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« Il existe une ségrégation à la fois sociale et scolaire dans l’école française »

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En France, contrairement à d’autres pays, la mixité sociale à l’école ne fait encore l’objet d’aucune mesure. Organisme indépendant, le Cnesco a voulu la mesurer grâce à deux études, présentées début juin à Paris. Les explications de sa présidente, la sociologue Nathalie Mons.
Certains pays s’intéressent depuis longtemps à la mixité sociale à l’école. Dans ce domaine, la France ne possède, elle, aucun indicateur. Comment l’expliquez-vous ?

On peut parler à cet égard de cécité collective. Je vois à cela deux explications. Tout d’abord, notre système éducatif est bâti sur l’idée d’une république une et indivisible. Il ne peut donc théoriquement pas exister d’inégalité entre les territoires, tous les établissements étant censés offrir le même contexte d’apprentissage. En outre, le modèle républicain d’intégration suppose que lorsque des étrangers arrivent en France, ils laissent de côté leur culture. Tout cela fait que l’on n’a pas voulu mesurer les effets d’une ségrégation sociale ou liée au lieu de naissance. La seconde explication tient à l’existence d’une ségrégation historique au sein de l’école française. Avant la création en 1975 du collège unique, les réseaux d’enseignements primaire et secondaire étaient scolairement très ségrégués. Depuis, cette ségrégation entre réseaux d’enseignements s’est transformée en une ségrégation entre établissements.

Deux chercheurs de l’Ecole d’économie de Paris ont mesuré pour le Cnesco la mixité dans les collèges et lycées français. Comment ont-ils procédé ?

Cette étude est la première à mesurer statistiquement la ségrégation scolaire et sociale au collège et au lycée, entre établissements et au sein de ces derniers. Ses auteurs ont utilisé des données provenant du ministère de l’Education nationale pour calculer ce que l’on appelle l’« indice d’exposition normalisé ». Le but est de mesurer la différence entre les environnements d’élèves en fonction de leurs caractéristiques personnelles. Ainsi, pour la ségrégation sociale, on mesure la différence entre la proportion d’élèves CSP+ [catégorie socio-professionnelle supérieure] dans l’environnement d’un élève lui-même CSP+ et la proportion de ceux-ci dans l’environnement d’un élève qui n’est pas CSP+. Si les élèves CSP+ comptent en moyenne 40 % d’élèves CSP+ dans leur établissement alors que les autres n’en comptent en moyenne que 20 % la ségrégation sociale entre établissements vaudra 20 %. Pour la ségrégation scolaire, on applique un mécanisme similaire.

Quelles sont les conclusions des études ?

Tout d’abord, elles confirment l’existence d’une ségrégation à la fois sociale et scolaire dans l’école française. Un jeune issu d’un milieu très favorisé – enfant de cadres supérieurs, de hauts fonctionnaires, de membres des professions libérales ou de chefs d’entreprise – a dans son entourage deux fois plus d’élèves qui lui ressemblent que d’élèves issus des milieux populaires ou défavorisés. Deuxième conclusion : il existe bel et bien des ghettos scolaires regroupant les élèves très défavorisés. Un élève sur dix fréquente un établissement où les deux tiers des élèves sont issus de ces milieux. A l’autre bout de l’échelle, on trouve des établissements ultrafavorisés concentrant les élèves de familles CSP+, des « ghettos huppés » favorisant l’entre-soi des élèves. La ségrégation sociale et scolaire est plus forte dans les milieux urbains – en particulier dans les régions lyonnaise, marseillaise, d’Ile-de-France et du Nord-Pas-de-Calais – en raison d’une ségrégation résidentielle plus importante dans ces zones très urbanisées. En outre, l’offre scolaire y est plus importante, ce qui favorise les stratégies parentales d’évitement de certains établissements. Enfin, le troisième enseignement de la recherche est l’existence d’une ségrégation au sein même des établissements, entre classes : 45 % des collèges pratiquent en 3e des classes de niveaux, s’appuyant notamment sur des classes bilangues et des options comme le latin.

Et quelles sont les conséquences de cette situation ?

