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« Je considère les gardiens de HLM comme des sortes de travailleurs sociaux »

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Après avoir décliné dans les années 1980, les gardiens de HLM font aujourd’hui leur retour en force. Ils assurent en effet une présence indispensable par leur capacité à anticiper les problèmes au sein des grands ensembles de logements sociaux. Le sociologue Jean-François Laé a enquêté durant trois mois auprès des gardiens d’une cité HLM de la banlieue parisienne.
D’où vous est venue l’idée de mener une recherche sur des gardiens de HLM ?

J’avais déjà enquêté dans une cité proche de l’université de Paris-8 où j’enseigne, en banlieue nord de Paris. Il s’agit d’un grand ensemble HLM construit au milieu des années 1960 qui comprend 28 bâtiments et 2 500 appartements abritant environ 7 500 habitants. Une opération de rénovation urbaine y est en cours depuis quatre ou cinq ans. Je souhaitais raconter l’histoire de cette cité et il m’a semblé qu’il serait plus simple de le faire par le biais des gardiens qui y travaillent au quotidien. Le lancement du projet « Raconter la vie », par Pierre Rosanvallon(1) a été la possibilité de le faire.

On imagine parfois qu’il n’y a plus de gardiens dans les cités HLM, alors qu’ils sont en augmentation…

Le métier, en effet, attire de nouveau. Il y a actuellement près de 100 000 gardiens de HLM en France. Après une vague de licenciements dans les années 1980, les organismes HLM ont compris qu’une présence humaine était nécessaire. C’est la problématique de toutes les institutions publiques qui ont eu tendance à supprimer le personnel humain et qui s’aperçoivent au bout du compte qu’il faut absolument des intermédiaires sur le terrain, non seulement pour la sécurisation matérielle mais aussi pour tisser du lien avec les gens

Quel est leur profil ?

Les anciens sont surtout issus de l’industrie. Ils se sont recyclés professionnellement après un licenciement ou une maladie professionnelle. Les gardiens de la nouvelle génération sont différents. Ils sont pour la plupart diplômés à bac + 2 ou + 3. Ils ont travaillé ailleurs et se disent qu’après tout, vu la pression du chômage, pourquoi ne pas devenir gardien. La stabilité de l’emploi compense la faiblesse du salaire. Ils disposent aussi d’avantages en nature, notamment d’un logement gratuit, même si certains préfèrent ne pas en bénéficier, jugeant que c’est trop contraignant pour leur vie de famille. Environ trois gardiens sur quatre habitent dans la cité, les autres logent ailleurs, parfois dans une cité proche. C’est d’ailleurs une tendance forte chez les jeunes gardiens, qui considèrent qu’ils n’ont pas vocation à être corvéables en permanence en dehors de leurs heures de travail.

Ces gardiens sont-ils formés ?

Ils reçoivent une formation juridique sur le fonctionnement des HLM et les droits et devoirs des locataires, ainsi qu’une formation technique sur les ascenseurs, les réseaux d’eau et d’énergie, etc. La formation porte également sur l’aspect relationnel de leur fonction : comment instaurer une relation stable et sereine dans des lieux où le conflit peut parfois survenir ? Le responsable de la formation m’expliquait que les gardiens sont recrutés avant tout sur leur personnalité. Ce sont des gens qui ont la tête sur les épaules et sont capables de maîtriser une relation conflictuelle. La principale qualité d’un gardien qui veut durer est de savoir pressentir qu’une dispute pourrait s’envenimer. Ils y sont très attentifs.

Le gardien seul dans sa loge n’existe plus…

Il n’y a en effet plus de loge, mais toute une organisation qui regroupe les gardiens proprement dits, les techniciens et les agents du point accueil où sont centralisées les demandes des locataires. Dès le matin, les gardiens s’occupent de la gestion des poubelles. Ils entament ensuite la visite des cages d’escaliers pour voir s’il y a eu des incidents, des problèmes techniques. Puis ils vont au point accueil pointer ce qui doit être fait. Ce point accueil est ouvert aux locataires. Les gens y viennent assez facilement, parfois simplement pour discuter avec les agents. La cité où j’ai enquêté compte six ou sept points accueil, tous équipés en informatique avec des relais en direction des techniciens qui valident les demandes d’intervention auprès d’entreprises prestataires. Ce système permet de faire remonter les besoins très vite, car il n’est pas possible de laisser un ascenseur en panne plusieurs semaines. L’autre intérêt de cette organisation est que les gardiens ne sont pas seuls en première ligne face aux locataires.

