« Un chœur de voix qui grondent ou pleurent », voilà comment Nora Philippe, réalisatrice et enseignante à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), décrit les courriers adressés par des demandeurs d’emploi à leur agence Pôle emploi en réponse à un avertissement ou un avis de radiation. Celle qui a réalisé en 2014 le documentaire Pôle emploi, ne quittez pas(1) au sein de l’agence de Livry-Gargan, en Seine-Saint-Denis, a réuni ces missives dans l’ouvrage Cher Pôle emploi. Ce sont les agents eux-mêmes qui les lui ont transmises, reproduites dans le respect des particularités stylistiques, syntaxiques et orthographiques de leurs auteurs – seuls les noms de famille et numéros d’allocataire ayant été occultés. Arrivées sous toutes les formes (enveloppe A4 kraft, petite enveloppe recyclée, courrier recommandé, feuille volante cornée dont les lignes ont été brouillées par les gouttes de pluie, etc.), ces lettres ont été scannées dans leur pure réalité, Typex et biffures compris. Ces morceaux de papier si nombreux – plusieurs dizaines arrivent chaque jour dans la boîte aux lettres de l’agence – laissent transparaître, selon Nora Philippe, « le désespoir franc, le sentiment d’injustice, la supplique », mais aussi « la mauvaise foi, le constat atone ou le murmure coupable ». La plupart entreprennent de justifier une absence ou un retard, puisque ce sont souvent ces faits qui provoquent la radiation, et donc la suppression totale du versement des allocations durant deux mois. Le respect des rendez-vous et la ponctualité font en effet partie des « devoirs du demandeur d’emploi ». Or, selon les chômeurs, ces convocations ne parviennent pas toujours à leur destinataire. Si bien que le courrier suscite le courrier, qui suscite le courrier, qui suscite encore le courrier. Certains semblent rompus à l’exercice de la réclamation, d’autres sont beaucoup plus maladroits. Extraits : « J’ai bien reçu votre e-mail, je suis désolée mais je ne suis pas disponible le 18 mars. J’ai un problème familial à régler ce jour-là », écrit une femme, tandis qu’une autre prétexte une grippe pour excuser son absence : « Je ne peux vous fournir un certificat médical car je me suis automédiquée. » « J’ai raté ce rendez-vous car malheureusement je l’avais totalement oublié, j’ai quelques pertes de mémoire dues à ma dépression », annonce un auteur, tandis qu’un autre a raté son entretien « à cause de l’accouchement de [sa] sœur ». Un dernier insiste : « Je vous jure sur l’honneur et sur la tombe de mes parents que je n’ai pas reçu votre convocation. »
Cher Pôle emploi. Lettres de chômeurs, entre détresse et contestation
Nora Philippe – Ed. Textuel – 11,90 €
(1) Voir ASH n° 2883 du 14-11-14, p. 30 – Le documentaire est disponible en DVD (20 €).