Réunies autour d’une table, plusieurs mères échangent sur les vacances à venir. Gestion du budget, préparation des bagages, moyens de transport…, ces questions pratiques sont abordées autour d’un jeu de société proposé par Emeline Diarra, responsable « réseau » au sein de la délégation régionale des Pays de la Loire de la fédération Vacances & Familles. Objectif de cette rencontre conviviale : préparer les séjours estivaux de ces familles, qui n’ont ni l’habitude ni les moyens de partir de manière autonome.
Née dans les années 1960, Vacances & Familles s’est donné pour objectif de faciliter le départ en vacances des foyers en difficulté économique et sociale. L’accompagnement consiste non seulement à recevoir la famille en amont du départ, pour l’aider à monter son dossier de financement et répondre à ses éventuelles inquiétudes, mais aussi à l’épauler durant son séjour via la présence de bénévoles. La fédération, qui emploie 34 salariés, est en majorité financée par des partenaires publics et des fondations(1).
Présente dans neuf régions françaises(2), elle a permis à 992 familles (3 715 personnes) de partir en vacances en 2014. Parmi elles, 70 % étaient monoparentales et 41 % des adultes étaient privés d’emploi. Les parents isolés représentent le noyau dur du public de la fédération. Il arrive aussi que des couples ne partent pas ensemble : « Les papas préfèrent rester travailler car beaucoup de missions d’intérim tombent pendant l’été », précise Anne Goujon, déléguée régionale de la fédération dans les Pays de la Loire. En 50 ans, la typologie des familles a beaucoup évolué. « Au départ, on accompagnait principalement des couples avec des enfants vivant en région parisienne, explique Dominique Macaire, président de la fédération Vacances & Familles. Désormais, on accueille des familles monoparentales issues de plusieurs régions françaises, et pas toujours urbaines. » Cette année, par exemple, 30 familles originaires de Vendée, département à dominante rurale, vont pouvoir boucler leurs valises.
La durée des séjours s’est considérablement réduite au fil du temps. « Au début, les gens partaient un mois en caravane dans un camping, poursuit Dominique Macaire. Maintenant, les séjours durent une semaine ou quinze jours, car les gens ne peuvent pas se permettre de partir davantage. » Côté destination aussi, les demandes ont évolué. « Tout le monde veut partir à la mer, au soleil et dans le sud, résume le président, dont l’association propose surtout des séjours à la campagne. Les familles sont aussi beaucoup plus exigeantes sur le mode d’hébergement. Les vieilles maisons rurales et les caravanes ont une très mauvaise image. » La fédération commence donc à élargir son parc de logements, qui va du gîte rural au village de vacances en passant par les chalets ou les mobile homes, tout en continuant à proposer des séjours en caravane. « On essaie d’être au plus proche de l’envie des familles, confie Sylvette Evennou, bénévole pour l’association à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Les villages de vacances proposant piscine et animations pour les enfants fonctionnent souvent très bien. »
En amont du séjour, les rencontres avec les candidats aux vacances se déroulent le plus souvent dans une maison de quartier ou un local associatif, de manière individuelle ou collective. « On leur explique la spécificité de notre accompagnement et les aides auxquelles ils ont droit, poursuit Sylvette Evennou. Chaque famille paie au moins 15 % du séjour de sa poche et 10 € d’adhésion à la fédération. On leur propose d’échelonner leurs paiements pour que cela soit moins difficile. » Ces rencontres préalables permettent aussi de dénouer certaines angoisses propres au départ vers l’inconnu. « Beaucoup de familles s’inquiètent de savoir si la vie sera chère sur place. D’autres se demandent ce qu’elles doivent amener ou confient avoir peur de se sentir perdues, sans lien avec d’autres personnes. » Ces réunions permettent enfin de passer en revue la liste de vêtements à emporter, le budget à prévoir sur place ou encore les relations avec les bénévoles.
