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Les adolescents mettent les MECS sous pression

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Au dire des professionnels de la protection de l’enfance, les adolescents qui leur sont confiés aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec ceux d’hier. Troubles psychiques, passages à l’acte, dégradation du lien familial se cumulent pour rendre la situation explosive. Le modèle historique des maisons d’enfants à caractère social (MECS) est réinterrogé.

« Scènes de violences dans un foyer du Havre : éducatrices et policiers agressés par des pensionnaires. » « Racket, violences, drogue : le foyer de la Marne à Lorient indésirable ? » « Fermeture actée du foyer pour jeunes en difficulté », à Vitry(1). Depuis quelques années, la presse s’est fait le relais d’inquétudes au sein des institutions de la protection de l’enfance face à une nouvelle génération de mineurs apparemment réfractaires à toute idée de socialisation. Le terme d’« incasable », qui fait florès depuis une vingtaine d’années, apparaît dépassé tant les tensions mettant à l’épreuve les éducateurs semblent s’être généralisées.

Dans une étude conduite sur les services de la protection de l’enfance de l’Aveyron, du Gers et de la Haute-Garonne(2), le CREAI (Centre régional d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité) Languedoc-Roussillon fait état de vives difficultés dans l’accompagnement d’un nombre grandissant d’adolescents confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE). « L’ensemble des acteurs impliqués dans le suivi des jeunes signale aujourd’hui des situations pour lesquelles les modalités de prise en charge courantes ne sont pas adaptées, leurs besoins se situant à l’interface des dispositifs sociaux, sanitaires et médico-sociaux. » Entre 15 et 20 % des situations conduiraient à des ruptures de prise en charge ou à une mise en échec de la réponse institutionnelle. Dans l’Aveyron, ces difficultés sont attribuées à une « augmentation des jeunes présentant des troubles sévères du comportement sans aucune prise en charge médicale ou spécialisée dans le médico-social », faute de places suffisantes en pédopsychiatrie ou en ITEP (institut thérapeutique, éducatif et pédagogique) et en IME (institut médico-éducatif). En Haute-Garonne, une « augmentation constante du nombre de jeunes souffrant de troubles de nature psychiatrique » expliquerait la poussée des actes de violences. Les dernières statistiques départementales montrent qu’environ 200 jeunes avaient mis à mal en 2011 « au moins deux lieux d’accueil » depuis le début de leur placement. « Le parcours de vie de ces jeunes est le plus souvent très compliqué, avec une superposition d’événements traumatiques graves ayant amené à un signalement et un placement précoce [et] de ruptures de prise en charge entraînant des placements multiples », indique encore le CREAI Languedoc-Roussillon.

Pour autant, cela suffit-il à expliquer l’installation d’une telle pression dans des institutions qui ont vu défiler des générations d’enfants en grande souffrance ? « Aujourd’hui, nombre d’équipes ont le sentiment plus ou moins diffus que les mineurs qu’elles accompagnent sont en train de changer de manière profonde et que le cadre de pensée qui soutenait leur action n’est plus opératoire », observe Francis Batifoulier, consultant et cofondateur de l’Association nationale des maisons d’enfants à caractère social (Anmecs)(3). Des professionnels habitués de longue date à s’engager dans des démarches de conquête de l’autonomie et d’intégration sociale se heurtent à des obstacles multiples, explique-t-il : « L’appel au respect des règles est sans effet. Les positions d’autorité sont mises à mal, les équipes sont confrontées à des sentiments d’impuissance qui peuvent générer des contre-attitudes rejetantes. »

« VÉRITABLES POUDRIÈRES »

