L’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS) qui, chaque année, rend compte de la situation des finances départementales en matière d’action sociale, adopte en 2015 un ton particulièrement alarmiste(1). Portant sur l’année 2014, l’analyse conduit à enregistrer une nouvelle dégradation, prolongeant une spirale négative engagée depuis plusieurs années. Pour faire bref, alors que les dépenses continuent de croître à un rythme soutenu, les ressources stagnent en raison d’une fiscalité départementale qui ne peut suivre et, surtout, de dotations de l’Etat, censées compenser les attributions transférées, pratiquement bloquées. Certes, jusqu’ici, l’Etat a toujours fini par octroyer des recettes supplémentaires en cours d’exercice – notamment en 2014 avec la possibilité d’augmenter les droits de mutation, qui a dégagé une recette complémentaire de 1,5 milliard d’euros.
Mais tout tient fondamentalement à l’évolution des dépenses. Alors que ces dernières ont doublé une première fois avant l’année 2000, un nouveau doublement de la charge est survenu depuis, et le phénomène se poursuit inexorablement. La dépense d’action sociale des départements s’élève aujourd’hui à 35 milliards d’euros, ce qui leur laisse une charge nette, une fois déduites les compensations allouées par l’Etat, de 27 milliards – soit, pour l’année 2014, une augmentation de 5,2 %. C’est le RSA qui enregistre la progression annuelle la plus forte (7,6 %), consommant aujourd’hui entre le quart et le tiers des crédits. Les aides aux personnes handicapées croissent elles aussi (4 %) ainsi que la protection de l’enfance, les soutiens aux personnes âgées et l’APA, bien que plus modérément. Cette modération en matière de prise en charge de la dépendance, tient entre autres à une gestion plus parcimonieuse des aides, notamment avec le jeu possible dans le classement GIR et la restriction des soutiens accordés pour les groupes les moins dépendants. Mais cela affecte naturellement l’efficience du système et accroît le reste à charge pour les bénéficiaires.
Ce constat montre que les marges de manœuvre des départements sont très réduites à tous égards. Leurs dépenses sont liées tout d’abord à des évolutions structurelles dont le vieillissement et la dépendance qui en résulte constituent l’exemple le plus clair. Elles sont ensuite une conséquence de la situation socio-économique : dégradation de l’emploi, fragilisation des solidarités immédiates, vulnérabilité accrue de publics plus larges. Enfin, sauf à utiliser les quelques possibilités de rationalisation dont ils disposent – au risque alors d’effets contreproductifs, comme pour la dépendance –, les départements sont très fortement déterminés par les cadres réglementaires foisonnants et de plus en plus stricts qui enserrent leurs interventions sociales. Tout cela sans compter la faible prise dont ils disposent sur les organismes auxquels ils confient ces activités, ces derniers étant eux-mêmes pris dans des contraintes gestionnaires de plus en plus prégnantes : le « jeu du mistigri », qui consiste à déporter les problèmes vers les autres, montre ici ses limites…
On devrait savoir que la « décentralisation » est une notion bien floue qui, dans la réalité, fluctue entre une simple déconcentration d’attributions sectorielles, une délégation de compétences donnant quelque autonomie et une dévolution d’activité ouvrant des véritables capacités de choix politiques. En ce qui concerne l’action sociale, on se situe plutôt entre déconcentration et délégation : autrement dit, les départements sont le plus souvent des gestionnaires de dispositifs divers dont ils ne maîtrisent ni les tenants ni les aboutissants. On peut se demander s’il est bien raisonnable d’instituer une collectivité « voiture balai » en charge de réparer des dégâts dont les causes sont à la charge d’autres opérateurs publics. Si l’on ne change pas la conception même du système, et partant de l’hypothèse que l’Etat ne va pas accroître fortement les dotations aux collectivités ni la fiscalité offrir de réelles solutions, la dégradation a toutes les chances de se poursuivre. Ce qui obligera alors à faire appel au coup par coup à des mesures d’urgence pour des départements quasiment en faillite ou à inciter les autres à contenir les coûts, même si l’on sait que de telles politiques se font généralement au détriment des plus faibles.
On peut rêver d’une alternative qui consisterait dans la recherche d’une sortie par le haut : créativité collective, déplacement des questions en l’état insolubles, action sur les facteurs de précarisation au lieu d’en traiter les symptômes, impulsion de logiques de développement global. Mais c’est une tout autre histoire…