Pendant le séjour, la présence de ces derniers à proximité du lieu de vacances constitue le cœur de l’accompagnement. Ce sont eux qui récupèrent les personnes à la gare pour les conduire dans leur logement de vacances quand elles n’ont pas de voiture ou organisent un pot d’accueil pour les familles présentes dans la même aire géographique. Ils proposent également deux sorties par semaine aux vacanciers et se rendent disponibles au fil du séjour pour un soutien amical et/ou logistique. « Je me souviens d’une famille qui avait mal vécu un violent orage. Elle avait appelé en urgence pour qu’on remette l’électricité dans son logement, raconte Sylvette Evennou, qui intervient chaque été sur deux sites de son département, un village de vacances à Pornichet et une maison à Missillac. On essaie d’être présent tout en respectant leur besoin d’intimité. Quand les mamans sont seules, on passe un peu plus de temps à bavarder… » Le lien avec les bénévoles permet aussi de faire découvrir aux familles d’autres univers et de favoriser la mixité sociale.
Aude, mère isolée qui a vécu en foyer d’accueil pour femmes battues, a gardé un très bon souvenir de son premier séjour de vacances accompagnées : « J’étais partie seule avec mon fils dans un camping du Maine-et-Loire et les bénévoles nous ont énormément gâtés. Ils nous déposaient chaque matin un panier de légumes de leur potager et nous emmenaient souvent au restaurant. » Souvent, les liens perdurent au-delà des séjours. « Il arrive régulièrement que bénévoles et vacanciers s’appellent pour se donner des nouvelles », souligne ainsi Sylvette Evennou.
Depuis les origines, la fédération met un point d’honneur à proposer des logements non équipés de télévision pour rompre avec le quotidien. « L’objectif des vacances est que les familles vivent quelque chose ensemble, explique Anne Goujon. Certains parents qui ne jouent jamais avec leurs enfants découvrent ainsi les jeux de société ou des loisirs communs, comme faire du vélo. » Les bénévoles écument souvent les vide-greniers durant l’année pour équiper les logements en jeux de société. La fédération s’adapte cependant aux situations particulières. « Quand il fait mauvais temps ou qu’une maman se retrouve seule le soir dans un gîte une fois les enfants endormis, les bénévoles n’hésitent pas à installer un poste de télévision. »
A l’issue du séjour, les familles sont à nouveau conviées par la fédération pour dresser un bilan des vacances, de manière collective et individuelle. Afin d’en savoir plus sur les retombées de ses actions, Vacances & Familles a récemment fait réaliser une étude sociologique fondée sur des entretiens avec des bénéficiaires. Ce document interne – que les ASH ont pu consulter(3) – montre que l’hébergement est central dans le rapport des familles aux vacances. Celui-ci est en effet pour elles une façon de sortir symboliquement de la précarité durant le temps du séjour. « Les familles vivant toute l’année dans un logement exigu ou délabré ont envie d’espace et de confort en vacances… », souligne Dominique Macaire.
Par ailleurs, pour des familles qui n’ont pas l’habitude de quitter leur logement, un hébergement en caravane peut être peu apprécié. Le fait de ne pas avoir un toit « en dur » au-dessus de sa tête, d’être exposé au regard des autres dans un camping ou la peur des insectes peuvent même être à l’origine d’un départ précipité. « C’est heureusement rare, mais il arrive que des familles écourtent leur séjour parce que l’adaptation à un environnement très différent du leur est difficile », explique Anne Goujon. Au-delà du mode d’hébergement, « le calme de la campagne, l’éloignement des commerces et l’absence de transport en commun, même si les bénévoles sont là pour véhiculer les familles sans voiture », peuvent poser problème. Enfin, les caravanes, non dotées de sanitaires, ne sont pas toujours adaptées aux enfants en bas âge.
