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Le Caferuis victime de son succès ?

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L’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la branche associative, sanitaire, sociale et médico-sociale s’est penché sur la façon dont les employeurs et les salariés s’emparent de ce diplôme. L’enjeu : prévenir un risque de décalage entre l’offre et les besoins.

Au moment où elle connaît une stabilisation des emplois, la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale doit-elle craindre de former un nombre trop important de salariés au certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention (Caferuis) ? La question est sensible, le sujet de la qualification étant aujourd’hui à la fois lié à des enjeux de contenu et de financement, à la suite de la réforme de la formation professionnelle. Mais pour mettre en perspective la place de ce jeune diplôme – il a été créé en 2004 –, l’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la branche s’est attaché, avec l’OPCA Unifaf, à rassembler des données objectives sur les attentes des employeurs comme des salariés, en réalisant une étude auprès de personnes ayant préparé un Caferuis entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2012, dont les résultats ont été rendus publics le 17 juin(1).

Seconde partie de carrière

De fait, le Caferuis, de niveau II, « est aujourd’hui le deuxième diplôme le plus financé » par Unifaf, après celui d’aide médico-psychologique, indique l’étude. Chaque année, près de 1 000 professionnels bénéficient d’un financement pour accéder à cette formation, alors que « les résultats de l’enquête “Emploi”[2] ne font pas état d’un accroissement du nombre de postes de chef de service sur tous les territoires » – ils sont près de 10 500 au total actuellement. Dans ce contexte, « l’écart entre le nombre de candidats aux emplois de cadres intermédiaires et le volume de postes disponibles pourrait être en train de se creuser », souligne l’observatoire.

Ses données confirment l’intérêt du diplôme, selon beaucoup insuffisamment reconnu (voir ce numéro, page 36), qui répond à la fois aux attentes des employeurs, souhaitant développer les compétences des cadres de proximité, et à celles des salariés, soucieux de leur évolution professionnelle. Les résultats présentent le Caferuis comme « un diplôme de seconde partie de carrière, qui se féminise ». Parmi les personnes interrogées, en moyenne âgées de 46 ans, 66 % sont des femmes, un taux nettement supérieur à celui qui a été observé par l’enquête « Emploi » pour le poste de chef de service (57 %). Plus de 90 % étaient salariées au moment de leur entrée en formation – surtout titulaires d’un diplôme supérieur ou égal au niveau III – et 8 % étaient demandeurs d’emploi. Parmi les salariés, 39 % étaient déjà chefs de service en poste et 31 % étaient éducateurs spécialisés, ces profils correspondant aux deux principales catégories de « prétendants » au diplôme.

« A l’heure où les directeurs d’établissement partagent leur temps entre différentes structures et où les profils tendent à se diversifier sur ces postes, l’enquête montre que l’expérience du travail socio-éducatif est d’autant plus affirmée comme condition d’entrée sur le poste de cadre de proximité », note l’étude. Dans le même temps, le rôle des cadres de proximité a considérablement évolué : souvent intégrés à l’équipe de direction, ils contribuent à la réflexion stratégique, participent au développement des projets, et doivent « intégrer cette posture dirigeante, ce qui peut constituer un bouleversement dans leur identité professionnelle »(3). L’encadrement et l’animation du travail d’équipe sont une dimension importante du poste, « dont la difficulté est souvent soulignée ». Les professionnels interrogés livrent, sur ce point, des appréciations partagées sur les apports de la formation : « Certains soulignent des manques ou des faiblesses dans les contenus enseignés, tandis que d’autres insistent plus sur les changements d’identité et de posture professionnelle induits par l’exercice de la fonction. »

« Laissez-passer »