Certains y voient les effets d’une diabolisation des MECS. La volonté de privilégier le placement familial aux accueils en internat, considérés comme chers si ce n’est improductifs, en fait la dernière étape pour des mineurs chahutés d’accueillants familiaux en solutions temporaires, transformant du coup les institutions en véritables poudrières. Placés à 75 % sur décision de justice dans le cadre de mesures de protection et d’assistance éducative, les enfants porteraient également en eux les stigmates d’une société de plus en plus violente et individualiste. Pour d’autres, c’est le cadre éducatif des institutions qui serait devenu inadapté aux adolescents d’aujourd’hui et ne ferait que renforcer leurs tensions. Un constat tiré notamment par l’Association vosgienne pour la Sauvegarde de l’enfance, de l’adolescence et des adultes (AVSEA). « Les éducateurs faisaient état d’une transformation des relations qu’ils avaient avec les adolescents. Ceux-ci étaient décrits comme étant dans une sorte de toute-puissance qui les amenait à contester toute hiérarchie. Plus on renforçait une relation d’autorité, plus on allait vers des formes de maltraitance sur des jeunes qui s’arc-boutaient sur leurs positions », raconte Alain Vinciarelli, directeur du Cèdre, un dispositif multiaccueil regroupant deux MECS. L’association s’est alors rapprochée de chercheurs en neurosciences, pour qui « l’incasabilité » de certains adolescents relève d’abord et avant tout d’un diagnostic de polytraumatisme (voir encadré ci-dessous). « Cette grille de lecture est très importante, car elle conduit à abandonner la relation verticale de l’éducateur sur l’enfant au profit de l’écoute et de l’empathie. » En modifiant le positionnement des professionnels et en orientant la relation éducative vers de la négociation, le niveau de violence a considérablement baissé dans les services, assure Alain Vinciarelli. « Alors que notre secteur reste toujours guidé par des théories psychanalytiques qui enseignent aux professionnels de garder une juste distance, il a fallu désapprendre ce qui est encore enseigné dans la formation des travailleurs sociaux. »

Quelle que soit l’analyse de la situation, la crise touche de plein fouet le modèle historique de l’internat des MECS, conçu dans une logique de substitution parentale, estime Francis Batifoulier : « La question est : quelle forme institutionnelle créer pour répondre à l’évolution du profil des jeunes ? » Pascal Hauffray, directeur de la MECS l’Envol, à Saint-Brieuc, est passé par ce type d’interrogation. Au début 2000, son établissement a dû fermer deux services devenus ingérables : « A la suite de cette crise, il a fallu se restructurer, repenser et diversifier les modalités d’accompagnement. » Le collectif tel qu’il existait auparavant avec une cohabitation permanente de mineurs en grande souffrance a fait place à des petites unités disséminées en ville, complétées par un service d’action éducative renforcée en milieu ouvert. Des réponses alternatives ont également été pensées à destination des adolescents les plus déstructurés. L’association a ouvert un service pour des filles et garçons, âgés de 13 à 18 ans, incapables de supporter l’internat collectif en raison de leurs troubles de l’attachement et de la relation. Objectif : mettre à leur disposition un réseau de lieux d’accueil (familles d’accueil, lieux de vie, séjours de rupture) et faire de l’éducateur référent un fil rouge qui permet, même en cas de changement de lieu d’accueil d’un jeune, d’assurer une continuité du travail éducatif. Un moyen particulièrement efficace pour prendre à contre-pied la mécanique d’exclusion que ces adolescents mettent en place, assure Pascal Hauffray. « Les incasables ne sont jamais plus incasables que lorsqu’on essaye de les mettre dans des cases. La flexibilité est devenue essentielle pour nos institutions. Il faut qu’il y ait du mouvement, que les jeunes puissent naviguer entre les dispositifs, sinon ils vont très vite essayer de tester les limites. »

TRAVAILLER AVEC LES PARENTS

Mêmes conclusions tirées à la MECS Saint-Vincent-de-Paul, à Biarritz, qui a assisté, dans les années 2000, à une forme d’épuisement des logiques de substitution parentale. Dès que les mineurs quittaient l’établissement pour retrouver leur famille à leur majorité, ils remettaient en cause les projets qu’ils avaient construits avec les éducateurs, après parfois cinq ou six années d’internat, explique Noël Touya, directeur de l’établissement. « A partir de là, la question du travail avec les parents s’est imposée. D’une action essentiellement centrée sur l’enfant en milieu éducatif, nous sommes passés à un enfant replacé dans son environnement social. » Plutôt que de prendre la place des parents, la MECS essaie désormais d’organiser leur retour dans l’accompagnement « en composant avec ce qui est mobilisable chez eux ». Un partage de l’accueil du mineur est mis en place le temps du week-end ou à raison de quelques nuits, voire quelques journées par semaine. Dans ces périodes hors les murs, l’institution reste très présente. Un enfant peut, par exemple, continuer à partager ses repas à la MECS et participer à des temps collectifs. « Tout l’enjeu est de parvenir à impliquer les parents dans un projet éducatif commun, donc d’accepter à notre niveau l’existence d’un cadre de négociation, même avec des mesures contraintes par le magistrat. L’important est que les enfants puissent passer d’un système à l’autre. Plus cette modulation des interventions tient dans le temps, plus le travail va payer. »

Reste le manque de connaissances sur les mineurs accueillis. « L’absence d’études nationales sur leurs trajectoires, leurs pathologies ou sur les effets des diverses formes d’accompagnement laisse les équipes dans l’inconnu, avec le risque de développer des attitudes éducatives inadéquates, ou pire, aggravantes », souligne Francis Batifoulier.