La manière dont les vacances sont abordées par les bénéficiaires dépend beaucoup de la typologie et de la composition du foyer. Pour les familles monoparentales, partir seul avec ses enfants n’a rien d’évident. L’enquête dépeint ainsi les difficultés rencontrées par les mères isolées durant leur séjour : solitude, absence de répit, difficulté à surveiller et occuper ses enfants. Les personnes seules ont cependant la possibilité de partir avec une autre personne de leur entourage (grand-mère, tante…) et de faire financer ce départ par la CAF. « Je vais partir en Mayenne avec ma fille de deux ans et avec ma mère », se réjouit Amina, demandeuse d’emploi à Nantes, qui n’était pas partie en vacances depuis cinq ans.
Les séjours de deux adultes offrent plus d’autonomie à la famille et de temps de repos pour chacun, constate l’étude. L’âge des enfants joue également dans le rapport aux vacances en raison des contraintes liées à l’organisation, à la surveillance et à la nécessité d’occuper ces derniers par des jeux et activités. Enfin, « le capital socioculturel dont dispose la famille est un facteur déterminant dans la manière dont elle va appréhender ses vacances. La connaissance du pays, l’autonomie dans les déplacements, la maîtrise de la langue française, la capacité à faire face à des situations nouvelles et inattendues […] sont autant d’atouts permettant d’appréhender sereinement ces vacances loin des repères familiers. »
Autre enseignement de l’enquête : la diversité des rapports aux vacances des familles accueillies. Pour analyser ceux-ci, l’étude utilise la grille du sociologue Pierre Périer, auteur d’un ouvrage sur les vacances populaires(4). Quatre types de vacanciers se retrouveraient au sein du public accompagné : les « programmateurs », qui ont l’habitude de planifier un voyage à l’avance et sont peu déstabilisés par ce projet ; les « incertains », nombreux, qui hésitent à sauter le pas d’un départ ; les vacanciers « virtuels », qui ont perdu l’habitude de partir et vivent plus ou moins bien l’idée d’un séjour ; enfin, les « repliés », qui ne partent jamais en vacances et n’en ont même plus le projet. Un public plus difficile à toucher et qui représente, selon le rapport, un « vrai challenge » pour les années à venir. Cette mosaïque de comportements oblige en tout cas la fédération à construire un projet de vacances au plus près des contraintes et des manières de vivre des familles.
Quels effets ont les vacances sur les familles ? Le rapport évoque de très rares retombées négatives, comme un trop grand dépaysement, une difficulté à accepter la présence de bénévoles ou encore une prise de conscience douloureuse de la situation de précarité. « Ce séjour m’a fait ressentir ma condition sociale, témoigne une mère isolée de Seine-Saint-Denis. Là-bas, c’était huppé. Je voulais justement faire découvrir à mes enfants un autre milieu social. Mais ça m’a fait trop mal au cœur. »
Organisés le plus souvent à la campagne, les séjours sont pour beaucoup l’occasion d’une multitude de découvertes. « Le terroir et les paysages sont autant de nouveautés que les foyers appréhendent avec plaisir, constate l’étude. Gastronomie, paysages et calme ont marqué les familles. » Anne-Cécile, mère au foyer de 32 ans partie en Bretagne l’an dernier avec ses trois enfants, a beaucoup apprécié de quitter son quartier et ses barres d’immeubles pour découvrir « de jolies maisons en pierre ». Par ailleurs, les sorties organisées durant les vacances (parc d’attraction, zoo, visite de ferme…) sont souvent un déclic pour organiser des activités similaires durant le reste de l’année. « Les familles semblent avoir plus à cœur de continuer sur la lancée de leurs congés », relève le rapport. De nouvelles habitudes prises pendant les vacances, comme marcher ou faire du vélo, peuvent également perdurer.
Les vacances peuvent aussi contribuer à une remise en action, voire à une émancipation, des bénéficiaires confrontés à des difficultés comme le chômage ou une phase de dépression. « Le séjour peut leur avoir donné un élan, redonné de la motivation pour faire face au quotidien et entreprendre des choses ou a minima les voir différemment », souligne l’étude, qui cite le fait de déménager, de chercher du travail ou d’entamer une formation. « Quand vous revenez, vous avez plus d’énergie. Ça m’a incité à passer mon permis », avoue une mère isolée de deux enfants dans le Nord.
