionnements familiaux(4). Or la différence entre prévention et contention repose « sur une distinction plus délicate qu’il n’y paraît au premier abord », note le rapport. « Ces concepts amènent plus de confusion que de lisibilité, explique Laurent Barbe. Les partenaires peuvent, en particulier, avoir tendance à penser que les situations trop lourdes ne sont pas adaptées aux SAJ, ce qui n’est pas vérifié dans les faits puisque ces dispositifs accueillent des familles très en difficulté. » « Le concept de prévention est problématique, renchérit Georges Kritchmar. Non seulement il ne dit pas tout à fait ce que l’on prévient, mais il présuppose qu’un risque va être évité, et les parents peuvent se sentir suspects. C’est pourquoi une meilleure présentation de notre approche, axée sur la notion de réponse alternative à des mesures plus lourdes plutôt que sur la prévention, devrait aider nos partenaires à nous adresser les familles qui en ont besoin. »

Car, pour l’heure, si certains professionnels « ont développé des arguments spécifiques pour bien “vendre” [les SAJ] aux familles, ce n’est pas le cas de tous », et le passage de relais vers les SAJ reste souvent délicat : certains parents acceptent facilement l’entrée dans le dispositif mais « d’autres sont réticents, inquiets et vivent parfois cette orientation possible comme une “double peine” […], notamment quand ils perçoivent ou imaginent un risque de placement, ou en tout cas de stigmatisation », observe le rapport.

Autre facteur de tension possible avec les partenaires : la fonction de « vitrine » départementale parfois jouée par les services d’accueil de jour. Selon le rapport, elle suscite « une certaine “jalousie” ou en tout cas des réactions de rejet, particulièrement au sein de l’ASE et des circonscriptions ». « C’est préjudiciable dans la mesure où les SAJ ont au contraire intérêt à établir des liens de qualité avec leurs partenaires, y compris internes à l’ASE : c’est en effet parce que ces derniers ont noué en amont des relations suffisamment solides avec les parents qu’ils peuvent les orienter en confiance, rappelle Laurent Barbe. En ce sens, il faut faire très attention à ce que les SAJ ne soient pas considérés comme une solution à part ou concurrente, mais restent intégrés au dispositif global de la protection de l’enfance. »

MIEUX COMMUNIQUER

Dans cette perspective, une nouvelle plaquette précisant la nature des prestations des SAJ ainsi que leur articulation avec les partenaires devrait voir le jour prochainement. Le rapport invite d’ailleurs à revisiter la description du dispositif « pour augmenter la cohérence entre le travail effectif et la présentation qui en est faite » et à produire une communication institutionnelle « affinée et programmée de manière plus régulière ». « S’il est tout à fait nécessaire de mieux faire comprendre à nos partenaires à quelles familles nous nous adressons, il faut aussi insister sur la spécificité de notre approche en mettant l’accent sur le fait que notre accompagnement n’est pas qu’individuel mais surtout collectif : les familles avancent ensemble en s’aidant mutuellement », tient toutefois à préciser Giacomina Deledda-Lucchini, directrice du SAJ de La Courneuve.

Autre point de vigilance : l’évaluation du risque encouru par les enfants suivis. La relation établie avec les parents ne doit pas faire passer au second plan la préoccupation pour leur développement, pointe Laurent Barbe : « Quand il se crée une relation d’alliance avec les parents, les professionnels peuvent être amenés à ne plus voir qu’un enfant va mal. Il faut donc être attentif à ne pas tout analyser par le prisme de la relation familiale en gardant en particulier à l’esprit qu’il peut y avoir quantité de facteurs expliquant que la relation entre parents et enfants est difficile – par exemple, une surdité ou un autisme non diagnostiqués chez l’enfant. » « Au nom du soutien à la parentalité, on peut être amené à perdre de vue l’intérêt de l’enfant, confirme Georges Kritchmar. Lorsque le cadre éducatif que nous proposons ne suffit pas face à des parents ou des enfants trop déficitaires, nous devons notamment être en capacité de faire appel à d’autres secteurs – psychiatrie, handicap… »

Ces précautions mises à part, le rapport considère au final que l’expérience se révèle « concluante » et « source d’une évolution intéressante des modalités de travail avec les familles », et que les apports des SAJ « ne sont pas négligeables et constituent un pari justifié ». Le conseil départemental, qui réfléchit à l’opportunité d’étendre le dispositif, va-t-il se laisser convaincre de créer de nouveaux SAJ ? « Cela permettrait d’avoir une meilleure couverture territoriale sachant que les deux services actuels drainent surtout des familles qui résident à proximité », argumente Georges Kritchmar. D’autant que les familles situées au nord et au sud de la Seine-Saint-Denis sont pénalisées.

Les professionnels des SAJ sont invités pour l’instant à produire des écrits conservant la mémoire de l’action menée avec les familles. « Cela fait partie des éléments à améliorer », indique Marie-Laure Guettaï. « Nous avons déjà commencé à réfléchir à de nouveaux outils destinés à fournir des repères plus précis sur le cheminement des familles », explique Georges Kritchmar.

Plus largement, Laurent Barbe souligne l’intérêt qu’il y aurait à transposer dans les autres dispositifs de la protection de l’enfance les outils et postures professionnels mis en œuvre par les SAJ dans leur travail avec les familles : « Cela pourrait alimenter une réflexion globale sur la façon dont ces professionnels actionnent les ressources parentales et coconstruisent l’accompagnement avec les familles ».

Une démarche d’évaluation participative

Menée de juin 2014 à janvier 2015, l’évaluation des deux services d’accueil de jour (SAJ) réalisée par le cabinet CRESS a été restituée aux partenaires du dispositif le 8 juin dernier à Bobigny. Participative, la démarche a combiné plusieurs modalités de recueil de données. Les unes sont habituelles : analyse des documents et rapports produits par les SAJ, rencontre avec les inspecteurs et les responsables de circonscription de l’aide sociale à l’enfance (ASE), échanges avec les professionnels des deux équipes et une quinzaine de parents usagers, questionnaire écrit en direction des partenaires des SAJ… Plus original, le cabinet a organisé trois tables rondes, impliquant une trentaine de personnes, avec les structures du territoire (ASE, circonscriptions sociales, PMI, crèches, structures sociales…) à Bondy, La Courneuve et Aubervilliers. Il s’est également appuyé sur une « bibliothèque des situations », produite par les équipes des SAJ, qui a permis de mieux cerner la complexité des parcours de cinquante familles suivies au moins 6 mois. Le cabinet a également sollicité l’Observatoire départemental de la protection de l’enfance pour réaliser une analyse des suites de l’accompagnement de 302 enfants suivis et sortis du dispositif entre 2009 et 2013.

Notes

(1) Pour chaque structure : un psychologue, deux éducateurs spécialisés, un assistant de service social, une conseillère en économie sociale familiale, deux éducatrices de jeunes enfants, un ou deux animateur(s), une puéricultrice…

(2) Auteure également de l’ouvrage Les innovations socio-éducatives. Dispositifs et pratiques innovants dans le champ de la protection de l’enfance – Ed. Presses de l’EHESP, 2011 – Voir ASH n° 2733 du 18-11-11, p. 30.

(3) Au domicile (AEMO, AED ou TISF), de placement ou investigatrice (enquête de police, information préoccupante, mesure judiciaire d’investigation éducative).

(4) Un troisième axe était le soutien familial lors du retour de placement d’un enfant mais ce type d’intervention se révèle en réalité très rare.

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