S érénité, réserve et patience font certainement partie des qualités attendues d’un juge. Quand il était en activité, Alain Bruel n’en a sûrement jamais manqué. Aujourd’hui à la retraite, l’ancien président du tribunal pour enfants de Paris ne dissimule pas sa colère face aux avatars connus depuis une vingtaine d’années par la justice des mineurs. Le magistrat honoraire ne tait pas non plus le désappointement né chez lui des atermoiements du président de la République en ce qui concerne l’engagement qu’il avait pris, comme candidat, de réformer l’ordonnance de 1945 dans un sens conforme aux conceptions humanistes du texte d’origine. Détaillant « les particularités qui ont fait et font encore, dans une certaine mesure, l’originalité de la juridiction des mineurs », Alain Bruel reconnaît que, s’agissant des mineurs délinquants, le modèle de 1945 n’était « pas complètement à l’abri des critiques ». Et de pointer, à cet égard, le peu de cas fait de la victime, la réduction de la procédure à un face-à-face entre le mineur et son juge, ensuite relayé par l’équipe éducative, et la prédominance de l’approche psychologique pour expliquer le passage à l’acte. Mais ces défauts pour ainsi dire de jeunesse ne sont rien à côté des ravages de la doctrine sécuritaire, qui triomphe depuis le début du XXIe siècle. En vertu de celle-ci, la considération des faits commis doit passer avant celle de la personne de l’auteur – quel que soit l’âge de ce dernier. D’où un empilement de réformes tendant à aligner la justice des mineurs sur celle des majeurs, qu’Alain Bruel récapitule dans une édifiante « Chronologie de la dénaturation de l’ordonnance de 1945 ».
Pratiques et évolutions de la justice des mineurs. Aperçus de clinique judiciaire
Alain Bruel – Ed. érès – 18 €