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Les Invités au festin soignent autrement

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Depuis 25 ans, Les Invités au festin développent une expérience d’alternative psychiatrique fondée sur la création de lieux d’accueil et de vie non médicalisés et une vie communautaire. Un modèle de psychiatrie citoyenne au bénéfice des personnes souffrant de troubles psychiques et/ou sociaux que l’association diffuse aujourd’hui en France et à l’étranger.

« Pour nous, c’est historique », s’enthousiasme Marie-Noëlle Besançon, présidente et fondatrice de l’association Les Invités au festin (IAF), née en Franche-Comté en 1990. L’association fait partie, depuis mars dernier, des lauréats de « La France s’engage », le projet présidentiel porté par le ministère de la Ville visant à soutenir le développement d’initiatives sociales innovantes et d’intérêt général (1). « Pendant des siècles, les fous ont été enfermés et stigmatisés, poursuit-elle. On les remet enfin dans la cité. » Cette ancienne psychiatre et psychanalyste (2), qui a « énormément souffert de voir la façon dont on traitait les malades en hôpital psychiatrique en les excluant de la vie ordinaire », a fondé Les Invités au festin pour redonner aux personnes en souffrance psychique leur place de citoyen. « Il me semble très paradoxal de soigner des gens qui ont un trouble de la relation en les privant de relations. » L’association s’adresse aux publics en souffrance psychique dont l’état s’est stabilisé et qui n’ont leur place ni à l’hôpital, ni dans un logement autonome. « La personne en proie à une crise aiguë et qui ne peut pas se soigner seule doit aller à l’hôpital, précise Marie-Noëlle Besançon. Mais le reste du temps, elle vit. Or on manque cruellement de structures dans la ville offrant un suivi à domicile. »

En Franche-Comté, l’association possède deux lieux de vie, dotés du statut de maison-relais, l’un à Besançon, ouvert en 2000, et l’autre à dix kilomètres de là, à Pouilley-Les-Vignes, créé en 2009 en partenariat avec l’association Habitat et humanisme. Chacun d’eux accueille plus d’une dizaine de résidents permanents en souffrance psychique (troubles psychiques, séquelles de traumatismes crâniens, passage par la rue…). « Ils n’ont pas un degré d’autonomie suffisant pour prendre soin d’eux-mêmes et de leur espace de vie, résume Marie-Christine Pêcheur, responsable de la maison-relais La Lanterne, à Pouilley-Les-Vignes. Ici, on ne parle pas des symptômes. Chacun a des difficultés mais on travaille sur ce qui va bien et ce qu’il est possible de développer. » Si l’admission se fait sur la base du volontariat, elle est précédée d’un entretien avec un responsable du lieu de vie et un psychiatre, puis d’un séjour d’essai. « Rejoindre un lieu de vie comme le nôtre impose un travail sur soi », prévient-elle.

LE TEMPS QU’IL FAUT

La durée d’accueil est indéterminée. « Les gens restent le temps dont ils ont besoin, précise Marie-Noëlle Besançon. Ils ne sont pas sous la menace d’une date couperet après six mois ou deux ans de présence. Ils ont leur logement, leur adresse, ce qui procure un grand sentiment de sécurité. » Le suivi psychiatrique de chaque résident est assuré à l’extérieur. « Il ne s’agit pas d’un lieu de soins, mais d’un lieu qui soigne », souligne l’ancienne psychiatre. A côté du soin, Les Invités aufestin s’appuient sur la qualité de l’environnement et des conditions de vie de la personne, « qui doit être nourrie dans toutes ses dimensions ». Les résidents sont entourés par des salariés, mais aussi par des bénévoles qui participent aux repas, co-animent des activités et assurent une présence bienveillante. « Leur présence gratuite est très importante, relève Marie-Noëlle Besançon. Pour des gens étiquetés et qui ont très peu de relations, c’est énorme de savoir que les bénévoles sont avec eux par amitié. » Ceux-ci se relaient pour assurer une présence de jour comme de nuit, week-end compris, dans les deux lieux de vie. « Il s’agit d’offrir une présence rassurante, explique Odile Roux, bénévole depuis sept ans. Certains s’engagent dans de longues conversations, le soir, après le dîner. D’autres viennent me voir car ils ont du mal à trouver le sommeil… Nous sommes dans un climat d’écoute et de profond respect les uns envers les autres. » Chacun se tutoie et s’appelle par son prénom, et il est souvent difficile de distinguer les personnes en souffrance psychique des bénévoles ou des salariés (3).

