Leur nombre est fluctuant. En 2014, à l’échelle européenne, ils étaient 630 000. Il n’y en avait jamais eu autant. La répartition entre les pays a également changé. Dans les années 1990, l’Allemagne était de très loin le premier pays d’accueil des demandeurs d’asile. En 1992, elle en avait reçu 438 000. Elle reste encore en tête avec 200 000 demandeurs d’asile l’an dernier, mais ce nombre est en baisse. La France, la Suède, le Royaume-Uni et même la Hongrie ont aussi reçu beaucoup de demandeurs d’asile ces dernières années. En France, ils étaient plus de 60 000 l’an dernier.
Loin de là. C’est le cas pour à peine 25 % d’entre elles. Et parmi les personnes qui l’obtiennent, beaucoup doivent aller devant la commission de recours. Il y a cependant des progrès du côté de l’OFPRA [Office français de protection des réfugiés et apatrides]. Auparavant, la commission délivrait plus de décisions positives que l’OFPRA. Le rapport s’est aujourd’hui inversé. Le taux global de refus reste tout de même d’environ 75 %.
C’est malheureusement vrai, mais il n’est pas possible de faire autrement. Il existe dans le droit d’asile ce que l’on appelle la « clause de non-refoulement » concernant les gens qui arrivent de pays en guerre. Même déboutés du droit d’asile, on ne peut pas les renvoyer vers ces pays car cela risquerait de porter atteinte à leur intégrité. On est là dans le cadre de l’application de la Convention de Genève. Par ailleurs, l’entrée en France dans le cadre de l’immigration de travail est devenue tellement difficile que beaucoup de gens qui pourraient entrer chez nous par ce biais, n’ont d’autre choix que de recourir au droit d’asile même s’ils n’en remplissent pas tous les critères. Cela grossit artificiellement les chiffres de la demande d’asile.
C’est vrai. Ce système a été conçu pour un effectif beaucoup moins important qu’il ne l’est aujourd’hui. Or on lui demande de traiter des demandes plus nombreuses dans des délais de plus en plus courts, avec des situations extrêmement évolutives, tout en traitant les personnes dans le respect de la Convention de Genève. La grande difficulté est que lorsque quelqu’un affirme avoir été persécuté, il est nécessaire de vérifier le lieu, le moment et les circonstances de ces persécutions. Si la France a entrepris cette réforme, c’est aussi pour se mettre en conformité avec la directive européenne sur l’asile, qui tend à une plus grande harmonisation entre les différents pays de l’Union. L’objectif est de faire en sorte qu’un candidat au droit d’asile, quel que soit le pays auquel il s’adresse, dispose des mêmes chances d’obtenir ce statut.
Une personne peut demander l’asile à la frontière. Ce qui est la seule façon d’entrer légalement sans papiers sur le territoire d’un des pays européens. Les autorités examinent alors si cette personne est recevable au droit d’asile. Le demandeur peut aussi entrer irrégulièrement dans un pays et décider, après un délai, de se constituer demandeur. Durant l’instruction de la demande, les associations ou les professionnels des CADA [centres d’accueil pour demandeurs d’asile] préparent les candidats. Ceux-ci peuvent aussi bénéficier de cours de français et d’informations pour se débrouiller dans la vie quotidienne. C’est d’ailleurs l’une des contradictions du système. On facilite l’intégration de personnes qui, au bout du compte, ont de grands risques d’être déboutées. Ceux qui obtiennent le statut de réfugié reçoivent une carte de résident. Ils peuvent alors travailler, faire venir leur famille et, plus tard, envisager de devenir citoyen français. Les personnes déboutées, elles, sont théoriquement reconduites à la frontière, sauf si elles font l’objet de la clause de non-refoulement. Auquel cas elles deviennent des « ni ni » : ni expulsables ni régularisables. Quant aux personnes déboutées et expulsables, elles ont de grandes chances de se maintenir sur le territoire. En effet, à peine un tiers des reconductions sont effectuées en raison de leur coût et des risques juridiques pour les pouvoirs publics.
