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Autisme : vive la pince, le marteau et les sangles !

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Les mesures visant à « renforcer l’efficacité » du plan « autisme » 2013-2017 témoignent de l’incapacité du politique à penser ce sujet complexe autrement qu’en cédant aux sirènes du comportementalisme dominant, s’insurge Marie-Christine David, directrice générale de l’EFPP (Ecole de formation psycho-pédagogique) de Paris et membre de l’Unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale).

« Vous aurez sans doute eu l’occasion de lire le discours prononcé par Ségolène Neuville, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion auprès de la ministre des Affaires sociales, dans le cadre du Comité national autisme le 16 avril dernier(1). Un discours qui ne laisse pas indifférent !

Une chose semble sûre : si tout est bien fait, comme c’est dit en substance, avoir les bonnes pratiques, suivre les recommandations, prendre les bons outils, suivre les orientations – qui sont claires ! –, se référer aux bons référentiels, etc., le “plan autisme” devrait être “EFFICACE” !, les familles rassurées et les personnes “avec autisme” bien “soignées” !

Il existe des personnes avec… des lunettes, un sac de voyage, une belle (ou moche) voiture, un vélo électrique, une pendule à roulettes…, mais aussi avec des cheveux bruns, des yeux verts, des pieds plats, de grandes jambes, des grains de beauté, etc., et des personnes “avec” autisme ! Est-ce que l’autisme peut se trouver en magasin, s’acheter sur catalogue ? Ou encore l’autisme ressortirait-il d’une marque ou d’une distinction en tant qu’attribut au même titre que… avoir de grandes dents ou un petit nez ?

Et, après tout, si la personne en venait à porter son autisme comme on porterait des lunettes, elle pourrait en effet à tout moment s’en défaire ! Quant au trop grand nez, au grain de beauté… un coup de bistouri et zou ! L’affaire est réglée. Même la couleur des yeux… de bonnes lentilles font bien l’affaire pour la changer. On nous annonce donc un avenir bel et bien radieux.

Mais ce serait – avouez-le ! – quand même trop simple… Et, si mon petit nez et mes grandes jambes n’entravent en rien mon “être au monde” et ma capacité à “être en relation” – qui est tout de même une singularité de mon espèce –, il en est tout autrement de “mon” autisme !

Alors, que cet “attribut” se lise dans mon code génétique, mes chromosomes ou mes connexions neuronales n’a peut-être rien d’étonnant, sauf à penser la séparation absolue de nos réalités biologique/neurologique/“conditionnementale” et psycho-affective/relationnelle. Or c’est bien aujourd’hui ce que nous apprennent les neurosciences : ces dimensions sont intimement liées et n’échappent pas l’une à l’autre, ni même à ce qui les environne.

Exit la dimension relationnelle

C’est là où le plan “autisme” risque bien de rater quelque chose : à ne se référer qu’à l’exclusivité d’une seule lecture – celle de la réalité biologique/ neurologique/“conditionnementale” – qui vient déterminer de façon restrictive l’approche, l’action et le soin, il fait disparaître toute une dimension du sujet, irréductible aux codes et non soluble dans un programme. C’est à craindre que les traitements préconisés issus de savoirs préfabriqués déclinés dans des protocoles d’action standardisés, où répétition et coercition règnent en maîtres, ignorent totalement et ne puissent même – tels que conçus – prendre en compte cette dimension relationnelle du sujet replacé dans son environnement et son histoire personnelle sur un mode unique et subjectif.

Nous ne contestons pas qu’il y ait pu avoir – par le passé – des approches exclusives portées par le dogme de certains se réclamant de la psychanalyse, et qui ont échoué. Car l’approche de la personne autiste est éminemment complexe, au-delà de la douleur qu’elle fait vivre dans la rencontre… Mais ne remplaçons pas un dogme par un autre, au seul motif du “mal” qui aurait été fait (aux parents, aux mères…). Ne jetons pas tout, au risque de s’engager pour longtemps encore sur une mauvaise piste.

Ne nous enfonçons pas dans l’obscurantisme d’une idéologie qui place les stratégies de certains lobbies au-dessus de la raison, et qui mettent à mort tout individu souhaitant, partant de son expérience vécue, exprimer autre chose qu’un nouveau catéchisme – en forme de fiches recettes de méthodes comportementales – qui s’imposerait à tous.

