Les adolescents sont-ils plus violents qu’auparavant ? La question n’a jamais cessé d’embarrasser la communauté éducative, qui y voit une reformulation de l’ancestral conflit intergénérationnel ou craint d’alimenter les discours sécuritaires.
D’où un déficit de connaissances qui pèse encore lourdement aujourd’hui. A l’école, c’est seulement en 1979 qu’une première étude tente d’éclairer le débat déjà bien installé sur les violences dans les collèges(1). Ses résultats dépeignent une réalité sombre. Près de 60 % des établissements connaissent le phénomène de racket, 45 % signalent des agressions « plus verbales que physiques » contre les adultes, 46 % mentionnent des tentatives de suicide, 27 % des problèmes sexuels et 19,5 % des problèmes de drogue. Mais l’étude sera très vite oubliée : les enquêteurs s’étaient concentrés sur quelques établissements à problème…
Une autre tentative de quantifier le phénomène, cette fois globalement, se traduira par un échec, en 1982. Le doyen de l’inspection générale de l’Education nationale, en charge du dossier, jette l’éponge face à des « phénomènes trop masqués ». « Il y a comme une honte à en parler », explique-t-il. Il faudra attendre 1993 pour que des procédures de recueil des données d’incidents soient mises en place dans les académies. Dans un nouveau rapport publié l’année suivante, l’inspection générale estime entre 200 et 300 par an le nombre d’« incidents graves » enregistrés dans les académies dites sensibles. Aux côtés des traditionnels violences, dégradations et vols commis par les adolescents émergent de nouvelles catégories, telles que les menaces graves contre les adultes, les agressions avec armes et les incendies. Là encore, l’interprétation reste délicate en raison de l’absence de définition de la « gravité » d’un incident.
Quelle que soit l’imperfection des outils, en 2006, le ministère de l’Education nationale s’alarme. « La proportion d’incidents ayant pour victime un personnel augmente pour la troisième année consécutive », repère l’administration. Le phénomène touche toutes les catégories de personnels, mais plus particulièrement les enseignants (+ 7 % en un an) ainsi que les personnels emblématiques de l’ordre au quotidien que sont les conseillers principaux d’éducation et les surveillants (+ 25 % par rapport à 2003). « La violence la plus préoccupante est le produit d’une véritable identification collective antiscolaire de certains groupes d’adolescents », est-il relevé.
Dans le champ de la protection de l’enfance, le flou est encore plus manifeste. Les études observent toutes une aggravation de la situation des adolescents, sans pourtant pouvoir s’appuyer sur des comparaisons avec les décennies précédentes. Il faudra attendre janvier 2015 pour qu’un état des connaissances sur la délinquance des mineurs(2), demandé par Christiane Taubira, ministre de la Justice, à l’occasion des 70 ans de l’ordonnance de 1945, donne un aperçu de l’ampleur du phénomène. Combinant travaux de recherche et rapports de missions parlementaires ou des corps d’inspection des administrations, celui-ci montre que le nombre de mineurs mis en cause par la police ou la gendarmerie a connu une croissance vertigineuse au cours des vingt dernières années, sans lien avec l’évolution démographique. Alors que 98 000 mineurs étaient mis en cause en 1990, 175 000 l’étaient en 2000 et leur nombre a atteint 234 000 en 2013. Soit une augmentation de 230 % en l’espace de vingt ans ! La moitié des adolescents incriminés avaient entre 13 ans et 15 ans, dont 9 % de moins de 13 ans.
Mais ces données sont aussi à analyser à la lumière d’une judiciarisation de plus en plus systématique des actes de délinquance, nuance le ministère. En 1994, 60 % des actes faisaient l’objet d’une réponse pénale, en 2000 ce taux s’élevait à 78 % et il atteignait 94 % en 2013 !
Côté réponse, l’incarcération reste exceptionnelle (moins de 3 000 mineurs par an). Environ 90 000 mineurs sont pris en charge chaque année par la protection judiciaire de la jeunesse, la plupart du temps en milieu ouvert. En combinant l’aide sociale à l’enfance, 284 000 enfants et adolescents sont pris en charge en protection de l’enfance, soit sur décision administrative des services départementaux, soit sur orientation des magistrats.
Malgré l’ampleur de ces chiffres, il est difficile de conclure tant la pression sécuritaire les influence. Tout au plus, les études montrent un déplacement du champ de transgression des adolescents. « En 1980, les vols simples étaient très majoritaires avec 74 % des mineurs mis en cause pour ces infractions. Aujourd’hui, si les atteintes aux biens restent majoritaires (49 %), ce sont les faits incluant une forme de violence qui ont connu une évolution importante. »
Pour le ministère de la Justice, « la connaissance de ces mineurs est insuffisante et les recherches dispersées. Les conditions de vie, les parcours scolaires, l’état sanitaire et psychique de ces enfants et adolescents restent autant de champs de recherche sous-explorés qui seraient pourtant précieux à la définition des modalités de prise en charge et à la formation des professionnels. »
(1) Rapport de mission sur les violences en milieu scolaire – Alain Bauer, mars 2010 – Remis au ministre de l’Education nationale
(2) « Justice, délinquance des enfants et des adolescents : un état des connaissances » – Sous la direction de Sylvie Perdriolle – Ministère de la Justice, janvier 2015.