Parue au début août, la dernière édition de l’ouvrage de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) sur les minima sociaux et les prestations sociales consacre cette année un traitement spécifique à l’extrême pauvreté et à la grande exclusion qui font l’objet de deux études. L’une porte sur les personnes vivant avec moins de 660 € par mois (voir encadré ci-contre) et l’autre analyse le recours aux droits et aux services des personnes sans domicile(1).
« Les situations de non-recours interrogent l’effectivité de l’offre publique, tant sur le plan de la gouvernance des politiques sociales que sur les pratiques des usagers, et représentent un enjeu fondamental d’efficience du système de protection sociale », rappelle la DREES dans cette seconde étude. « Cette question se pose avec une acuité particulièrement forte [pour] les personnes sans domicile stable [qui] rencontrent davantage de difficultés pour bénéficier des services et prestations du système de protection sociale et de solidarité. » Afin d’analyser ce phénomène, la DREES s’est appuyée sur l’enquête sur les sans-domicile menée en 2012 par l’INSEE et l’INED. Elle s’est d’abord intéressée aux démarches de cette population auprès des professionnels des secteurs sanitaire et social et des institutions. Premier constat : les contacts avec les premiers sont plus nombreux qu’avec les secondes. Ainsi, 85 % des personnes disent avoir consulté au moins une fois un médecin au cours des 12 derniers mois et 84 % avoir rencontré au moins une fois un travailleur social, alors qu’elles ne sont que 58 % à déclarer avoir fait au moins une démarche auprès d’un organisme intervenant dans le domaine social ou de la santé, les institutions à caractère social (CAF, mairie, CCAS…) ayant cependant été davantage sollicitées que celles qui relèvent de la santé (CPAM, MSA…).
L’étude souligne également que, « toutes choses égales par ailleurs, le mode principal d’hébergement des sans-domicile a un effet très significatif sur leur recours aux professionnels des secteurs sanitaire et social et aux institutions » : plus leurs conditions d’hébergement sont favorables, plus ils font appel à un médecin ou à un travailleur social ou se rendent dans un organisme de santé. « La précarité de l’hébergement diminue le recours à un professionnel », résume la DREES. Ainsi, « un sans-domicile sur quatre ayant dormi dans un lieu non prévu pour l’habitation, c’est-à-dire “sans abri”, déclare ne pas avoir été en relation avec un médecin ou un travailleur social pendant l’année écoulée, contre 2 % à 3 % des personnes ayant dormi dans un logement ordinaire accompagné, un hébergement collectif ou à l’hôtel ». « Plus isolée », cette population à la rue ne peut bénéficier de la présence de professionnels de la santé ou du social, à l’inverse des individus accueillis dans les structures d’hébergement collectif, ces dernières offrant pour la plupart (neuf établissements sur dix du champ de l’étude) un accompagnement relatif à la santé, à l’emploi, au logement, à la vie sociale ou aux démarches administratives et juridiques. Signalons que, parmi les sans-domicile définis comme « sans abri », 42 % de ceux qui ont rencontré des travailleurs sociaux se disent plutôt mécontents ou très mécontents de cette rencontre, contre 22 % de l’ensemble des sans-domicile.
Autre grand enseignement de cette étude : en 2012, 40 % des personnes sans domicile déclarent n’avoir perçu, le mois précédant l’enquête, aucune prestation sociale, une proportion stable par rapport à 2001, année de la première enquête « sans-domicile ». « Si un tiers des sans-domicile non couverts par une prestation perçoivent des revenus du travail (pour un montant limité, près de la moitié des individus gagnant moins de 600 € par mois), 56 % déclarent n’avoir eu aucune ressource le mois précédant l’enquête, écrit la DREES. Les sans-domicile ne bénéficiant ni de prestations ni de revenus du travail vivent de dons de la famille ou des amis (17 % d’entre eux), de dons d’associations (15 %), de la mendicité (14 %), de dons d’organismes publics, comme la mairie ou le centre communal d’action sociale (10 %), ou encore de la vente d’objets ou de services (5 %). »
Les personnes non couvertes par une prestation sont plus souvent de nationalité étrangère (six sur dix) et plus jeunes que les autres (plus du tiers ont moins de 30 ans). En outre, plus de la moitié vivent dans l’agglomération parisienne. « Ces résultats sont notamment liés aux critères d’éligibilité aux diverses prestations sociales », plus d’un sans-domicile sur dix ne remplissant pas les conditions, principalement des étrangers au regard du critère de « stabilité de résidence » (présence de plus de trois mois sur le territoire).