Nicolas Boigeaud, directeur de l’Adiaseaa (Association départementale de l’Indre pour l’accueil et la sauvegarde de l’enfance, de l’adolescence et des adultes), gestionnaire d’une MECS et d’un centre éducatif renforcé(4), a, quant à lui, mis fin à un fonctionnement uniquement centré sur l’éducatif. « Les jeunes dont nous avons la charge ont besoin d’un encadrement. Mais ils ont aussi besoin que leur névrose, voire leur psychose, que leur histoire et les nombreuses ruptures qui la jalonnent n’ont cessé de réactiver, soit soignée », explique-t-il. Depuis plusieurs années, l’association pose comme préalable l’obligation du soin. La totalité des mineurs pris en charge dans le centre éducatif renforcé et 80 % de ceux qui sont accueillis dans la MECS sont vus régulièrement par le psychologue. La règle est fixée au même titre que l’obligation scolaire, le rendez-vous chez le médecin ou le dentiste. « Au vu de l’état psychologique des jeunes accueillis, les structures de l’ASE sont incontestablement devenues des établissements médico-sociaux, sans en posséder l’habilitation ni le nom, défend ce directeur. S’adapter suppose de mobiliser de nouveaux moyens et d’amener dans les équipes une diversité permettant un travail précis. »

UN INTERNAT MÉDICALISÉ

Mais rares sont les établissements à formaliser un projet de soins. Même si leurs directions reconnaissent qu’une part importante de leur population relèverait d’un accompagnement lourd. « Les professionnels ont vu qu’il leur fallait se pencher sur la pathologie mentale. Mais, à partir du moment où ce constat est fait, on considère que c’est le travail de l’autre. D’où ces enfants baladés entre psychiatrie et MECS, l’une et l’autre se renvoyant la balle », déplore Nicolas Boigeaud.

C’est pour rompre ce cercle sans fin qu’a été lancé un internat socio-éducatif médicalisé pour adolescents (ISEMA), dans l’Eure-et-Loir(5). Première structure française à disposer d’un triple agrément aide sociale à l’enfance, protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et agence régionale de santé, l’ISEMA est conçu pour soulager le dispositif de protection de l’enfance du département d’une population décrite comme incasable. Une douzaine d’adolescents, garçons et filles, sont accueillis à temps plein par une équipe éducative et soignante renforcée (ratio de deux personnels pour un mineur). La prise en charge concilie soins psychologiques ou psychiatriques, travail éducatif, scolarité et formation professionnelle sur des périodes allant de six mois à deux ans. « L’idée centrale est que le soin à apporter à ces jeunes ne correspond pas uniquement à un acte médical, explique Gilles Pain, directeur de l’ISEMA. Il s’agit de soigner la relation qu’ils entretiennent avec leur environnement en croisant l’action de professionnels différents et spécialisés. On ne travaille plus sur la notion de placement, mais de changement. » Depuis six ans qu’elle existe, la structure a accompagné 70 mineurs. Au début 2014, un audit réalisé par les services du département et la PJJ a mis en évidence « des modifications profondes de la dynamique interne d’une grande majorité des jeunes accueillis, même pour ceux qui ont pu connaître la détention ».

De telles institutions représentent-elles une planche de salut pour les MECS ? Oui, répond Gilles Pain, à la nuance près que, si l’ISEMA permet de retirer chaque année une douzaine de situations critiques des établissements, cela ne peut compenser la nécessité d’adapter le dispositif de la protection de l’enfance aux problèmes des générations d’aujourd’hui. Sans compter un prix de journée à 350 €(6). « Notre première réussite, ajoute d’ailleurs le directeur, c’est d’avoir réuni pour la première fois des autorités ayant chacune leur culture, leur organisation, leur stratégie, qui sont en charge des mêmes enfants, mais ne se parlent pas et n’attaquent jamais les problèmes de fond de la même manière. »

Une autre façon de concilier le soin et l’éducatif est tentée dans les Bouches-du-Rhône, sous la houlette de l’Uriopss PACA, avec la création en 2014 de deux plateformes de coopération interassociatives à Aix-en-Provence et à Marseille. Chacune d’entre elles fédère un réseau de MECS afin d’assurer une circulation des adolescents à travers les différentes structures. Dès qu’un établissement s’essouffle, il passe le relais à un second, maintenant ainsi une continuité du parcours quelle que soit la complexité de la situation rencontrée. Le dispositif est complété par une équipe de soins ambulatoires, composée de professionnels de la psychiatrie et d’éducateurs, qui intervient en soutien aux personnels des MECS et va même jusqu’à prendre en charge en accueil de jour des adolescents traversant de grandes difficultés. « Il s’agit de dépasser le discours sur les incasables et d’y substituer une collaboration servant la cohérence du parcours du jeune », revendique Marianne Antunès, directrice de la MECS Les Marcottes, l’un des dix établissements rattachés à la plateforme aixoise de coopération interassociative.

