Un homme libre

D’emblée, Marcel Nuss refuse « qu’on vante [son] courage » : « C’est une autre manière d’évacuer ma réalité, et celle de mes semblables. Dans nos sociétés, on vous met volontiers sur un piédestal pour ne pas avoir à se poser des questions trop dérangeantes ; c’est une autre façon de vous mettre à la marge. » A 60 ans, l’Alsacien Marcel Nuss affiche pourtant un parcours hors norme pour quelqu’un à qui, adolescent, on avait prédit une mort imminente. Atteint d’amyotrophie spinale, une maladie atrophiant ses muscles et entraînant d’importantes pathologies associées, l’homme au physique de « têtard à tuba » s’est ingénié à déjouer les pronostics et à dévier du chemin tout tracé d’une vie en institution : marié, père de famille, écrivain, consultant, militant associatif… Une vie « en dépit du bon sens », en somme, comme le proclame le titre de son autobiographie, et vouée à l’accomplissement d’un défi : « Etre homme. Un homme libre, en accord avec lui-même. » Ce, malgré la proximité quotidienne de la mort. Touffu, détaillé, par moments impudique, son récit dévoile la réalité de la vie des personnes lourdement handicapées, dépendantes d’un tiers pour les moindres gestes de la vie quotidienne, parfois réifiées par des soignants pressés ou irrespectueux. S’il rend hommage à nombre de professionnels humains et engagés, souvent au-delà de leurs heures et obligations de service, l’ouvrage porte un jugement sévère sur l’hôpital, devenu froid et maltraitant, sur un Etat indifférent, et sur des hommes et femmes politiques sourds aux demandes légitimes et répétées des personnes handicapées (accessibilité, financement des aides techniques et humaines, reconnaissance du rôle des aidants naturels). Ce contexte, montre le témoignage de Marcel Nuss, contraint les personnes handicapées à un surcroît de volonté parfois inhumain pour imposer leurs choix et leurs désirs. De désir, il en est beaucoup question dans l’ouvrage : adhérent du Strass (Syndicat du travail sexuel) et fondateur de l’APPAS (Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel), Marcel Nuss milite ardemment pour la reconnaissance « d’une forme de prostitution à visée thérapeutique » destinée aux personnes en situation de handicap(1).