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L’accompagnement social en danger ?

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Certaines évolutions technocratiques mettent en péril le respect dû à la personne accompagnée pourtant défendu dans les textes et les discours, s’alarme Roger Drouet, président du Mouvement pour l’accompagnement et l’insertion sociale (MAIS)(1). Il invite les travailleurs sociaux à participer aux transformations actuelles sans céder ni sur l’éthique, ni sur la place de la personne.

« Le travail social connaît ces derniers temps une profonde mutation d’inspiration plus technocratique que conceptuelle. Le paysage est bouleversé par l’émergence de problématiques et la multiplication d’outils nouveaux (contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens [CPOM], appels à projet…), certes incontournables, qui absorbent l’attention et le temps des travailleurs sociaux… Mais quelle place la personne accompagnée y trouve-t-elle ? N’est-il pas envisageable, voire indispensable, d’accepter de prendre ce virage sans abandonner les valeurs fondatrices et les principes éthiques du travail social ? La loi de rénovation de l’action sociale et médico-sociale de 2002 et celle pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005 ont renforcé l’importance de ces valeurs et le respect indéfectiblement dû à la personne accompagnée. En outre, le rapport des « états généraux du travail social » remis par Marcel Jaeger, titulaire de la chaire de travail social et d’intervention sociale du Conservatoire national des arts et métiers(2), s’engage à promouvoir “la place et la participation de l’usager”, et affirme “la primauté de la valeur de la personne citoyenne”.

Si ces principes persistent dans les textes et les discours, le changement se situe, d’une part, dans les intentions réelles qui sous-tendent leur application, quelque peu détournées de leur sens initial et, d’autre part, dans les moyens pour leur mise en œuvre qui se révèlent insuffisants, souvent inadaptés, voire contradictoires. Le MAIS, qui rassemble des professionnels du secteur social et médico-social accompagnant les personnes en difficulté d’insertion sociale et en situation d’exclusion, est régulièrement interpellé par certaines problématiques et dérives qui mettent en péril le travail social et les fondements de l’accompagnement social.

Une dérive mercantile et technocratique ?

Les appels à projet, lancés par les conseils départementaux et les agences régionales de santé (ARS), et les CPOM constituent un enjeu essentiel pour garantir la place des personnes accompagnées. La quête effrénée du marché rend les associations gestionnaires et les professionnels complices et auxiliaires d’une dérive mercantile et technocratique de l’action sociale en déniant les besoins réels des personnes en difficulté. Les enquêtes d’évaluation des besoins sont souvent confiées à des cabinets de conseil privés qui n’appréhendent pas à sa juste mesure la situation du terrain, et la qualité de la démarche peut être contestable. La coopération des travailleurs sociaux, souvent tenus à l’écart des négociations, est cependant indispensable en raison de leur connaissance des aspirations et des situations individuelles pour assurer la réussite des projets.

Des parcours personnalisés ou consuméristes ?

Le groupe de travail des “états généraux du travail social” sur “la place des usagers” incite à “passer d’une logique de dispositifs à une logique de parcours”. Au MAIS, nous avons toujours défendu avec conviction le concept de parcours personnalisé. Mais l’évolution du champ social, avec le déploiement de dispositifs administratifs et privatisés, tend à favoriser les parcours consuméristes à court terme focalisés sur l’utilisation de ces dispositifs, au détriment de la réalisation de parcours d’insertion centrés sur l’accomplissement personnel et le développement progressif de l’autonomie. Au-delà d’une aide matérielle, c’est une écoute et une reconnaissance que les personnes recherchent prioritairement et qu’elles ne trouvent pas dans ce système de guichets multiples et cloisonnés.

Une diversification ou une uniformisation des réponses ?

On peut constater que le regroupement de services et d’établissements, par injonction des collectivités territoriales dans un intérêt économique, associé à une gestion par pôles, se transforme souvent en fusion ou juxtaposition de structures, susceptible d’entraîner la perte d’identité et d’autonomie de chacune des entités. Comment préserver alors la liberté et la singularité des parcours sans tomber dans une logique de filière, uniforme et dirigiste ?

L’accueil individualisé ou la gestion de quotas ?