La mission du gardien est-elle plutôt la surveillance, le contrôle ou l’aide aux locataires ?

Les trois en même temps. Ils assurent une sorte de veille, mais il y a beaucoup de coopération entre eux et les habitants. Ils s’appuient particulièrement sur les locataires les plus anciens qui constituent des formes d’autorité dans la cité. Quand des conflits un peu trop durs se font jour, les gardiens préfèrent en général temporiser. Si les choses ne se résolvent pas tout de suite, ils y reviennent le lendemain ou les jours suivants. Ils peuvent aussi faire appel aux équipes de médiateurs qui interviennent régulièrement dans la cité afin de gérer les problèmes de voisinage. Mais, une fois sur deux, ils parviennent à apaiser eux-mêmes les tensions entre locataires.

Comment se débrouillent-ils avec les jeunes de la cité ?

Un jour, nous passions avec un gardien devant un hall d’immeuble occupé par des jeunes. Comme je m’en étonnais, soulignant que la loi interdit ce type de rassemblement, il est passé à autre chose, ne souhaitant pas aborder le sujet. Les gardiens savent pertinemment qu’il y a certaines choses qu’ils peuvent résoudre et d’autres qui sont assez insolubles. Quand des jeunes sont installés dans des halls, c’est un point dur. Ils savent qu’aller à l’affrontement ne sera d’aucune utilité. Ils préfèrent passer leur chemin ou simplement dire bonjour en demandant aux jeunes de ne pas faire trop de chahut, mais toujours sur un ton amical.

Quelles relations ont-ils avec les locataires ?

Elles sont détendues et sympathiques avec un respect évident, et néanmoins une certaine distance. Le gardien connaît tous les habitants des immeubles dont il s’occupe. Je me souviens de ce gardien partant à la retraite qui avait été décoré pour avoir porté assistance à des personnes âgées locataires de longue date. Il vérifiait chaque matin que leurs volets étaient ouverts. Lorsque ce n’était pas le cas, cela pouvait être le signe d’un problème. En plusieurs occasions, il avait ainsi alerté les secours pour aider une personne âgée en difficulté. C’est quelque chose qu’il faisait spontanément. Les locataires ont besoin des gardiens et n’ont pas intérêt à aller au conflit avec eux. Ceux qui partent en vacances peuvent éventuellement leur laisser leur clé ou leur demander de surveiller leur voiture. Mais ce n’est possible que si eux-mêmes respectent un certain nombre de règles et de comportements.

Vous montrez que ces gardiens sont en permanence entre le respect de la règle et son adaptation…

C’est ce qui constitue le cœur de leur travail. Les professionnels des HLM doivent faire respecter un certain nombre de règles très claires, mais leur travail consiste en réalité à adapter ces règles aux réalités de la vie dans la cité. Il est sans doute préférable de faire une entorse à la règle plutôt que de s’engager dans une logique de contrôle autoritaire. Par exemple, tout le monde sait que certains appartements accueillent plus de personnes que prévu dans leur bail. Cela apparaît notamment sur les boîtes aux lettres, qui comportent souvent plusieurs noms pour un seul appartement. Mais que faire, sauf de proposer de nouveaux logements… dont les bailleurs ne disposent pas. Les choses restent donc en l’état, avec en toile de fond une lutte permanente des personnes hébergées pour obtenir un nouveau logement.

Les gardiens ont-ils des liens avec les travailleurs sociaux ?

Je n’ai pas vu beaucoup de travailleurs sociaux lors de mon séjour dans la cité, bien qu’ils soient sans doute présents. Il est évident qu’ils auraient tout intérêt à fréquenter les gardiens des HLM, ne serait-ce que pour mieux comprendre ce qui se passe dans les immeubles et la façon dont vivent les familles. Je considère d’ailleurs les gardiens de HLM comme des sortes de travailleurs sociaux. Une fois sur deux, ils parviennent à régler les problèmes auxquels ils font face. Bien sûr, ce sont de petits problèmes et, pour les autres, ils orientent les gens vers les bons organismes.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Le sociologue Jean-François Laé est enseignant à l’université Paris-8 Vincennes-Saint-Denis. Il publie Dans l’œil du gardien (Ed. du Seuil, coll. « Raconter la vie », 2015).

Il est également l’auteur, avec Numa Murard, de Deux générations dans la débine (Ed. Bayard, 2012)(2).

Notes

(1) Voir ASH n° 2847 du 14-02-14, p. 30.

(2) Voir ASH n° 2747 du 17-02-12, p. 40.

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