Dans un rapport réalisé en partenariat avec le Conseil supérieur de l’éducation du Québec, nous avons voulu dépasser les discours idéologiques pour observer scientifiquement les effets de la ségrégation à l’école à travers une revue de la littérature scientifique existante. Concernant la question des apprentissages, la ségrégation à l’école a indubitablement des effets négatifs. Elle crée des ghettos d’élèves en difficulté sociale et, le plus souvent, scolaire. Il s’agit d’un handicap important qui limite l’impact des politiques d’éducation prioritaire. Même si les équipes pédagogiques sont motivées, lorsqu’on regroupe ces élèves dans les mêmes établissements, il se créé une dynamique négative. En l’absence d’une tête de classe, les élèves sont tirés vers le bas et les enseignants ont eux-mêmes tendance à baisser le niveau des enseignements. La ségrégation sociale à l’école a également des effets nocifs sur les attitudes des élèves dans le domaine du vivre-ensemble et de la cohésion sociale : citoyenneté, tolérance, communication en direction d’autrui, croyances dans les institutions… Quand vous vivez dans un milieu trop homogène, cela ne facilite pas l’apprentissage de l’altérité.

La politique d’éducation prioritaire a-t-elle permis de limiter ces effets ?

L’éducation prioritaire reste nécessaire, en apportant des moyens supplémentaires aux établissements accueillant les élèves les plus en difficulté. Mais il faudrait commencer par ne plus concentrer ces élèves sinon, dans trente ans, on fera toujours de l’éducation prioritaire. Il faut se rappeler qu’à l’origine, il s’agissait d’une simple aide temporaire apportée à certains établissements le temps qu’ils rétablissent la situation. Mais comme on n’a pas avancé sur la mixité sociale à l’école, elle est devenue permanente.

D’autres pays tentent d’agir contre ce phénomène. Quelles solutions mettent-ils en œuvre ?

Lors du forum organisé les 4 et 5 juin à Paris, nous avons passé en revue de nombreuses expériences. Historiquement, les Etats-Unis sont l’un des grands pays promoteurs des politiques de mixité sociale. Dès les années 1970, les autorités ont mis en œuvre ce que l’on appelle le busing, qui consiste à transférer en bus des élèves des quartiers défavorisés vers des établissements plus favorisés. Les résultats ont été plutôt mitigés. A partir des années 1990, des initiatives plus intéressantes ont été lancées. Par exemple, la ville de Cambridge, dans le Massachusetts, a supprimé la carte scolaire et demandé à tous les parents de choisir un nombre limité d’établissements dans lesquels ils souhaitaient que soit orienté leur enfant. Elle a ensuite réparti les enfants, en fonction de ces vœux, dans les différents établissements, en tenant compte de la nécessité de respecter une mixité sociale qui ne s’éloigne pas de plus de 15 % de celle de la moyenne des quartiers. Plus de 80 % des familles ont eu leur premier choix. Cette politique a bien fonctionné aussi parce qu’il y a eu une politique de communication en direction des parents. Autre exemple : à Washington, des écoles ont développé des programmes d’immersion linguistique mixant des élèves anglophones de milieux favorisés avec des élèves hispanophones de milieux moins favorisés. Cette dynamique a séduit un certain nombre de familles favorisées, les jeunes hispanophones apportant un véritable enrichissement linguistique. En Angleterre, on demande aux établissements de respecter une certaine mixité sociale, avec environ un tiers d’élèves en difficulté, un tiers d’élèves moyens et un tiers de bons élèves. Au Danemark a été développée une forme originale de busing, qui vise les élèves issus de l’immigration. L’expérience devait se limiter à deux ans, mais les familles ont été séduites et ont souhaité la poursuivre, les résultats scolaires des élèves ayant fortement progressé. Nous avons aussi relevé des expériences en France, notamment à Nancy, à Guyancourt et à Evry.

Quelles pourraient être les bases d’une politique nationale de mixité sociale et scolaire à l’école ?

La boîte à outils qui permet de lutter contre ces discriminations est riche : quotas, ajustements de cartes scolaires, choix régulés… Mais pour que les politiques soient durables et efficaces, plusieurs conditions doivent être remplies. En premier lieu, il faut une bonne communication en direction des parents. Une politique de mixité sociale ne se fait jamais contre les parents si l’on veut qu’elle dure. La formation des enseignants aux pédagogies qui permettent d’accueillir des élèves très diversifiés dans une même classe est un autre point essentiel. Il faut aussi des transports efficaces et accessibles favorisant la mobilité et le désenclavement des élèves, surtout au lycée. Enfin, une politique valorisant l’apprentissage des langues est la base incontournable de tous les apprentissages dans des contextes scolaires socialement mixtes.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Nathalie Mons, qui enseigne la sociologie à l’université de Cergy-Pontoise, préside le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco).

Créé en 2013 afin d’évaluer l’organisation et les résultats du système scolaire, cet organisme indépendant a présenté début juin deux études sur « Les mixités sociales et ethno culturelles à l’école » (disponibles sur www.cnesco.fr/ cci_mixites).

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