Quelques mois avant que la France soit entendue par le comité des droits de l’enfant des Nations unies, les associations rendent publics leurs rapports « alternatifs » sur l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant sur le territoire. Comme tous ceux qui ont ratifié le texte, l’Etat français doit, tous les cinq ans, rendre compte de ses actions devant les experts onusiens. En janvier 2016, elle devra ainsi faire état de celles qui ont été entreprises depuis les dernières recommandations – sévères – du comité en 2009(1).
Dans son rapport « Chaque enfant compte, partout, tout le temps », élaboré avec plusieurs partenaires associatifs(2), l’Unicef (Fonds des Nations unies pour l’enfance) émet 36 recommandations aux autorités françaises. Parmi les nombreux sujets de préoccupation de l’organisation, qui, comme les autres acteurs de la société civile, a été auditionnée le 8 juin à Genève : les défauts de gouvernance. Certes, la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, telle qu’elle a été adoptée par les députés en première lecture(3), prévoit la création d’un conseil national de la protection de l’enfance placé auprès du Premier ministre. « Mais ce que nous souhaitons, et ce que souhaite l’ONU, c’est une politique nationale de l’enfance et de l’adolescence, dotée d’une stratégie globale et de moyens coordonnés », souligne Nathalie Serruques, responsable de la mission « Enfance en France » de l’Unicef. Tandis que le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, chargé de définir les contours d’une telle stratégie, tarde à boucler ses travaux, tout en peinant « à définir les éléments fondamentaux d’une gouvernance renouvelée au service d’objectifs ambitieux », selon le rapport de l’Unicef, « on est loin de ce qui est demandé à la France, déplore Nathalie Serruques. Les réponses sont trop courtes, inadaptées ou parcellaires, lorsque l’on voit la situation des publics les plus éloignés de l’accès aux droits. Dans la feuille de route sur la protection de l’enfance rendue publique le 1er juin[4], il n’y a pas un mot, notamment, sur les mineurs isolés étrangers ! » Ce alors que le Réseau éducation sans frontières manifestait devant le ministère contre les tests osseux… Les limites des réflexions en cours, considère Nathalie Serruques, sont de « travailler uniquement sur le système de l’aide sociale à l’enfance », au lieu de s’intéresser à la protection des enfants contre toutes les formes de violence et de vulnérabilité.
Parmi les défaillances : l’insuffisance des actions mises en œuvre pour éviter les « mesures de protection de remplacement » en raison de la faiblesse des revenus des parents, comme le recommande l’ONU. « Si l’Etat mettait en œuvre suffisamment en amont les dispositions nécessaires pour pallier les principales conséquences délétères des situations de pauvreté sur les conditions de vie des enfants, bon nombre de placements seraient certainement évités, en diminuant très sensiblement coûts humains et coûts financiers », souligne l’Unicef, rappelant que l’incidence de la pauvreté n’est pas assez prise en compte dans le domaine de la protection de l’enfance. L’accompagnement en économie sociale et familiale et la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial, créés par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, consistent en une intervention visant « le bien-être des enfants par un soutien actif auprès de parents cumulant des difficultés matérielles et budgétaires ». Mesures de prévention qui permettent de « sécuriser plutôt que de sanctionner », elles sont pourtant « encore trop faiblement mises en œuvre ».
L’Unicef rappelle que le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a recommandé à la France d’adopter et d’appliquer une législation « qui consiste à mettre fin à la pauvreté des enfants, en établissant notamment des indicateurs de suivi ». Selon le dernier bilan Innocenti de l’Unicef, entre 2008 et 2012, 440 000 enfants supplémentaires ont plongé avec leurs familles sous le seuil de pauvreté. Situation qui concerne désormais 3 millions d’enfants, soit un enfant sur cinq. Selon l’INSEE, 31 000 enfants sont sans domicile. Reste qu’un panel d’indicateurs précis manque encore pour améliorer les politiques publiques. Ce n’est que dans le cadre de son programme pour 2014-2017 que l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale devrait compléter son tableau de bord avec « une déclinaison propre à la situation des enfants et des jeunes de moins de 18 ans », qui serait diffusée annuellement. « Il est grand temps », souligne Nathalie Serruques, estimant que le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale « a du mal à se déployer à la hauteur de ses ambitions ».
Des inquiétudes qui rejoignent celles du collectif « Agir ensemble pour les droits de l’enfant » (AEDE), composé de plus de 50 associations, collectifs et syndicats. Son projet de rapport, initié en 2013 à l’initiative de Défense des enfants international (DEI)-France et de Solidarité laïque et qui s’est attaché à recueillir la parole des jeunes, a débouché sur un ouvrage dressant un état des lieux sur la situation des droits de l’enfant en France, assorti de propositions(5). Dans le même esprit que l’Unicef, il propose, pour promouvoir le soutien des parents en difficulté, « d’inciter les départements à mettre plus largement en œuvre l’accompagnement en économie sociale et familiale » et à inscrire cette prestation dans les schémas départementaux de protection de l’enfance. Il souhaite que l’Etat impulse « une véritable politique de lutte contre la pauvreté infantile, portée par un ministère de l’Enfance et la Jeunesse, évaluée par un conseil national de l’enfance, avec un plan d’actions et des objectifs quantifiables déclinés dans les territoires ». Côté gouvernance, le collectif invite l’Etat à « inscrire les droits de l’enfant dans une perspective planifiée à long terme, à les prendre en compte systématiquement dans ses différents projets étatiques, ainsi qu’à s’assurer qu’ils seront bien déclinés aussi dans les différents projets de territoire ».
Les inégalités dans l’accès à l’éducation, dont sont en particulier victimes les enfants handicapés, la situation des enfants vivant dans un bidonville ou victimes de la traite, ou encore la non-programmation de la réforme de la justice pénale des mineurs sont d’autres inquiétudes partagées par l’ensemble de la société civile. Sur la base du rapport officiel adressé par l’Etat, des auditions des associations et des institutions, notamment du défenseur des droits (voir ce numéro, page 15), le Comité pour les droits de l’enfant de l’ONU devrait adresser des questions complémentaires à la France.
(2) Apprentis d’Auteuil, Citoyens et justice, la CNAPE, Hors la rue, l’Uniopss, l’UNAF et l’Unapei.
(5) Ed. érès, collection « Enfance et parentalité » – 35 €. Les premières conclusions d’AEDE ont été présentées en décembre dernier lors d’une journée organisée en présence de Laurence Rossignol, secrétaire d’Etat chargée de la famille, et de Claudy Lebreton, alors président de l’Assemblée des départements de France – Voir ASH n° 2887 du 12-12-14, p. 25.