En octobre 1993, s’est tenu au Mans le procès de six professionnels d’une association de protection de l’enfance inculpés de non-dénonciation de viol sur un mineur perpétré par un autre jeune accueilli dans le même service. Ces travailleurs sociaux ont été condamnés au pénal, tandis que les collègues qui avaient laissé fuiter l’information auprès de la justice se sont vu infliger de lourdes sanctions administratives par l’employeur(1). Fallait-il parler ou ne rien dire ? Le besoin de réassurer les professionnels en leur fournissant des repères a conduit le ministre des Affaires sociales de l’époque, Claude Evin, à confier à Jean-Pierre Rosenczveig une mission sur la déontologie du travail social. « L’un des enjeux que nous avions était de clarifier les termes du débat en partant du constat que, contrairement à ce que l’on dit ou pense souvent […], les travailleurs sociaux ont plus de liberté qu’ils ne le croient », explique le magistrat(2). La démarche a débouché sur un large mouvement de réflexion et de concertation, qui a abouti, en 1996, à la production d’un référentiel déontologique commun à tous les travailleurs sociaux et à ceux qui leur apportent leur concours ou définissent les orientations politiques, afin de respecter, dans les pratiques, les droits fondamentaux des personnes(3).
Simultanément, un Comité national des avis déontologiques, devenu Comité national des avis déontologiques et éthiques (CNADE), était créé pour conseiller les professionnels qui le sollicitent sur une situation précise(4). Depuis 19 ans, celui-ci a rendu 174 avis(5). L’objectif n’est pas d’apporter aux intéressés une réponse clés en main quant à la conduite à tenir. Il s’agit de leur fournir un éclairage circonstancié et étayé, notamment sur le plan juridique, afin de leur permettre de poursuivre la réflexion et, au final, de prendre leur décision en toute responsabilité – ou de reconsidérer les situations qui leur ont laissé un arrière-goût amer.
Créée en 2005, la commission « éthique et déontologie » du Conseil supérieur du travail social (CSTS) a des préoccupations très proches de celles du CNADE, mais des productions et un fonctionnement différents. En 1984, c’est-à-dire dès l’origine, le CSTS, instance consultative placée auprès du ministre des Affaires sociales, a eu un rôle de gardien de la déontologie et de l’éthique du travail social. Mais au-delà des thématiques très larges qui font l’objet des rapports du conseil – comme Refonder le rapport aux personnes. « Merci de ne plus nous appeler usagers », titre du dernier d’entre eux(6) –, « nous avons pensé qu’il fallait aussi contribuer à améliorer l’exercice du travail social », explique François Roche, coordonnateur de cette commission. Quoique souvent fondés sur des situations concrètes, les avis de celle-ci ne traitent pas de questions singulières comme ceux du CNADE. D’une portée plus générale, ils ont vocation à élargir le propos. Parmi les neuf avis rendus, un concerne l’informatique en action sociale et un autre le respect du consentement éclairé(7). Ces avis peuvent être donnés en réponse à des demandes individuelles, mais tel n’est pas spécifiquement le rôle de la commission(8). En tant que vigie du secteur, elle est généralement saisie par des organismes désireux d’être éclairés sur l’incidence de politiques ou de dispositifs sur les pratiques. Cela a été, par exemple, le cas du Comité interministériel de prévention de la délinquance ou de l’Observatoire national de l’enfance en danger à propos d’échanges ou de remontées d’informations. La commission « éthique et déontologie » n’hésite pas non plus à s’autosaisir de problématiques qui lui semblent demander une réflexion approfondie et à proposer des thèmes de réflexion au CSTS. La laïcité dans la mise en œuvre du travail social est la plus récente de ces propositions. Le conseil, qui vient d’être prorogé jusqu’à la fin de l’année, devrait engager un travail sur cette question à la rentrée(9).
Parallèlement, la commission « éthique et déontologie » s’emploie à mettre en réseau les différents espaces éthiques existants dans les institutions publiques et privées.
Quelle légitimité ont ces cercles de réflexion généralement pluridisciplinaires, qui sont fondés sur le volontariat ? « Personne n’est labellisé, mais chacun s’applique à être et à faire au mieux, répond François Roche. C’est la justesse de l’analyse, la profondeur, la solidité et l’utilité du travail qui contribuent à ce que les professionnels s’y réfèrent ou pas et à que ça fasse ou pas force de loi et se trouve parfois repris dans les textes conventionnels. »
(1) Cf. Secret et discrétion professionnels. Le partage d’informations dans le champ social et médico-social – Michel Boudjemaï – Ed. ASH, 2015 – Voir aussi ASH n° 2907 du 24-04-15, p. 39.
(2) In Repères déontologiques pour les acteurs sociaux. Une éthique au quotidien – Sous la direction de Pierre Bonjour et Françoise Corvazier – Ed. érès, 2014.
(3) Ce référentiel a été actualisé en 2004, puis en 2014, sous l’égide du Comité national des références déontologiques (CNRD), association où siègent des représentants de huit fédérations ou organismes d’action sociale à dimension nationale. Sa dernière version figure dans le livre mentionné ci-dessus.
(4) Contact :
(5) Certains sont présentés dans l’ouvrage Repères déontologiques pour les acteurs sociaux. Une éthique au quotidien (op. cit). Les autres sont consultables sur
(7) Avis disponibles auprès de
(8) Contact :