L ’objectif d’intégration professionnelle des travailleurs handicapés, sans cesse réaffirmé depuis une quarantaine d’années comme un enjeu central de la politique du handicap, est un échec. Pour en éclairer les causes, le sociologue Bernard Lucas braque le projecteur sur une population relativement marginale : celle de travailleurs handicapés d’ESAT (établissements et services d’aide par le travail) qui souhaitent rejoindre le milieu ordinaire mais, en dépit d’essais réitérés, n’y parviennent pas. Les entretiens réalisés avec une petite dizaine d’ouvriers d’ESAT montrent que le parcours des intéressés s’est souvent écarté très tôt, dès le début de la scolarité, de celui des autres enfants. Cette rupture « scelle de manière quasi inéluctable un destin de personnes différentes ». La formation reçue en institution spécialisée est plutôt appréciée des personnes enquêtées, mais, par la suite, l’entrée en ESAT est presque toujours vécue comme une orientation par défaut ou en attente. Même si l’ESAT constitue un havre de paix où les conditions de travail et les relations sont appréciées, « la stigmatisation produite par l’appartenance à l’établissement […] est durement ressentie par ces adultes », souligne l’auteur. Cet effet repoussoir, conjugué à l’attractivité des stages en milieu ordinaire, nourrit l’envie de partir, mais la volonté d’intégration achoppe sur les exigences de performance croissantes du milieu ordinaire. Les travailleurs d’ESAT sont en butte à une « commande sociale paradoxale » : l’incitation à s’inclure autant que possible, alors même que les normes professionnelles sont de plus en plus excluantes.
Le travailleur handicapé aux portes de l’inclusion
Bernard Lucas – Ed. Presses universitaires de Grenoble – 19 €