Le revenu de solidarité active (RSA) constitue la principale prestation perçue et la première ressource des personnes sans domicile devant les revenus du travail, alors qu’en 2001 « la principale source de revenus des personnes privées de logement ordinaire était tirée de l’exercice d’une activité, et non pas du revenu minimum d’insertion alors en vigueur avant d’être remplacé par le RSA en juin 2009 ». La faible proportion de personnes déclarant percevoir le RSA (un tiers des sans-domicile remplissant les conditions) s’explique en partie par les critères d’éligibilité au dispositif, mais également parce que deux tiers de celles qui ne l’ont pas demandé pensent être inéligibles.
Après le RSA, ce sont les allocations logement qui occupent la deuxième place des prestations déclarées par les personnes sans domicile (19 % en bénéficient), majoritairement perçues (80 %) par des personnes vivant en logement accompagné. S’agissant des prestations familiales, 65 % des sans-domicile pouvant a priori en bénéficier en perçoivent. Autres informations tirées de cette enquête : à peine un tiers (29 %) des sans-domicile ont déposé une demande de recours au droit au logement opposable (DALO), plus d’un sur deux prioritaire au DALO n’a pas été relogé, 37 % des sans-abri ne connaissent pas les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO), huit personnes sans domicile sur dix n’avaient pas appelé le 115 depuis un mois au moment de l’enquête. Malgré le droit à la domiciliation, 14 % des sans-domicile n’ont pas d’adresse pour recevoir du courrier.
La première étude est consacrée aux personnes vivant avec moins de 660 € par mois, ce qui correspond à 40 % du niveau de vie médian – le taux de pauvreté étant fixé à 60 % du niveau de vie médian. Elle cherche à comprendre pourquoi le niveau de vie de ces populations, qui vivent dans une situation de « pauvreté extrême », est si faible « malgré les mécanismes de redistribution destinés aux plus modestes » (2). Premier constat de la drees : si le « taux de pauvreté monétaire au seuil de 40 % »a baissé de 1996 à 2002, il a progressé après la crise économique de 2008-2009 pour s’établir en 2012 « à un niveau proche de celui observé en 1996 »(respectivement 3,7 % et 3,6 %). Environ 2,3 millions de personnes vivent ainsi avec moins de 660 € par mois, dont la moitié avec moins de 520 €. Parmi les catégories de personnes les plus affectées, les jeunes adultes de moins de 25 ans, qui « représentent un peu plus d’un quart des adultes pauvres monétairement au seuil de 40 % ». A l’inverse, les personnes âgées de 65 ans ou plus sont « sensiblement sousreprésentées » (un peu moins de 5 %). Mais leur présence même dans cette catégorie « est étonnante au regard du montant du minimum vieillesse » (777 € pour une personne seule et 1 207 € pour un couple à la fin 2012). Il est possible qu’une partie de ces personnes ne recourent pas à cette prestation « par manque d’information sur le dispositif ou par souhait de ne pas être recouvrables sur succession », avance l’étude. Autre constat : « La pauvreté extrême affecte plus fortement les personnes seules, qu’elles vivent ou non avec des enfants. » Ainsi, 29 % des personnes les plus pauvres vivent seules et environ une sur six vit dans une famille monoparentale. Si les prestations sociales constituent en moyenne la moitié du niveau de vie des personnes les plus pauvres, 27 % « appartiennent à un ménage n’ayant bénéficié ni d’une allocation logement ni d’un revenu minimum garanti, et environ une sur six appartient à un ménage n’ayant eu aucune prestation sociale ». Et en ne considérant que les personnes qui vivent au sein d’un ménage comportant au moins un adulte âgé de 25 à 64 ans, ce sont « 46 % des plus pauvres qui ne sont pas couverts par un revenu minimum », cette absence pouvant être liée au phénomène de non-recours, mais aussi à des critères d’éligibilité relatifs aux ressources. Illustration : « Une personne seule propriétaire de son logement avec des allocations chômage de 600 € mensuels a des ressources qui dépassent le montant forfaitaire du RSA socle, alors que son niveau de vie est en deçà du seuil de pauvreté extrême. »
(1) Minima sociaux et prestations sociales. Ménages aux revenus modestes et redistribution – Edition 2015 – Disponible sur
(2) Les personnes n’ayant pas de domicile n’ont pas été prises en compte dans cette étude.