« L’originalité du rapport du CSTS est d’induire le concept de “résonnance” : “Le travail social ‘en résonnance’ est une forme d’intervention qui donne ampleur, force et vigueur aux initiatives des ‘usagers’, qui soutient en apportant ses moyens et ses ressources.” Jolie idée qui réactualise, en les liant, les notions d’empathie et d’empowerment. Certes, la bienveillance prévaut à la relation d’altérité dans le travail avec autrui. Cela étant, quels sont les tenants et les aboutissants de cette “résonnance” ? Question indispensable si on veut éviter que la relation d’aide ne “sonne creux” et que les réflexions ne “raisonnent dans le vide”.
C’est là que s’ouvre une controverse avec la position du CSTS, résumée dans le sous-titre du rapport : “Merci de ne plus nous appeler usagers”. Le terme “usager” fait débat de longue date. Dès la publication de la loi 2002-2, des rhétoriques le mettaient en cause masquant mal, dans les faits, une résistance farouche à voir les usagers mieux garantis dans leurs droits et libertés fondamentales. Le CSTS propose “de proscrire le mot ‘usager’ dès lors que son emploi n’est pas référé à un objet, un dispositif, une politique…”. Sur ce point, nous ne pouvons qu’être d’accord : le terme d’“usager” n’est pas un en-soi qui pourrait introduire une catégorie de sous-citoyenneté. Il est systématiquement lié à un dispositif d’action. Le rapport évoque des termes usités dans le secteur : bénéficiaire, habitant, acteur, citoyen…, usager faisant penser à “usagé, assujetti, incapable…” Il en propose d’autres : personne accueillie, personne accompagnée, voire une expression aussi neutre que “les gens”. Toutes substitutions terminologiques qui, tentant de mieux qualifier la personne, ne disent plus rien de la nature de la relation qui justifie l’interaction dans une relation d’aide.
Car c’est là, au cœur de la relation d’aide, que le terme d’usager trouve sa raison d’être et le sens de ce qui se joue. Etre usager, c’est s’inscrire dans un rapport d’usage. Par rapport d’usage, nous entendons la manière dont les acteurs de la relation – intervenants et bénéficiaires – font “usage” des dispositifs d’accompagnement et de prise en charge. Au-delà de la simple “résonnance”, ce qui entre en scène dans le travail avec et pour autrui, c’est un ensemble de moyens techniques(2). Ces objets techniques ne sont pas seulement des vecteurs de l’aide apportée, ils sont le lieu de rapports de forces entre les uns et les autres. Il y a donc un enjeu de pouvoir quant à la manière dont les usagers “font usage” des dispositifs sociotechniques. Cela revient à dire que l’usager ne peut être réduit à l’utilisateur, ni l’usage à une simple utilisation. Le rapport d’usage induit des stratégies – et des tentatives plus ou moins abouties – de détournement. Il permet au destinataire de l’action de tirer profit du système technique dans lequel il s’inscrit. Intégrer le rapport d’usage, c’est réhabiliter, au-delà de toute approche fonctionnaliste, la médiation technique comme support de l’échange, comme levier du développement du pouvoir d’agir des personnes – salariés comme usagers – comme espace de créativité possible. Le rapport d’usage réinscrit l’usager dans le rapport social. Il permet de repolitiser l’action sociale(3), c’est-à-dire de mettre en débat un projet de société.
Finalement, les débats sémantiques du CSTS ne tendent-ils pas à égarer la problématique dans un lien instrumental ? Le rapport ne porte-t-il pas, implicitement, cette conception selon laquelle la participation des bénéficiaires ne viserait que l’accroissement de l’efficacité de l’intervention dans une simple réponse à la demande ? La performance des interventions sociales reposerait ainsi sur un rapport organique entre un problème, une action et ses effets. Elle relève d’une vision positiviste qui réduit la qualité de la prestation à son résultat mesurable sans intégrer les dimensions sociétales de l’action et donc ses significations politiques (en termes de participation à la vie de la cité). La référence au rapport d’usage, consacrée dans l’expression “usager”, porte une toute autre ambition. Elle suppose que l’efficacité du travail social revient à permettre à chacun de prendre en main son destin, pour soi et avec les autres. Elle vise ainsi à créer les conditions d’une transformation sociale fondée sur la capacité de faire usage des dispositifs d’action. La perspective qui s’ouvre alors s’affranchit du jeu de rôles et d’attente de rôles pour aborder la relation d’aide comme un rapport social, condition même de la promotion de la citoyenneté des usagers.
Alors, de grâce, appelez-nous usagers ! »
Contact :
(1) Et auteur de Vous avez dit « usager » ? Le rapport d’usage en action sociale – Ed. ESF, 2015 – Voir ASH n° 2918 du 10-07-15, p. 39.
(2) Contrats de séjour, organisations institutionnelles, etc.
(3) Voir