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Radicalisation : les réserves de la contrôleure des prisons sur les regroupements de détenus islamistes

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Dans un avis publié au Journal officiel sur la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral(1), la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) passe au crible les annonces faites par le Premier ministre le 21 janvier dernier dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, à propos de la création prochaine de cinq quartiers dédiés aux regroupements des personnes détenues radicalisées ou perméables au prosélytisme, sur le modèle d’une unité expérimentée au centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne) depuis octobre 2014. Des dispositifs auxquels Adeline Hazan explique ne pas être favorable, pointant notamment leur caractère potentiellement dangereux. Elle se montre par ailleurs prudente à l’égard des « programmes de déradicalisation » qui commencent tout juste à être expérimentés dans certaines maisons d’arrêt.

Un critère de regroupement « discutable »

Comme l’inspection des services pénitentiaires avant elle(2), la contrôleure des prisons s’est tout d’abord intéressée à l’unité de prévention du prosélytisme (U2P) de la maison d’arrêt de Fresnes. Un regroupement mis en place au milieu du mois d’octobre 2014 « de façon empirique » par l’établissement en réponse à l’importante progression du nombre de personnes incarcérées pour des faits de terrorisme ainsi qu’à l’augmentation des pratiques de prosélytisme et des pressions exercées à l’encontre de certains détenus (appels à la prière, obligations religieuses et alimentaires, etc.). Modifier les affectations des cellules n’ayant pas suffi à faire revenir le calme, la direction a ainsi décidé de regrouper certaines personnes dans un espace dédié, afin de garantir une détention plus sereine et de réduire l’influence des détenus prosélytes. « Aucune prise en charge spécifique du phénomène de radicalisation » n’a toutefois été mise en place, note Adeline Hazan. La contrôleure a, en outre, interrogé les personnels et il en ressort que rien ne démontre que cette pratique nouvelle ait eu un effet apaisant. A l’inverse, les personnes regroupées qu’elle a rencontrées lui ont confié leur crainte d’être étiquetées durablement comme islamistes radicaux et de ne pouvoir se défaire de l’emprise de leurs codétenus.

La CGLPL fustige par ailleurs le critère retenu à Fresnes pour réunir les détenus : la mise en cause ou la condamnation pour des faits en lien avec une entreprise terroriste. Un critère dont elle juge la valeur « discutable » permettant la cohabitation de personnes détenues présentant des niveaux d’ancrage très disparates dans le processus de radicalisation.

« La question des modalités de détection est cruciale », insiste la contrôleure, et en la matière, malgré la réévaluation des outils engagée récemment par l’administration pénitentiaire, les difficultés demeurent. Elle regrette par ailleurs l’absence de formation particulière des personnels chargés de la surveillance affectés dans l’U2P de Fresnes.

Un régime sans cadre légal ?

Autre critique, plus globale, portée au regroupement de détenus islamistes au sein de quartiers dédiés : un tel dispositif ne découle d’aucune disposition légale applicable. Il ne s’apparente ni à la détention ordinaire, ni à la mise à l’isolement. Avant l’ouverture de nouveaux quartiers dévolus aux détenus radicalisés, Adeline Hazan recommande donc d’encadrer ce régime sui generis, rappelant au passage que la mise à l’isolement obéit à un cadre législatif et réglementaire strict. « A ce titre, l’isolement ne peut être imposé à aucune personne détenue sans les garanties procédurales qui entourent cette mesure. »

La contrôleure déplore encore que la décision de regroupement, prise de façon discrétionnaire par la direction de l’établissement, ne soit susceptible d’aucune des voies de recours habituelles. Or, explique la CGLPL, cette décision peut faire grief si elle restreint les droits fondamentaux et détériore les conditions de détention. « L’absence d’informations précises sur les modalités d’encadrement et les conditions de détention dans ces nouveaux quartiers laisse craindre un éventuel glissement de ce régime vers un isolement de facto de ces personnes. »

Des programmes de déradicalisation qui restent à évaluer

La contrôleure a également un mot pour les programmes dits de déradicalisation, qui ont commencé depuis mai dans certaines prisons, fondés sur le volontariat des personnes concernées. Bien qu’il soit trop tôt pour les évaluer, Adeline Hazan estime que leur mise en œuvre appelle d’ores et déjà plusieurs remarques. Elle souligne ainsi que l’adhésion de la personne doit être recherchée « de façon continue ». Et promet d’être attentive à ce que le contenu de ces programmes et leur déroulement ne puissent constituer d’éventuelles atteintes aux droits fondamentaux des personnes détenues. « Il conviendra de s’assurer qu’une évaluation du dispositif sera effectivement réalisée et que les intervenants seront encadrés et formés à cet objectif », ajoute-t-elle.

« L’objectif des programmes de déradicalisation est d’investir la période de détention par des stages de citoyenneté, des groupes de parole et toute activité qui paraît utile pour briser le repli identitaire. » Il s’agit, insiste la contrôleure, de « proposer un accompagnement au renoncement à la violence et non pas de remettre en cause un attachement à la religion musulmane ». A cet égard, Adeline Hazan estime qu’il faudra veiller à ce que, dans la pratique, l’administration pénitentiaire, en charge de la mise en œuvre de ces programmes, « ne s’éloigne pas de l’objectif initial ». En outre, « une vigilance particulière devra aussi être portée au respect de la liberté de conscience et de religion ».

Enfin, la CGLPL demande « qu’une réflexion soit engagée sur la prise en charge des jeunes de retour des zones de conflit […], l’incarcération ne [pouvant] pas être le mode de traitement indifférencié d’un phénomène qui touche plusieurs centaines de personnes au degré d’engagement disparate ».

Christiane Taubira a répondu à l’avis de la contrôleure le 26 juin, dans un courrier. La garde des Sceaux entend les inquiétudes exprimées, mais se veut rassurante. Avec les nouvelles unités, il ne s’agira pas de mettre en place un régime de détention spécifique et l’ensemble des droits des personnes seront respectés, a-t-elle par exemple assuré. S’agissant des précautions à prendre quant au repérage des personnes détenues, la ministre dit rejoindre les préoccupations de la contrôleure. Et, si les détenus affectés en unité dédiée seront principalement des « personnes écrouées pour des faits de terrorisme liés à l’islamisme radical violent », Christiane Taubira promet toutefois de veiller à ce que l’écueil d’un amalgame entre pratique fondamentaliste et radicalisme violent soit évité.

A la date du 6 juin 2015, 190 personnes sont détenues en France pour des faits de terrorisme (contre 90 à la fin 2013).

Notes

(1) Avis du 11 juin 2015, NOR : CPLX1515216V, J.O. du 30-06-15.

(2) Voir ASH n° 2903 du 27-03-15, p. 12.

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