Et d’ailleurs, le plan “efficace” prévoit la transposition des situations, et ça, qu’est-ce que ça va être pratique ! Enfin, quand on a “réussi” avec un ou une, on saura qu’on pourra réussir avec tous ! On va aussi savoir reconnaître les intervenants talentueux, les “établissements vertueux” (sic) qui seront – comme d’autres produits – “labellisés” pour le… (bon) “service rendu”. Les autres ? Ils n’ont qu’à bien se tenir ! D’ailleurs, on leur coupera la monnaie et de deux choses l’une : soit ils voudront bien penser et faire comme a dit le “plan”, soit ils disparaîtront des écrans.

Oui, fondamentalement quelque chose me gêne dans ce texte, qui annonce : “L’évolution de l’offre médico-sociale, orientée par l’émergence en France de stratégies et méthodes comportementales et développementales, engage une véritable transformation des contenus de formation, en particulier pour les filières éducatives […]. Il est inacceptable que les contenus pour le moins obsolètes et contraires aux connaissances scientifiques soient encore délivrés”(2). Quels rapports réels entre les “stratégies” et les “connaissances scientifiques” ? Surtout quand la question de la “stratégie” vient en première place dans le discours…

On sait les dérives des dernières décennies et les violences contenues par certaines méthodes comportementales qui relèvent d’un dressage acharné. Cela fait déjà pas mal de temps d’ailleurs que ces méthodes se sont développées dans les institutions et, à ma connaissance, les personnes “avec” ne sont pas devenues des personnes “sans”.

Alors même que des intervenants professionnels (médicaux, psycho, éducateurs…) tentent – ici ou là – des approches non clivées et clivantes qui prennent appui – en repoussant les idéologies et dogmes de tous bords – à la fois sur ce que l’approche psychanalytique et les découvertes scientifiques nous ont enseigné et nous apportent, on voit là une ligne politique qui se dessine et qui ne fait que renforcer ce qui, dans les services psychiatriques et certaines de nos institutions, se délite totalement. Se déshumanise.

Retour en force des camisoles de force, on attache à nouveau les personnes malades dans les services psychiatriques ! Sans parler de l’abrutissement chimique. La camisole chimique qui s’ajoute à celle des sangles ! Vive la pince, le marteau et les sangles ! Voilà les nouveaux outils à fournir en formation à nos futurs professionnels ! Et, comme on apprend à l’apprenti dentiste à arracher la dent qui fait mal, on va apprendre au futur éducateur à arracher l’autisme, sans se blesser, sans y mettre un peu de lui-même, sans trop toucher l’autre, cette personne “avec”. D’ailleurs, la pince, comme le marteau, a un manche… et c’est bien pratique ! Cela évite d’avoir à s’approcher trop près ! Et de voir, de risquer d’entrevoir ce qui, au fond de cet “autre”, parle d’un autre lieu, d’un autre point que celui du gène, des chromosomes ou de la cellule, où – nous n’en doutons pas – les choses sont aussi écrites.

Mais qu’est-ce qui, de cette alchimie subtile qui ressort de la relation entre le corps et la psyché, eux-mêmes pris dans un environnement plus large où interviennent bien d’autres données que celles irréductibles aux seules équations scientifiques, a pu écrire, écrit les “choses” ainsi ?

« Garder une vision éclairée »

Il y a quelque chose de bien plus grand que le seul instinct de survie qui a porté et porte l’homme dans sa traversée des siècles et de l’univers : c’est la question du sens. N’oblitérons pas cette question par l’éradication de toute pensée – c’est-à-dire toute autre expression et pensée que la seule aujourd’hui dictée – sur ce sujet aussi complexe et qui nous confronte tous aux questions fondamentales du “comment” et du “qu’est-ce qu’être au monde”.

C’est aussi ce que nous attendons des personnes engagées en politique : qu’elles nous aident à préserver une pensée ouverte, qui n’a pas peur de ses contradictions et de ses paradoxes, une pensée qui intègre le champ des possibles en refusant les intégrismes et conformismes contraires au mouvement même de la vie. Il faut du courage pour cela, être capable d’aller à contre-courant de la pensée dominante du moment, ne pas céder aux sirènes de l’Inquisition et refuser la mise en place de nouveaux bûchers ; être capable de garder une vision éclairée, sans complaisance, sans allégeance, et prendre le temps d’écouter celles et ceux qui – précisément parce qu’ils se trouvent relégués au fond du désert – tentent encore de dire ce que la doxa ne veut plus entendre.

Il y a eu un plan “autisme” n° 1, puis un plan “autisme” n° 2. Nous en sommes au plan “autisme” n° 3. Gardons l’espoir… les nombres sont innombrables ! »

Notes

(1) Voir ASH n° 2907 du 24-04-15, p. 9.

(2) Ségolène Neuville a d’ailleurs annoncé la mise en place d’un « audit national des contenus pédagogiques délivrés au sein des écoles et des instituts de formation en travail social ».

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