L’étude évoque enfin un « rapport à soi et aux autres réinvesti ». Tous les bénéficiaires se disent heureux d’avoir changé d’air, d’avoir pris du temps pour eux et pour leurs enfants. « Emmener leurs enfants en vacances comme tous les autres parents, malgré leurs difficultés financières, semble revisiter la parentalité. » Les enfants eux-mêmes sont fiers de raconter leurs souvenirs de vacances à leurs camarades de classe, une façon d’estomper les différences sociales. L’ouverture aux autres, que ce soit aux familles hébergées à proximité ou aux bénévoles, fait également partie des points forts des séjours. « Au-delà des aides financières, on se sent soutenu par une présence humaine, confie Anne-Cécile, qui partira dans un gîte au bord de l’océan en août prochain. Depuis qu’elle sait que nous partons à la mer, ma plus jeune fille en parle tous les jours. Comme on ne part qu’une semaine, c’est un moment très attendu. »
La fédération vient de redéfinir son projet pour les années 2015-2020 autour d’une priorité : mieux répondre aux besoins de son public. Elle souhaite tout d’abord étendre son action dans de nouvelles régions pour augmenter le nombre de départs en vacances. Elle envisage de diversifier les types d’hébergement et les formules pour s’adapter à de nouveaux publics comme les jeunes ou les seniors. Elle a déjà commencée à expérimenter en Bretagne des séjours réunissant plusieurs familles sur un même lieu, alors que, historiquement, l’accueil était individuel. Le développement de vacances en milieu urbain fait aussi partie des orientations : des séjours ont déjà été expérimentés à Paris, dans une auberge de jeunesse à proximité des Champs-Elysées, durant les vacances de la Toussaint.
La fédération s’attache également à renouveler son tissu de bénévoles, qui fait sa spécificité. « Certaines régions comme la Bretagne ou les Pays de la Loire sont moins confrontées à ces difficultés. Mais en Ile-de-France, notamment pour préparer le départ en vacances, nous avons plus de mal à renouveler nos équipes », constate Dominique Macaire. La fédération, qui compte beaucoup de bénévoles retraités, doit également lutter contre une possible rupture générationnelle entre les plus anciens et les plus jeunes. « Les pratiques auprès des familles sont très différentes, constate Anne Goujon. Il faut s’adapter aux nouvelles manières de s’investir des bénévoles, qui s’engagent de façon plus ponctuelle que les anciens au profil souvent très militant. »
La reconnaissance et la formation des bénévoles est donc un enjeu pour les prochaines années. Les « Automnales » permettent déjà chaque année aux bénévoles, au cours d’un court séjour, d’échanger et de réfléchir à leurs pratiques. Une formation sur l’accueil du public en situation de handicap – 5 % des vacanciers accompagnés – a également été organisée à leur intention en 2014.
Une revue scientifique annuelle consacrée à l’accès aux vacances, intitulée Partances, a vu le jour en mai 2015. Elle est portée par le Conseil scientifique de l’accès aux départ en vacances créé en 2013 par l’Union nationale des associations de tourisme de plein air (UNAT), la fédération Vacances & Familles et l’association Vacances ouvertes. Objectif : faire de cette thématique un domaine de réflexion à part entière, en mutualisant, en coproduisant et en diffusant des études, mais aussi en réagissant à des questions d’actualité.
(1) Les financeurs sont la CNAF, la CAF, les ministères du Tourisme et de la Cohésion sociale, l’Association nationale pour les chèques-vacances (ANCV), des collectivités locales et des fondations –
(2) Provence-Alpes-Côte d’Azur, Bourgogne, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Pays de la Loire, Picardie, Bretagne, Poitou-Charentes, Nord.
(3) La fédération ne souhaite pas le diffuser.
(4) Vacances populaires, images, pratiques et mémoire – Presses universitaires de Rennes, 2000.