A La Lanterne, qui accueille 13 résidents à l’année et possède un studio pour les séjours d’essai et de rupture, les personnes accueillies ont entre 28 et 62 ans et vivaient pour la plupart dans leur famille avant leur admission. Epaulées par trois salariées (deux accompagnantes, une cuisinière) et une trentaine de bénévoles, elles partagent une vie communautaire, rythmée notamment par la préparation et la prise des repas. « La vie de groupe permet de travailler sur la relation », explique Marie-Christine Pêcheur. Les résidents prennent toutefois leur repas dans leur propre studio trois fois par semaine, avec le soutien d’une personne en service civique. L’entretien des lieux communs et les services liés à la vie de la maison s’effectuent à tour de rôle. « La vie quotidienne est notre outil d’accompagnement », poursuit-elle.

Si chacun se construit son emploi du temps, la maison propose une grande variété d’activités animées par les bénévoles et les résidents, sur place ou à l’extérieur : peinture, relaxation, piscine, marche, jeux, écriture, mosaïque, jardin… Le lieu se veut très ouvert sur le village : il accueille les habitants plusieurs fois par an pour des expositions de peinture, tandis que les résidents participent à de nombreuses activités de la vie locale.

DES ACTIVITÉS VARIÉES

A Besançon, le site historique de l’association, nommé La Maison des sources, réunit un lieu de vie (maison-relais Les Capucines) et un groupe d’entraide mutuelle (GEM). Celui-ci emploie quatre salariés (soit 2,5 ETP) et mobilise une vingtaine de bénévoles aux profils variés. « Nous avons pas mal de jeunes retraités, mais aussi des étudiants en psycho-sociologie, des personnes en recherche d’emploi ou d’autres souhaitant découvrir un secteur qui les intéresse », détaille Serpil Godin, responsable du GEM La Fontaine. Chaque jour, une quarantaine de personnes, sur la centaine d’adhérents que compte le groupe d’entraide, poussent la porte du lieu, aménagé dans un ancien couvent. Toutes sortes d’activités, animées par les bénévoles et les participants, sont proposées : théâtre, danse, poterie, cuisine, sorties… Les travaux réalisés en atelier sont valorisés via des expositions ou des visites du site. Tout comme La Lanterne, le GEM est inséré dans le tissu local. Une coopération avec les acteurs culturels permet, par exemple, aux participants de se rendre au théâtre à des prix attractifs ou d’organiser des ateliers en lien avec le musée des Beaux-arts. Des sorties communes avec d’autres GEM de Besançon sont également programmées.

La Maison des sources comprend également deux lieux de travail appelés « ateliers de responsabilisation » : une buvette et une boutique ouverte au public, qui récupère et revend vêtements, vaisselle ou objets de décoration. Elle permet à l’association de tirer des revenus supplémentaires mais aussi de mobiliser les personnes en souffrance psychique autour d’une activité valorisante. Celles-ci ont également accès à sept postes de travail ordinaires au sein de l’association : comptabilité, cuisine, ménage, saisie informatique… « Ce sont des temps de travail très partiels adaptés à leurs besoins, précise Antoine Baroin, chef de projet en économie sociale et solidaire au sein du réseau des Invités au festin. Quand elles s’en sentent capables, on peut augmenter leurs horaires. Cela fonctionne car une fois stabilisées dans le travail, elles ne décrochent pas. » Deux postes de standardistes pourraient bientôt s’ouvrir au sein de l’association. François Rousseaux, comptable au sein de La Maison des sources 27 heures par semaine, a été pendant plusieurs années résident de la maison-relais des Capucines avant de prendre son propre logement. « Je me suis senti acteur de la structure et non consommateur d’un service, raconte-t-il. Pour des gens qui ont du mal à trouver leur place dans la société, c’est fondamental. Sentir que l’on a besoin de vos services donne une tout autre image de soi. Cela m’a aidé à sortir de mon inertie. »

PAROLE ET TENDRESSE

L’objectif des Invités au festin est d’aider chacun à trouver sa place. « Nous veillons à ce que chacun plante ses racines et s’épanouisse », poursuit Marie-Christine Pêcheur, jugeant la prise de confiance en soi et dans les autres essentielle au mieux-être. « Petit à petit, ils ont moins peur d’aller sur l’extérieur. » Résidents et participants savent aussi qu’ils seront remis d’aplomb en cas de passage à vide. Car la vie en groupe avec des personnes confrontées à toutes sortes de difficultés n’est pas toujours un long fleuve tranquille. « C’est à la fois merveilleux et épuisant au jour le jour, confie Marie-Noëlle Besançon. Nos leviers ? La bienveillance, la communication non violente, beaucoup de parole et de tendresse… » Le règlement intérieur bannit toute forme de violence, verbale comme physique.