La transposition des normes et pratiques du secteur de la santé dans le domaine médico-social constitue une entrave à l’approche de la personne accompagnée telle que nous la concevons. L’imposition aux services, notamment aux services d’accompagnement à la vie sociale et aux services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés, par les conseils départementaux et les ARS, du système de file active, arbitrairement défini, vient en effet renforcer une logique de dispositifs, rigide et dénuée de sens. La prescription a priori de quotas pléthoriques d’accompagnements individuels (par rapport au nombre de places agréées) met en cause la qualité des suivis. En outre, la durée de l’accompagnement alors octroyée, déjà restreinte en fonction de la problématique observée, est actuellement écourtée par souci d’économie, au mépris du principe de bientraitance. Nous pensons que le flux de personnes accompagnées et la durée de leur accompagnement ne devraient pas être fixés artificiellement a priori, mais justifiés a posteriori au regard du profil des personnes accueillies, de leur situation, et du rapport d’activité. L’appui sur la compétence de l’équipe pluridisciplinaire est essentiel pour évaluer la disponibilité d’accueil et l’activité potentielles du service.

Un accompagnement dans la durée ou une procédure expéditive ?

La logique de parcours s’inscrit prioritairement, pour nous, dans la qualité de la relation entre la personne, son (ou ses) accompagnateur(s) et le service, relation de confiance qui s’élabore en respectant la temporalité de chacun. Cette logique qui engage la coordination des acteurs autour d’un itinéraire singulier est le résultat d’un long travail de reconnaissance réciproque et de construction de réseaux.

Un accès à l’autonomie coûteux ?

Si le développement de l’autonomie reste l’objectif essentiel de l’accompagnement, cette “démarche d’émancipation” n’est efficace et fiable qu’adossée à la sécurité garantie par le système de protection sociale et étayée par la solidarité de l’environnement de proximité. Dans ce sens, l’accès aux services sociaux doit rester libre et gratuit pour tout usager. Le MAIS s’est mobilisé pour interpeller certains conseils départementaux qui sollicitent la participation financière des personnes à leur accompagnement (10 % sur le territoire national, selon l’enquête que nous avons menée en 2014), et pour dénoncer l’irrégularité administrative de ce procédé.

Le rapport des “états généraux du travail social” revendique, pour les personnes en difficulté, la position d’“acteur dans le diagnostic et la résolution de leurs problèmes” en misant sur leurs compétences. Mais n’est-ce pas prendre le risque de rejeter sur elles la responsabilité de leur condition et de leur problématique, et les culpabiliser ? En outre, il fait état de pratiques “trop centrées sur l’accompagnement individuel” et d’un interventionnisme excessif, mais le lâcher-prise recommandé comme facteur de changement n’est-il pas prétexte à un accompagnement à moindre coût ? La pratique clinique de l’accompagnement que nous soutenons, étayée par les apports des sciences humaines et par la supervision, va à l’encontre d’un tel risque.

Quels sont alors les enjeux pour l’accompagnement social aujourd’hui ? Gérer avec rigueur et pragmatisme ne doit pas prendre le pas sur l’essence même de notre métier, la relation d’aide et d’accompagnement proposée à la personne, quelles que soient ses difficultés. Comment miser sur la capacité créatrice des équipes à construire et à imaginer des réponses adaptées et au plus proche du terrain ? Les travailleurs sociaux sont à même de concevoir des dispositifs innovants avec des indicateurs qui donnent du sens à l’action menée, et d’en assurer la coordination. Mais encore faudrait-il leur en accorder le temps, leur éviter d’être réduits au rôle d’exécutants techniques voués à rendre opérationnels des dispositifs administratifs et financiers ! Encore faudrait-il prévoir des espaces de rencontre et d’étude avec les instances décisionnelles où les enjeux de pouvoir sont mis de côté au profit d’un réel partage des connaissances et des idées ! Le MAIS s’est toujours efforcé de défendre les positions fondamentales sur lesquelles il n’est pas possible de transiger ou de consentir à des compromis, pour garantir l’éthique du projet et la place de la personne(3). Il souhaite participer à cette mutation, tout en déjouant les leurres, avec l’espoir de continuer à donner force et sens au travail social. »

Contact : mais@mais.asso.fr

Notes

(1) Qui vient d’organiser, du 9 au 11 juin à Grenoble, ses 29es journées nationales de formation, sur le thème « Plaisir dans l’accompagnement, accompagnement aux plaisirs » – www.mais.asso.fr.

(2) Voir ASH n° 2899 du 27-02-15, p. 5. Marcel Jaeger a également piloté le rapport du Conseil supérieur du travail social intitulé Refonder le rapport aux personnes, « Merci de ne plus nous appeler usagers » (voir ASH n° 2898 du 20-02-15, p. 26).

(3) Il participe notamment à la formation et à l’expression des intervenants sociaux à l’échelon local, régional et national, développe la recherche et l’élaboration de projets concernant l’accompagnement social et participe à l’évolution de la règlementation en étant force de proposition auprès des ministères concernés et des collectivités territoriales.

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