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Pour un droit à l’accompagnement garant de la participation sociale

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Le législateur doit reconnaître un droit à l’accompagnement social aux individus que notre système économique n’arrive plus à intégrer, défend Dominique Denimal, assistant de service social, sociologue de formation. Ce droit permettrait de les placer non plus en situation de débiteurs mais de créanciers des services de l’action sociale, et de les réinscrire comme des citoyens de la société.

« Dans la relation de service institution-usager ou travailleur social-usager, la liberté de choix du prestataire et de la prestation fait souvent défaut, puisque les usagers avec qui nous travaillons ont rarement le choix de leurs interlocuteurs. On pourrait donc facilement inférer qu’ils sont un tant soit peu en posture de sujétion, dans une relation dominée par le professionnel. Si, de plus, on prend en considération les effets de contrôle social et de violence symbolique contenus dans l’“intention bienveillante”, on mesure encore plus le risque de subordination de l’usager au travailleur social. On mentionnera sur ce point le paradoxe souligné par Jean-Yves Dartiguenave, pour qui le travail social se situe à l’articulation de “l’assignation à un ordre social et l’émancipation des personnes de ce même ordre social“(1), cet auteur suggérant même la possible “complicité des travailleurs sociaux, à l’égard des mécanismes de domination”.

Erving Goffman, qui a théorisé la notion de “relation de service(2) invite à faire la lecture du contexte où elle a lieu et ce qu’elle indique des rapports sociaux qui s’y déploient.

Dans cette perspective, je fais l’hypothèse que la relation de domination, qui existe potentiellement entre le travailleur social et le bénéficiaire du service qu’il propose, se développe dans un contexte macro-économique privatif de la participation sociale et s’origine dans un déséquilibre micro-sociologique de nature anthropologique.

Au niveau macro-sociologique, on peut repérer qu’une bonne partie des difficultés sociales de nos concitoyens est la résultante d’une économie et de sa doxa qui pensent l’emploi et ses attributs (droits sociaux afférents, durée de travail, conventions collectives, etc.) comme autant de freins à l’expansion du profit (érigé en dogme absolu) et à une “concurrence non faussée”, pour reprendre les termes du bréviaire néo-libéral. L’essentiel de nos interventions, peu ou prou, consiste à panser les conséquences économiques ou psycho-sociales de l’inactivité (chômage) et du sentiment d’inutilité sociale qui en résulte. On ne peut comprendre ce qui se joue dans la nature de la relation entre un travailleur social et un usager si on ne prend pas en compte le contexte socio-économique dans lequel elle s’inscrit.

Compenser les ravages sociaux

Les enjeux démocratiques sont intrinsèquement contenus dans les champs économiques. Les forces qui s’y exercent, si elles ne sont pas régulées par des valeurs républicaines, conduisent – c’est déjà le cas aux Etats-Unis et en France – à l’essor d’une société de plus en plus inégalitaire qui porte en elle les risques de soubresauts, voire de violences populaires qui deviendraient alors légitimes. Il existe donc clairement un point de contradiction irrémédiable entre le projet démocratique historique, constitutif d’une paix durable, et l’économie libérale non régulée qui en mine les fondements. Historiquement, la protection sociale et les droits articulés au salariat sont venus compenser, réparer les risques sociaux subis par l’individu devenu prolétaire(3) de l’industrie naissante. On est actuellement dans des modèles d’une prolétarisation moins frontale, plus diffuse mais surtout plus intériorisée par l’individu. Les ravages sociaux, dont nous sommes témoins, causés par une économie néo-libérale sans frein, doivent donc aussi faire naître de nouveaux droits, dont le droit fondamental et inconditionnel à l’accompagnement. Aucun économiste, quel que soit le courant de pensée auquel il se réfère, ne peut nier que, livrée à elle-même, notre économie est prédatrice de l’individu dans sa capacité de citoyen-contributeur, dans sa capacité à faire société, mais aussi prédatrice de la Nature.

En attendant que l’économie retrouve une finalité plus humaniste et plus écologiste, il est indispensable que le droit vienne réparer ce qu’elle spolie. Ainsi, à défaut de pouvoir envisager un droit au travail ou à la participation sociale pour tous(4), les politiques sociales doivent promouvoir l’idée d’un droit à l’accompagnement social qui permettrait un soutien pour l’accès à toutes formes de participation sociale (travail salarié, travail bénévole, participation associative ou culturelle, etc.). Ce dont le sujet est privé par des logiques de profits paroxystiques, qui portent atteinte in fine au contrat social, il doit, par le droit, y accéder pour préserver sa posture de citoyen-contributeur. Seul l’accès à un droit souverain peut rompre ces logiques délétères, d’autant plus redoutables qu’elles sont intériorisées par les individus et, comme dirait Bourdieu, quand elles se fondent sur “la participation des dominés à leur domination”.

Au niveau microsociologique, chez tout un chacun, s’inscrire dans les échanges sociaux se traduit souvent par une contribution de type salarial, c’est-à-dire travailler pour “gagner sa vie”, mais aussi travailler pour participer socialement. C’est la “société salariale” décrite par Robert Castel. En vertu de ce schème de la réciprocité entre l’individu et le corps social où il évolue, ne pas accéder au travail, ou en être exclu, engendre un déficit de participation et génère des effets de stigmatisation sociale, d’exclusion, de fragilisation identitaire.

