« En dépit des difficultés observées et des efforts restant à accomplir, on constate une amélioration des soins offerts aux personnes détenues depuis la création [des unités hospitalières sécurisées interrégionales] »(1), admet la contrôleure générale des lieux de privation de liberté dans un avis du 16 juin dernier consacré à la prise en charge des détenus au sein des établissements de santé. Toutefois, souligne Adeline Hazan, « des difficultés persistent quant aux droits fondamentaux des personnes détenues et contreviennent, dans la pratique, au principe désormais imposé par la loi d’égalité de soins entre les personnes détenues et l’ensemble de la population ». C’est pourquoi elle formule des préconisations – certaines reprises des avis de son prédécesseur, Jean-Marie Delarue – afin de rendre ce principe effectif. Dans leurs observations adressées par suite à la contrôleure générale, les ministres de la Santé et de la Justice précisent que les inspections générales des affaires sociales et des services judiciaires ainsi que l’inspection des services pénitentiaires vont, en septembre prochain, leur remettre un rapport d’évaluation du plan d’action stratégique 2010-2014 de santé pour les personnes placées sous main de justice et qu’elles tireront alors les conséquences des dysfonctionnements relevés.
Les problèmes relevés par la contrôleure générale se posent surtout au niveau des consultations de spécialistes. Si les soins aux détenus sont « pour la plupart réalisés au sein de la structure implantée dans l’établissement pénitentiaire, dite unité sanitaire », « faute d’un nombre suffisant de spécialistes » en leur sein, le recours à des consultations médicales dans les établissements de santé de proximité s’avère indispensable, constate Adeline Hazan. En pratique, selon elle, il y a un « nombre trop important d’extractions médicales ». Aussi invite-t-elle les pouvoirs publics à renforcer la présence de spécialistes au sein des unités sanitaires. Dans sa réponse à la contrôleure générale, Marisol Touraine admet que « des difficultés de recrutement existent » et que, « pour certaines spécialités (par exemple, la dermatologie), la voie d’avenir tient plutôt au développement de la télémédecine[2] qu’à des recrutements spécifiques ». Toutefois, précise-t-elle, les conditions de mise en œuvre de ces nouvelles pratiques et leur financement sont « encore en cours d’élaboration ».
La contrôleure générale demande également aux établissements pénitentiaires d’impulser une réflexion entre les services concernés (direction, service pénitentiaire d’insertion et de probation, unité sanitaire et service de l’application des peines) afin que les détenus qui remplissent les conditions légales puissent bénéficier de permissions de sortir pour se rendre seuls dans un établissement de santé. Quant aux détenus présentant de lourdes pathologies, ils devraient pouvoir « bénéficier d’un protocole individuel de prise en charge lorsque leur état de santé nécessite de nombreuses extractions médicales, indépendamment de la possibilité d’octroi d’une suspension de peine pour raison médicale [en vertu de l’article 720-1-1 du code de procédure pénale] », estime Adeline Hazan.
La contrôleure générale observe également que « de nombreuses extractions médicales sont annulées et reportées en raison de l’indisponibilité des escortes pénitentiaires pour différents motifs (manque d’effectifs, urgence nécessitant une extraction, plan Vigipirate…) ». Elle souhaite donc qu’une réflexion interministérielle Santé-Justice-Intérieur soit « rapidement engagée en vue de l’amélioration des extractions médicales » : définition d’une organisation et de moyens propres à les assurer, création d’une ou plusieurs équipes d’escortes dédiées…
Par ailleurs, plusieurs détenus se sont plaints des conditions de leurs extractions et de leurs examens médicaux (menottés, en présence de l’escorte en contradiction avec leur droit à la dignité et au secret médical…). Des conditions « insatisfaisantes, estime Adeline Hazan, la logique de sécurité prévalant trop souvent sur la logique de soins ». Aussi préconise-t-elle « que la responsabilité de l’escorte ne soit plus engagée à l’aune du risque encouru, à savoir l’évasion, mais au regard des moyens employés pour l’éviter » et que « les moyens de contraintes imposés aux personnes soient strictement proportionnés au risque présenté par ces dernières ». En outre, elle recommande que les consultations médicales se déroulent « hors la présence d’une escorte et que la surveillance soit indirecte (hors de vue et d’oreille du patient détenu) ».