Pour les personnes en proie à des addictions, les tentations ne sont pas toujours faciles à apprivoiser. « Cela a beaucoup d’impact sur la vie quotidienne et cela met du temps à évoluer », reconnaît Marie-Chrisine Pêcheur. La variabilité des humeurs de chacun peut également troubler l’équilibre du groupe. « Les choses sont très mouvantes, la personne peut se sentir très bien le matin et plus du tout l’après-midi, poursuit-elle. Mais ce qui fait la différence, c’est la proximité dans laquelle nous sommes. On se connaît bien et c’est avec cela qu’on avance, qu’on se soutient mutuellement. » Des réunions régulières entre résidents et salariés, en présence d’un psychiatre présent quelques heures par semaine, aident à dénouer les éventuels conflits.

Ce cocon protecteur permet de reprendre suffisamment de forces pour voler de ses propres ailes. « Une fois que la personne a assez de sécurité en elle-même et a fait le plein d’affectif, elle va vivre ailleurs », constate Marie-Christine Pêcheur. A La Lanterne, en cinq ans, 11 résidents sur 13 ont déjà fait leurs valises. « Ils ont trouvé un travail, un appartement, ont changé de région ou sont partis dans un foyer adossé à un établissement et service d’aide par le travail [ESAT]. L’un d’eux continue à venir manger à la maison régulièrement », explique-t-elle. Cet état d’esprit bienveillant rejaillirait sur l’ensemble de l’équipe. « La psychiatrie citoyenne ne fait pas seulement du bien aux résidents mais elle rayonne aussi auprès des bénévoles, ajoute Marie-Christine Pêcheur. Cela nourrit beaucoup de personnes. Le monde a besoin de ça. » La bénévole Odile Roux a l’impression de nouer des relations « d’une grande authenticité et d’une grande richesse ».

Pour mieux accompagner les résidents des maisons-relais et s’ouvrir aux personnes vivant dans leur propre logement, l’association a créé en 2014 un service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah). Comptant une dizaine de salariés du secteur médical et médico-social, il permet à l’association de toucher un public plus large, mais aussi de faciliter les transitions entre maison-relais et vie autonome en appartement. « Cela rend les sorties plus faciles car les personnes continuent à bénéficier d’un suivi », relève Antoine Baroin, qui est aussi directeur délégué du Samsah.

EXTENSION DU RÉSEAU

Forte de son expérience bisontine, l’association a déjà essaimé sur le reste du territoire, en nouant des partenariats avec d’autres associations. « Le principe du réseau des Invités au festin, c’est de faire de l’ingénierie de projet et de partager les bonnes pratiques », explique Jean Besançon, époux de Marie-Noëlle et président d’IAF réseau. Fondé en 2007, celui-ci réunit, par le biais d’une charte, des structures labellisées reprenant les caractéristiques qui ont assuré le succès de la première « maison ». Une quinzaine de projets sont en cours, qu’il s’agisse d’accueils de jour, de groupes d’entraide mutuelle ou de lieux de vie, en France, en Belgique et même en Afrique. « Le projet développé au Rwanda est initié par une psychologue d’Ile-de-France qui a quitté son pays à cause du génocide, raconte Antoine Baroin, qui s’est rendu sur place en février dernier. Elle s’est aperçue que nombre de personnes âgées ou isolées avaient besoin de cet accompagnement. » En France, deux nouveaux lieux de vie sont prévus en Lorraine et en Côte-d’Or pour 2016 et 2017, portés par des associations partenaires. Les Invités au festin comptent profiter du label « La France s’engage » pour développer leur modèle (4). « Cela va nous offrir un coup d’accélérateur, précise Jean Besançon. On va embaucher deux personnes au siège pour développer nos activités et aller sur les territoires. On va également bénéficier d’un regard externe sur notre stratégie de développement. »