C’est dans l’espace social de l’accompagnement que peut être réinstaurée la déclinaison du contrat social que l’économie érode inéluctablement. Seule la montée en puissance du droit, dans les pratiques professionnelles comme dans les représentations sociales des usagers, peut permettre d’amoindrir ou de dépasser les effets de domination d’une relation historiquement issue du paternalisme social et anthropologiquement contenue dans la logique princeps du don/contre-don. “La crise du contrat social est une crise structurelle en ce qu’elle interroge fondamentalement les ressorts mêmes du rapport social, c’est-à-dire la capacité du corps social à faire société par l’instauration d’obligation réciproque entre ses membres.” Dartiguenave souligne précisément que le travail social “se caractérise fondamentalement par une suspension de la réversibilité anthropologique de la dette et du don[5] qui structure tout échange social”. Le droit à l’accompagnement, vecteur de la participation sociale, c’est ce que cet auteur dénomme la “réaffiliation identitaire et contributive”.

Un enjeu démocratique

Ainsi, au même titre que le droit à la santé, le droit au logement et le droit à la formation tout au long de la vie, doit s’instaurer un véritable droit (et non un succédané juridique subalterne, mâtiné de bienfaisance) à l’accompagnement social pour la participation citoyenne(6). Soyons clairs, ce droit à l’accompagnement ne peut être qu’un supplétif social et ne doit pas masquer l’objectif “utopique” à atteindre, qui est celui d’une économie redevenue prioritairement responsable de l’Homme et de la Nature. Bref, une économie qui préserve une place centrale à l’humain et à son environnement(7), et donc une économie qui redevienne le creuset du projet démocratique.

L’accompagnement social – sous toutes ses formes – érigé en droit-créance(8) permettrait de diminuer les effets de domination que peut engendrer la relation d’aide, l’accompagnement social ou toute forme d’action inscrite dans les pratiques des travailleurs sociaux. “Le véritable défi politique actuel consiste à aider l’individu contemporain à sortir de la solitude déprimante de ses échecs, et ce non par un enfermement dans une logique compassionnelle d’allègement de la souffrance, mais au contraire par une sortie par le haut le reconnaissant d’abord et avant tout comme un semblable, un concitoyen. […] Rappelons-nous, l’Etat social doit être avant tout pensé comme une instance qui cherche à transformer l’individu de droit de la démocratie en un individu socialisé capable d’exercer socialement sa liberté(9).

On passerait ainsi d’un rapport de paternalisme social à celui d’une relation de service concitoyenne où le travailleur social met sa technicité, son savoir-être et ses principes déontologiques au service de l’usager, de son projet, de ses besoins. Seul le “droit à” peut nous permettre, usagers comme professionnels, de dépasser le pouvoir discrétionnaire sournoisement contenu dans nos pratiques, y compris celles encadrées par un contrat (faussement bilatéral). A l’instar de ce que le législateur a mis en place dans le champ du handicap avec le droit à compensation, il pourrait être reconnu un droit équivalent, dans sa substance, pour les personnes victimes d’une économie qui les outrage(10). Un droit par lequel l’usager des services de l’action sociale ne serait plus en position de débiteur mais au contraire de créancier pouvant, sans effet de stigmatisation, demander son dû, son droit à la participation dont l’économie le prive(11). »

Contact : dominique.denimal@aliceadsl.fr

Notes

(1) Jean-Yves Dartiguenave – Pour une sociologie du travail social – Ed. PUR, 2010.

(2) Erving Goffman – Asiles. Etudes sur la condition des malades mentaux – Ed de Minuit, 1968.

(3) Dans l’Antiquité romaine, ceux qui formaient la sixième et dernière classe du peuple et qui, étant fort pauvres et exempts d’impôts, n’étaient utiles à la République que par les enfants qu’ils engendraient.

(4) Voir l’interview de Patrick Cingolani, ASH n° 2890 du 2-01-15, p. 20.

(5) Marcel Mauss a conceptualisé la notion de don/contre-don en montrant que, dans les échanges sociaux, la dignité de la personne est gagée quand existe un déséquilibre en sa faveur, le don écrasant le récipiendaire.

(6) Alain Supiot – La gouvernance par les nombres – Ed. Fayard, 2015

(7) Rappelons que la loi révolutionnaire du 19 mars 1793 affirme : « Tout homme a droit à sa subsistance par le travail s’il est valide ; par des secours gratuits s’il est hors d’état de travailler. Le soin de pourvoir à la subsistance du pauvre est une dette nationale. »

(8) Le préambule de 1946 énonce des droits-créances, des droits qui impliquent une action effective de l’Etat et, dans la majeure partie des cas, un engagement important de fonds publics. Ainsi, il reconnaît le droit, pour chacun, d’obtenir un emploi.

(9) Marc-Henry Soulet – « La vulnérabilité comme catégorie de l’action publique » – Pensée plurielle n° 10, 2005/2.

(10) En France, le budget consacré par chômeur est 3,6 fois moins important qu’aux Pays-Bas et 2,8 fois moins qu’en Grande-Bretagne – Source ODCE 2008.

(11) Cela passe, entre autres, par une politique fiscale plus républicaine pour une meilleure répartition de la richesse nationale produite, mais aussi par des dispositions internationales pour contenir l’évasion fiscale des particuliers comme des entreprises – Voir les propositions du Nouveau Manifeste des économistes atterrés – Ed. Les liens qui libèrent, 2015 – Voir ASH n° 2893 du 16-01-15, p. 28.

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