L’étude de l’Observatoire de la branche montre que le mouvement de hausse de qualification des cadres intermédiaires, au profit des diplômes de niveau II, est directement lié à l’application du décret du 19 février 2007 sur la qualification des professionnels de direction. « On a pu observer une interprétation large » de ce texte, constate-t-elle, les directeurs généraux d’association ayant par la suite « souhaité qu’un maximum de chefs de service en poste s’engagent dans la formation Caferuis ». Tandis que les recrutements externes se font désormais « systématiquement avec des professionnels qualifiés », du côté des salariés, cette tendance s’est traduite par l’assimilation du diplôme de niveau II « à l’idée d’un laissez-passer ». La validation des acquis de l’expérience (VAE), qui pouvait paraître adaptée pour répondre à cette « logique de conformité », ne représente pourtant « que 11 % de l’ensemble des actions Caferuis pour la période 2008-2012 et ce chiffre est en diminution constante ». D’une part, parce que le « stock » de chefs de service restant à former et répondant aux critères d’expérience de la VAE se tarit progressivement, d’autre part parce que, autant que le diplôme, « c’est la formation qui est recherchée au sens où elle répond à d’autres attentes ».

Selon les chiffres de l’observatoire, les employeurs ont pris l’initiative du projet de formation dans 14 % des cas (23 % quand le salarié occupe déjà un poste de chef de service) et ont eu une influence dans la prise de décision pour 40 % des salariés. Ils ont pris en charge le financement de la formation dans 89 % des cas lorsque le salarié était déjà chef de service au moment de la demande, et dans 73 % lorsqu’il était éducateur spécialisé. Dans les associations, deux « usages » du diplôme coexistent et sont en tension, relève l’étude. La formation des cadres intermédiaires peut être mobilisée pour « répondre aux besoins conjoncturels de la structure, dans une logique “gestionnaire” des fonds de la formation ». Ainsi, dans les années 2000, l’anticipation du départ à la retraite de la génération du baby-boom a conduit beaucoup d’associations à préparer les professionnels à prendre la suite des cadres en poste. « Cette stratégie est l’une des grandes explications de la forte consommation de formations Caferuis de cette dernière décennie », commente l’étude. Cependant, elle semble avoir été remplacée par un « raisonnement “court-termiste” dans lequel la qualification constitue une réponse à un besoin du moment, suite à un mouvement de salariés ». Dans ce cas, la formation accompagne une prise de poste.

Autre logique : l’utilisation de la formation qualifiante comme outil de promotion qui permet de favoriser, « plus largement que pour sa propre association, le renouvellement du corps des cadres intermédiaires par des personnes issues du sérail ». Les employeurs favorables à cette approche facilitent l’accès au Caferuis pour des salariés pour lesquels des qualités d’encadrant sont repérées, « même si la configuration des emplois de l’association ne leur permet pas de proposer un poste en adéquation avec cette nouvelle qualification ».

Parmi les salariés interrogés, 74 % déclarent que le souhait d’une évolution de carrière a motivé leur choix de formation. Cette ambition concerne aussi les encadrants déjà en poste qui cherchent à poursuivre leur carrière vers d’autres emplois de chef de service, dans un autre établissement par exemple. « Certains chefs de service s’investissent ainsi dans des stratégies de parcours entre [les] différents segments du marché du travail, tandis que d’autres visent des postes de direction ou de direction-adjointe, pour lesquels le Caferuis est requis. » Et dans plus d’un cas sur deux (55 %), un changement de poste intervient après la formation, dans un délai relativement court. Plus de 60 % des éducateurs spécialisés au moment de la formation ont connu une mobilité, le plus souvent (84 %) pour un poste de chef de service. Plus de 40 % des chefs de service déjà en poste ont changé d’emploi, pour un poste équivalent (moins d’un sur deux) ou pour un poste de direction-adjointe, voire de direction d’établissement ou de service. Reste que 27 % des personnes interrogées n’occupent pas un poste d’encadrement malgré leur formation. L’absence d’offres dans la zone de recherche, mais aussi un changement de projet ou l’attente d’un poste dans leur structure employeur peuvent expliquer cette « immobilité ».