Ce qui me paraît positif, c’est l’ambition annoncée de réduire le délai d’attente de deux ans à neuf mois. Ainsi, on ne ferait plus attendre les candidats pendant des années, en espérant néanmoins que toutes les formalités seront bien respectées. Les associations de défense des demandeurs d’asile craignent en effet que ce soit une procédure expéditive qui ne prenne pas en compte la gravité du dossier de chacun. D’autant que les préfectures auront un rôle de filtre en amont de l’OFPRA. Il n’est pas pensable de faire du droit d’asile un simple guichet administratif. L’autre élément positif est l’annonce de la création de 4 000 places d’hébergement supplémentaires dès 2015 et de 5 000 autres par la suite. Il est nécessaire d’accueillir les gens dignement dans des centres d’accueil plutôt que de les laisser dehors. Et ce devrait être encore plus vrai pour les mineurs non accompagnés et pour les familles. Bien sûr, ces créations de places ne seront pas suffisantes. Même ainsi, on restera très en deçà des capacités nécessaires, mais ce sera déjà mieux que ça ne l’était.
Une chose essentielle : le droit au travail pour les demandeurs d’asile. Il existe dans beaucoup de pays européens, et c’est une bonne chose car l’opinion publique ne pense pas que ces personnes sont payées à ne rien faire. Cela permet de les insérer sur le marché du travail plutôt qu’elles soient assistées pendant le temps d’instruction de leur demande. En France, on a supprimé le droit au travail pour les demandeurs d’asile en 1991, pensant qu’il fallait éviter de créer un appel d’air. Personne n’a démontré la justesse de cette idée, mais on a quand même maintenu l’interdiction de travail des demandeurs d’asile.
Pour qu’il y ait harmonisation, il faut se mettre d’accord. Or, pour le moment, on est plutôt dans un dialogue de sourds consistant à renvoyer chez le voisin les gens dont on ne veut pas. C’est une sorte de politique du pire. Il faudrait que les pays européens se concertent pour partager les entrées de demandeurs d’asile. La Commission européenne avait proposé d’instaurer des quotas d’accueil par pays. Malheureusement, les gouvernements de l’Union ont refusé ce système car ils ne veulent pas qu’on leur impose des chiffres d’accueil de demandeurs d’asile plus élevés que ceux qu’ils ont l’intention d’accepter. La France aurait ainsi accueilli 9 000 réfugiés et demandeurs d’asile sur deux années. Ce qui, dans un pays de plus de 60 millions d’habitants, n’est pas colossal. Mais dans ce domaine, les Etats restent souverains par rapport à la Commission, qui ne dispose que d’un poids limité pour imposer une politique commune. Tant qu’il n’y aura pas cette harmonisation, il existera des effets de concurrence, les demandeurs cherchant à entrer dans les pays proposant les meilleures prestations et offrant le plus d’opportunités de travail.
Cela me paraît complètement illusoire. Le codéveloppement, c’est très bien, mais il ne faut pas le confondre avec la question migratoire, car c’est plutôt un accélérateur des migrations par le fait qu’il favorise la mobilité des populations. De toute façon, il ne faut pas s’attendre à ce que les gens restent chez eux tant que des présidents seront au pouvoir depuis plus de quarante ans, que l’essentiel des ressources sera capté par des petites minorités, que les gens vivront dans une insécurité politique, économique, sanitaire et sociale, que 50 % de la population aura moins de 25 ans et que 40 % de ces jeunes seront au chômage…
Propos recueillis par Jérôme Vachon
Docteure en science politique, Catherine Wihtol de Wenden enseigne à l’Institut d’études politiques de Paris et est directrice de recherche au CNRS-CERI (Centre d’études et de recherches internationales). Spécialiste des migrations, elle a été consultante auprès de plusieurs organisations internationales.
(1) Voir ce numéro, page 10.