Malgré les « bouleversements organisationnels » engendrés par la fusion au sein de Pôle emploi des Assedic et de l’Agence nationale pour l’emploi et une « augmentation importante et durable du chômage, la qualité du service rendu en matière d’indemnisation s’est globalement maintenue », constate la Cour des comptes dans un rapport consacré à Pôle emploi rendu public le 2 juillet(1). « En revanche, les résultats obtenus en matière de taux de retour à l’emploi sont décevants. »
La juridiction financière s’est d’abord attachée à évaluer les missions – « exigeantes » – de l’opérateur public de l’emploi que sont l’indemnisation et le placement des demandeurs d’emploi. Elle relève ainsi que « l’efficacité du processus d’indemnisation s’est globalement maintenue et la satisfaction des demandeurs d’emploi demeure élevée ». En revanche, le processus de traitement des demandes, essentiellement « papier », est à « moderniser », selon la cour. Celui-ci s’appuie en effet sur des « pièces justificatives dont seules certaines sont dématérialisées », ce qui entraîne de « nombreux inconvénients » (allers-retours en cas de dossier incomplet, pièces égarées…). « La numérisation de l’ensemble des éléments nécessaires à la liquidation des droits […] permettrait d’augmenter à la fois la souplesse de gestion et la qualité du service rendu », soulignent les magistrats de la rue Cambon. Ils appellent donc Pôle emploi à dématérialiser la gestion des allocations et aides versées, rappelant que la convention tripartite 2015-2018 que l’opérateur a conclue avec l’Etat et l’Unedic(2) a fixé parmi ses objectifs de parvenir à une dématérialisation totale de la demande d’allocation.
Autre critique : la complexité de la réglementation de l’indemnisation, « particulièrement importante » en raison des nombreuses allocations gérées par Pôle emploi – une quarantaine –, dont les règles d’éligibilité et de calcul sont « multiples et peu lisibles », à l’image de celles qui concernent la principale d’entre elles, l’allocation d’aide au retour à l’emploi. « En outre, les règles d’indemnisation sont modifiées fréquemment, sans que les nouvelles règles se substituent aux précédentes pour les demandeurs d’emploi en cours d’indemnisation ». Et si la simplification de ces règles « est un exercice difficile, […] les efforts menés jusqu’à présent n’ont pas été à la hauteur de l’enjeu », tacle la cour.
Le rapport souligne par ailleurs qu’estimer la performance de Pôle emploi en matière d’accompagnement vers l’emploi est « complexe » dans la mesure où « les indicateurs principaux ne permettent pas de distinguer, dans les reprises d’activité, ce qui tient à l’action de Pôle emploi et ce qui relève d’autres facteurs », tels que la conjoncture économique, le fonctionnement du marché du travail ou encore « les reprises d’activité favorisées par les autres opérateurs du service public de l’emploi et les réseaux informels ». Néanmoins, sur la base d’un indicateur développé par Pôle emploi et le ministère de l’Emploi « visant à neutraliser l’impact de la conjoncture économique sur les reprises d’emploi », il apparaît que le nombre de sorties réelles vers l’emploi durable est plus important que le nombre théorique en 2012, 2013 et 2014, et que « cet écart va croissant » (de 5 % en 2012 à 16,2 % en 2014). Une évolution positive qui doit être soulignée, mais dont les conclusions « sont en réalité fragiles », estime la cour, parce que cet indicateur neutralise uniquement l’effet « conjoncture » et que « les résultats sont au demeurant négatifs pour les demandeurs d’emploi de longue durée ».
La Cour des comptes souligne également le fait que la satisfaction des usagers de Pôle emploi est globalement en baisse, tant du côté des employeurs que celui des demandeurs d’emploi. Enfin, en parallèle de ces « résultats contrastés », Pôle emploi a fait face à une hausse des coûts importante, relève-t-elle. Au regard de ces différentes observations, la juridiction financière préconise de poursuivre et d’« amplifier la simplification de la réglementation de l’indemnisation du chômage ». Elle recommande également de « stabiliser les moyens permanents de Pôle emploi en recourant à la sous-traitance et aux recrutements en contrats à durée déterminée lors des variations de la conjoncture ».