La contrôleure générale pointe également « l’insuffisante qualité de l’accueil des patients détenus dans l’organisation des soins ». Elle déplore en effet « l’absence de circuit dédié permettant d’éviter le contact avec le public et de créneaux horaires réservés aux personnes détenues en début de consultation ». Des mesures qui, selon elle, « seraient pourtant de nature à faciliter l’organisation de conditions d’accueil discrètes et à permettre de réduire les temps d’attente des personnes détenues et de l’escorte pénitentiaire au sein de l’hôpital ». Comme son prédécesseur, Adeline Hazan rappelle donc la nécessité de prévoir des procédures d’accueil et des lieux dédiés dans les hôpitaux pour deux raisons principales : « d’une part, pour ne pas exposer les personnes sous escorte à la vue du public regroupé dans les salles d’attente (conformément aux dispositions de l’article 803 du code de procédure pénale) et, d’autre part, pour mettre fin chez les professionnels de santé à un sentiment d’insécurité justifiant des demandes de surveillance constante incompatibles avec le respect du secret médical ».
Pour répondre à toutes ces inquiétudes, la ministre de la Santé indique, dans sa réponse, qu’une circulaire interministérielle santé-justice relative au fonctionnement des unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) est « en voie de finalisation ». Ce projet de texte souligne notamment la nécessité d’un partenariat renforcé entre les hôpitaux, les agences régionales de santé, l’administration pénitentiaire et les services de police pour définir les modalités d’organisation des extractions hospitalières et faciliter les admissions à l’UHSI. Le document recommande aussi de « limiter au maximum les extractions internes et de faire en sorte que les équipes médicales relevant des autres services se déplacent dans toute la mesure du possible à l’UHSI. Si tel n’est pas le cas, les déplacements des personnes détenues dans les différents services du centre hospitalier doivent être organisés et planifiés. »
Afin de préserver la qualité des soins, l’institution suggère de « prévoir des aménagements au sein de l’hôpital de proximité, d’implanter les chambres sécurisées dans un service où l’équipe soignante est volontaire et préparée à l’accueil ». Dans la pratique, ces chambres sécurisées peuvent également accueillir des personnes gardées à vue ou placées en rétention administrative « sans que leurs modalités d’hospitalisation ne soient encadrées par un texte réglementaire », constate la contrôleure générale, qui invite les pouvoirs publics à rédiger une circulaire interministérielle pour combler ce vide juridique.
Par ailleurs, déplore Adeline Hazan, « de nombreuses personnes détenues renoncent aux soins en raison des conditions d’hospitalisation dans les chambres sécurisées ». Par exemple, le droit fondamental au maintien des liens familiaux n’y est pas respecté : « ainsi, l’accès au téléphone – pourtant consacré par l’article 39 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 – n’est pas effectif en raison de l’absence de poste téléphonique dans les chambres sécurisées et de l’impossibilité de contrôler les conversations téléphoniques ». Or la contrôleure générale rappelle que les visites, les correspondances et les appels téléphoniques doivent être autorisés selon les mêmes règles que celles qui sont applicables au sein des établissements pénitentiaires. Et recommande la « rédaction de protocoles relatifs aux modalités d’organisation des relations avec l’extérieur pour les patients détenus ».
(1) Les hospitalisations d’urgence ou de très courte durée s’effectuent dans les établissements de santé de proximité, dans des chambres sécurisées. En cas d’hospitalisation de longue durée, les détenus sont pris en charge au sein d’unités hospitalières sécurisées interrégionales.
(2) Dans cette optique, Marisol Touraine rappelle qu’un guide « La télémédecine en action. Santé des personnes détenues : éléments de constats et d’analyse sur les organisations retenues » est disponible sur
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