Le contexte de « psychiatrie citoyenne » pourrait paradoxalement bénéficier de la conjoncture actuelle : « Face aux restrictions budgétaires dont souffrent les hôpitaux psychiatriques, il faut trouver de nouvelles solutions car des lits sont occupés par des personnes qui auraient davantage besoin de logements accompagnés. » La forte présence de bénévoles, qui fait partie du modèle économique de l’association, pourrait aussi, dans un contexte financier difficile, susciter l’intérêt. Reste à dépasser le scepticisme du monde médical vis-à-vis d’un modèle volontiers décrit comme utopique et non reproductible. « Certains pensent que l’on veut fermer les hôpitaux psychiatriques et laisser les malades sans soins, soupire Marie-Noëlle Besançon. Mais on ne dit pas ça. On propose de remplacer un lit par une place en logement accompagné. On a déjà supprimé un nombre incroyable de lits en psychiatrie sans avoir créé de places à l’extérieur… » Certaines familles auraient aussi du mal à lâcher prise en matière d’accompagnement de leurs proches. « Mais beaucoup de parents vieillissent et commencent à se poser la question de l’après pour leur enfant en souffrance psychique », constate Jean Besançon.

L’association espère bientôt intégrer un programme européen réunissant plusieurs pays autour des alternatives psychiatriques innovantes. « Nous aimerions repérer des structures proches dans d’autres pays, comme en Italie, par exemple, pour échanger et diffuser nos bonnes pratiques », détaille Antoine Baroin, qui considère l’association à un tournant, 25 ans après sa création. Marie-Noëlle Besançon, qui multiplie les conférences sur la psychiatrie citoyenne, tout en proposant tous les mois des visites de La Maison de sources de Besançon, sait que le chemin sera long. Mais « la folie doit reprendre sa place dans la vie, car la folie, c’est la vie ».

Un groupe d’entraide mutuelle au cœur de la cité

A Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques), l’association Les citoyens du cœur fait partie des partenaires du réseau des Invités au festin. « Nous sommes allés à Besançon en vue de monter un lieu de vie dans le même esprit, raconte Martine Bonnave, secrétaire de l’association. Nous avions eu l’espoir de monter une résidence accueil, mais n’avons pas obtenu les financements escomptés. » En attendant, l’association développe depuis trois ans un groupe d’entraide mutuelle (GEM), qui devrait bientôt obtenir des financements de l’agence régionale de santé (ARS). Fonctionnant pour l’instant grâce à des fonds privés, il réunit une vingtaine de participants réguliers. Parmi eux, certaines personnes sont en souffrance psychique, et d’autres sont bénévoles.

« On ne fait pas la différence, précise Martine Bonnave. Chacun a ses faiblesses, ses solitudes et chacun a plaisir à se sentir utile. » Les plus éloignés du monde du travail trouvent ici toute leur place. « Cela devient un atout car ils sont plus disponibles que les autres et apportent énormément à l’association, car ils ont un bien précieux : le temps. » Plusieurs rencontres sont prévues chaque semaine : les lundis et mercredis, les membres du GEM se retrouvent dans un local pour diverses activités (jeux, informatique, ateliers créatifs). Le vendredi, ils se rejoignent dans la cafeteria d’un supermarché. « C’est un lieu neutre et mixte socialement, ce qui est très utile pour des personnes déjà stigmatisées. » Une « bourse aux sorties » permet également à chaque adhérent de proposer aux autres une séance de cinéma, de théâtre, une promenade…

Enfin, les membres du GEM donnent de leur temps dans d’autres associations locales. « Après s’être réaccoutumés à une vie en groupe, ils partent avec une nouvelle dynamique dans le tissu local. » Objectif du GEM : multiplier les occasions de rencontres avec le monde ordinaire pour effacer l’étiquette de la maladie mentale. « N’avoir pour interlocuteur que des professionnels stérilise le contact humain, note Martine Bonnave. Parler avec des gens “normaux” qui ne sont pas payés pour le faire offre un sentiment d’utilité sociale et regonfle l’estime de soi. ».

Notes

(1) http://lafrancesengage.fr.

(2) Auteure de On dit qu’ils sont fous et je vis avec eux (paru en 2006 aux éditions de l’Atelier et qui vient d’être réédité), et de Arrêtons de marcher sur la tête, pour une psychiatrie citoyenne (même éditeur), avec le psychiatre Bernard Jolivet – Voir ASH n° 2637 du 18-12-09, p. 40.

(3) L’exposition « Voyages en folie », regroupant des photos de bénévoles, de salariés et de résidents des Invités au festin revendique cette proximité – www.lesinvitesaufestin.fr/pdf/plaquette_voyageenfolie.pdf.

(4) L’association dispose d’un budget de 1,3 million d’euros (2015) dont 24 % proviennent de l’autofinancement, 24 % du bénévolat et de dons en nature et 52 % de l’Etat et des collectivités. Elle espère obtenir, grâce au label « La France s’engage », 300 000 € supplémentaires sur trois ans pour accélérer son développement.

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