La Cour des comptes constate par ailleurs que la mission d’intermédiaire de Pôle emploi entre offre et demande d’emploi « n’est plus prioritaire ». Un « changement de cœur de métier » s’est en effet opéré chez l’opérateur, dont la nouvelle stratégie est fondée sur une « segmentation importante des services entre différents publics de demandeurs d’emploi et d’entreprises ». Les modalités de suivi des chômeurs ont par ailleurs changé depuis septembre 2012, Pôle emploi ayant « décidé d’abandonner le suivi mensuel personnalisé pour revenir à des modalités d’accompagnement différenciées ». Priorité est en outre donnée à l’accompagnement renforcé de certains chômeurs, ce qui entraîne un « changement de contenu du service public pour les autres demandeurs d’emploi » (autonomie plus grande dans les démarches, contacts moins fréquents avec les conseillers…). Autres dimensions de cette nouvelle stratégie : la fin de l’objectif de prospection et de collecte en masse des offres d’emploi et la logique de différenciation des services aux employeurs.
Cette redéfinition des priorités stratégiques a eu un « impact sensible » sur la conception du métier de conseiller qui, selon la Cour, ne « favorise pas l’intermédiation ». Les postes des conseillers sont ainsi « définis uniquement en fonction de l’activité liée aux demandeurs d’emploi, et non de façon coordonnée entre offre et demande », et leurs compétences sont centrées sur les seuls demandeurs d’emploi. A cela s’ajoute un « pilotage insuffisant » de leur activité (absence d’objectifs quantitatifs individuels, encadrement peu adapté…).
La cour préconise donc de « maintenir le rôle d’intermédiaire de Pôle emploi sur le marché du travail, conformément aux missions actuellement fixées par la loi » et de « renforcer la connaissance par Pôle emploi du marché du travail, et particulièrement des entreprises, afin que les conseils et services proposés aux demandeurs d’emploi reposent notamment sur la connaissance approfondie des besoins de celles-ci ». Elle recommande également de fixer aux conseillers des objectifs individualisés qualitatifs mais aussi quantitatifs et de faire réaliser, « sous l’égide d’une instance externe à Pôle emploi, des études de cohortes permettant d’apprécier la qualité et la performance des différentes modalités (internes et externes) de suivi des demandeurs d’emploi, ainsi que celles des processus de diagnostic et d’orientation des demandeurs d’emploi vers ces modalités de suivi ».
Enfin, la Cour des comptes revient sur les « difficultés opérationnelles persistantes » de Pôle emploi, en particulier la « connaissance insuffisante des besoins des demandeurs d’emploi et des entreprises » en raison d’un diagnostic initial insatisfaisant et d’une prise en charge imparfaite de la diversité des demandeurs d’emploi (décalage entre leur profil et les modalités de suivi, prise en compte très insuffisante de l’allongement de la durée du chômage…). Elle pointe aussi la « faible intensité de l’accompagnement » – actes d’accompagnement des demandeurs d’emploi en nombre limité, intensité de l’accompagnement qui décroît avec l’ancienneté du chômage, contrôle insuffisant de la recherche d’emploi, faiblesse des services rendus aux employeurs… – et la dispersion des moyens.
Les magistrats financiers recommandent donc, notamment, de « mieux faire correspondre le contenu de l’accompagnement proposé par les conseillers aux caractéristiques des demandeurs d’emploi et des entreprises », d’introduire une norme minimale de fréquence d’entretien et de contact par modalité d’accompagnement, d’augmenter par redéploiement le nombre des agents délivrant les services aux demandeurs d’emploi et aux entreprises, ainsi que le temps effectif consacré par chaque conseiller au placement des demandeurs d’emploi et aux entreprises, de réduire le nombre d’agences et de développer la complémentarité des canaux d’accès à Pôle emploi.
(1) Disponible sur