ENCORE DU CHEMIN

Mais si des solutions se profilent, la refondation des MECS ne sera pas un long fleuve tranquille. En dépit de la loi de 2007 sur la protection de l’enfance, qui trace le cap d’une diversification des modes d’intervention auprès des enfants et de leur famille, de nombreux départements refusent, par exemple, toute collaboration avec les parents et maintiennent le statu quo sur le placement-séparation.

A cela s’ajoute le chantier de la formation, pointé par l’ensemble des directions. Les violences, l’irruption massive des troubles psychiques, mais aussi la nécessité de mettre en place des réponses pluridisciplinaires modifient en profondeur le travail éducatif. Bon nombre d’établissements n’hésitent d’ailleurs plus à recruter des animateurs chevronnés, plus aptes selon eux à gérer la complexité du quotidien. « La formation de base des éducateurs n’est pas suffisamment large et diversifiée pour suivre le mouvement de la société, s’inscrire dans des partenariats, travailler avec la psychiatrie, les centres sociaux, les psychologues libéraux, affirme Marianne Antunès. Il faut remettre à plat les référentiels de formation, c’est devenu une urgence. »

Les adolescents, des « mutants » ?

Le dernier ouvrage du psychanalyste Jean-Paul Gaillard, Enfants et adolescents en mutation(7) se taille un joli succès dans les milieux éducatifs. Selon son auteur, la mutation sociétale observable depuis le début des années 2000 a refaçonné « l’économie psychique et relationnelle » des enfants nés dans l’ère du tout numérique. « Nous retrouvons chez eux une nouvelle forme d’intelligence, une sensibilité d’écoute différente, de nouvelles valeurs. Ils sont à proprement parler des mutants », explique-t-il.

Ce mouvement en cours transforme de manière accélérée « les rituels d’interaction », c’est-à-dire la manière dont les émotions s’expriment et la façon de se situer face à l’autre.

Il redéfinit ce qu’est l’autorité, quelle est sa forme acceptable, et ce qu’est la hiérarchie entre adulte et enfant. Sa traduction est une remise en cause des rapports d’autorité paternalistes qui assuraient jusqu’alors la toute puissance de l’adulte, au bénéfice d’une relation plus horizontale, plus maternelle, laissant place à la négociation.

Le repositionnement des enfants s’accompagne d’une grande incompréhension à l’école ou en établissement éducatif, où les adultes attendent en vain des signaux de soumission qui ne viennent plus. « La volonté de redonner du cadre pour mater ces trublions fait ravage en termes d’écrasement de l’estime de soi des enfants », alerte Jean-Paul Gaillard

Complétée par l’apport des neurosciences, cette grille de lecture plaide pour l’installation d’un accueil plus « activement emphatique » des enfants placés en institution. « Les traumatismes qu’ils ont accumulés perturbent leur relation à l’adulte et rendent nécessaire un mode relationnel moins vertical, fait de protection, de réassurance et de négociation », assure le psychanalyste.

Notes

(1) Infonormandie.com du 25 janvier 2014, Breizh-info.com du 17 mai 2014, Leparisien.fr du 15 octobre 2013.

(2)« Démarche territorialisée d’appui aux acteurs locaux pour l’accompagnement coordonné des adolescents à difficultés multiples » – Etude conduite dans les départements de l’Aveyron, du Gers et de la Haute-Garonne à la demande de l’ARS Midi-Pyrénées – CREAI-ORS Languedoc-Roussillon – Février 2015 – Disponible sur www.creaiorslr.fr.

(3) Egalement codirecteur avec Noël Touya de l’ouvrage Travailler en MECS – Ed. Dunod, 2014 – Voir ASH n° 2865 du 20-06-014, p. 37.

(4) Auteur d’une tribune libre sur le sujet – Voir ASH n° 2903 du 27-03-15, p. 34.

(5) Voir ASH n° 2874 du 12-09-14, p. 15.

(6) Le prix moyen de journée des MECS est inférieur de 150 à 200 €.

(7) Enfants et adolescents en mutation : mode d’emploi pour les parents, éducateurs, enseignants et thérapeutes – Ed. ESF, 2014.

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