Accompagner la demande

Si, pendant la période couverte par l’enquête (2008-2012), un salarié sur deux en formation occupait déjà un poste de cadre intermédiaire, c’est « concernant la seconde moitié de professionnels en formation que la question du risque de surconsommation du diplôme se pose, au sens où elle pourrait entraîner un déséquilibre sur le marché du travail avec des salariés ne pouvant concrétiser leur projet », conclut l’étude. Il semble donc à l’observatoire nécessaire de « contrôler » ce risque, en se penchant sur trois pistes d’action pour accompagner, et donc réguler la demande. La première : élaborer une cartographie territorialisée du marché du travail des cadres intermédiaires, « permettant de repérer des tensions locales et de mieux adapter production de qualifications d’une part et besoins en emplois sur les territoires d’autre part ». L’enquête « Emploi » montre que le nombre d’emplois de cadres intermédiaires a globalement progressé de 12 % sur cette période, loin derrière la croissance de l’ensemble des effectifs (25 %).

Deuxième action à engager : éviter les orientations « par défaut » vers le Caferuis, lorsque par exemple le salarié cherche à pallier un phénomène d’usure professionnelle, en l’accompagnant davantage dans la construction d’un projet de seconde partie de carrière. Selon l’observatoire, l’entretien professionnel et le conseil en évolution professionnelle créés par la loi sur la formation professionnelle du 5 mars 2014 doivent être utilisés dans ce sens. Quelles autres alternatives ? Se pose, en effet, la question des freins à la « mobilité horizontale » et du cloisonnement des secteurs, malgré le caractère généraliste des diplômes. Outre les exigences des recruteurs, les cadres conventionnels « ne favorisent guère les mobilités dans le sens où il sera très difficile pour les salariés de faire reconnaître une expérience professionnelle lors d’un changement d’employeur », rappelle l’étude. Pour l’observatoire, la principale réflexion à développer pour remédier à cette situation doit porter sur la formation continue et « la possibilité pour un salarié de pouvoir compléter ses connaissances, en se mettant à niveau sur les particularités d’un public, d’un mode d’accompagnement, d’un autre champ d’action ».

Pour Franck Montfort, président de l’observatoire (collège salariés, CGT), cette étude – « la première approfondie sur un métier donné » – confirme que le Caferuis « répond à un besoin réel, notamment d’adéquation entre le poste et le diplôme ». Cette réflexion soulève aussi la question de l’offre de formation proposée aux travailleurs sociaux, ajoute-t-il : « Quels débouchés possibles en effet si ceux offerts arrivent à saturation » Le risque de « surconsommation » « doit surtout être observé en fonction des régions », abonde Jean-Marie Poujol, président-adjoint de l’observatoire (collège employeurs, Syneas), soulignant que « les reconfigurations du secteur entraînent un besoin accru de cadres de proximité ». Selon lui, le Caferuis est « désormais bien repéré », malgré la concurrence d’autres diplômes, notamment universitaires.

Les réponses, dont les pistes sont amorcées par l’étude, sont « désormais dans les mains des partenaires sociaux de la branche », commente Unifaf dans un communiqué. Sans compter que la fonction d’encadrement est l’un des sujets sur lesquels devraient s’attarder, à l’automne, les « états généraux du travail social ».

Notes

(1) L’institut Opinionway a interrogé par téléphone 501 personnes ayant préparé un Caferuis entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2012, à partir d’un fichier constitué auprès d’une vingtaine d’organismes de formation des régions Ile-de-France, Limousin, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Pays de la Loire et Poitou-Charentes. Dix entretiens ont été réalisés auprès de directeurs généraux, directeurs adjoints, directeurs des ressources humaines et 11 auprès de salariés ayant validé un Caferuis -L’étude « Se former au Caferuis, entre stratégie associative et trajectoire professionnelle » est disponible sur www.obs-professionsolidaires.fr.

(2) De l’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la BASS – Voir ASH n° 2798 du 22-02-13, p. 24.

(3) Voir notre reportage sur l’Adapei de Haute-Saône dans les ASH n° 2912 du 29-05-15, p. 22.

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